Cet article découle d’une communication scientifique qui a été présentée au colloque La réussite étudiante en enseignement supérieur au carrefour de l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) de l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur lors du 90e Congrès de l’Acfas (11 mai 2023).

Le texte fait partie de l’axe 2, intitulé Promouvoir l’éducation inclusive pour la réalisation du potentiel de chaque personne étudiante, des actes du colloque.

L’article qui suit vise à mieux comprendre l’effet de l’utilisation d’aides technologiques à la révision-correction par les étudiantes et étudiants dans les cours d’anglais offerts au collégial et, plus largement, en enseignement supérieur.

Contexte 

Une question d’accessibilité aux mesures d’aide à la révision-correction

L’accès au correcticiel Antidote comme mesure d’adaptation en anglais langue seconde (ALS) au collégial demeure limité (Quirion, 2017). Certains établissements le permettent; d’autres, non. Pourtant, Antidote est généralement admis au secondaire et dans les cours de Français et littérature au collégial. Les individus qui avaient cette adaptation au secondaire la revendiquent au collégial malgré les mesures alternatives en place (ex. : autre correcticiel, logiciel de prédiction orthographique et de synthèse vocale).  

Si l’effet d’Antidote en ALS demeure passablement méconnu sur le plan scientifique, son recours soulève néanmoins diverses interrogations. D’une part, le module anglais d’Antidote a été conçu pour détecter les erreurs d’apprenantes et d’apprenants francophones (Therrien, 2015). Une apparence d’iniquité ou de contrainte excessive au regard de l’évaluation est parfois soulevée. D’autre part, les cégépiennes et cégépiens dyslexiques ayant accès à des mesures d’accommodement, dont Antidote, réussissent autant que la moyenne dans leurs cours de la formation générale (Mimouni, 2012). Or, derrière ce constat encourageant se cache le cas d’étudiantes et étudiants à risque n’ayant pas accès à des accommodements (Gaudreault et al., 2022).  

Pour obtenir leur diplôme d’études collégiales, l’ensemble des étudiantes et étudiants doivent réussir deux cours d’anglais langue seconde de la formation générale, normalement du même niveau, établi selon un classement basé sur le degré de maîtrise de la langue. Le devis ministériel prévoit les niveaux 100 à 103.  

Dans ce contexte, est-ce que toutes les personnes étudiantes réussissent dans la même mesure dans les cours d’anglais langue seconde au collégial avec ou sans l’usage d’Antidote ?

Concept clé 

Vers un cadre plus inclusif de la diversité : le Continuum d’atteinte de la compétence rédactionnelle   

Notre adaptation du Modèle de développement humain – Processus de Production du handicap (MDH-PPH) (Réseau international sur le Processus de production du handicap, 2018) identifie les troubles du langage oral ou écrit1 parmi les facteurs pouvant mener à une situation de handicap lors de rédactions. Il intègre des facteurs personnels et environnementaux qui ne sont pas typiquement associés à des incapacités ou à la pleine réalisation de son potentiel (ex. : temps ou qualité d’exposition à la langue cible ou à la littératie, opacité de la langue2, biais culturels, difficultés non répertoriées). Pour toutes les personnes, ces facteurs peuvent entraîner, selon le contexte et les aménagements, un continuum de possibilités influençant l’atteinte de la compétence rédactionnelle (voir la figure 1). 

1 Les troubles du langage oral et écrit regroupent le trouble spécifique des apprentissages avec déficit en lecture ou en écriture et le trouble développemental du langage. De récents consensus de la communauté scientifique ont mené à un changement de la terminologie diagnostique, supplantant les anciennes appellations dyslexie-dysorthographie ou trouble primaire ou spécifique du langage (dysphasie). 

2 L’orthographe d’une langue est dite opaque lorsque le principe alphabétique ne suffit pas pour bien orthographier un mot et que de nombreuses graphies irrégulières existent.  

Méthodologie

Une enquête quantitative pour mesurer l’effet d’Antidote sur la qualité de l’anglais écrit dans les cours de langue seconde   

  • Type de recherche : Recherche quasi expérimentale de type quantitative
  • Population étudiée : 764 cégépiennes et cégépiens répartis en trois sous-populations selon la présence ou l’absence d’un trouble du langage oral ou écrit, ou de difficultés non répertoriées
  • Lieux et période de la recherche : Cégep de Lanaudière et Collège Montmorency, lors des sessions d’automne 2020 à automne 2021

Nous avons mesuré l’effet de l’utilisation d’Antidote sur la qualité de la langue écrite en comparant les versions avant et après Antidote de textes narratifs et d’opinion. Les personnes participantes ont été réparties en trois groupesconstitués selon le Questionnaire de dépistage de la dyslexie au collégial (Mimouni, 2012). 

La collecte a eu lieu à deux reprises dans des groupes du premier cours d’anglais de la formation générale des niveaux 100 à 103. En raison du contexte pandémique, une partie de collecte a été effectuée à distance.  

Résultats

Les effets différenciés de l’utilisation d’Antidote selon les groupes à l’étude 

Le groupe en situation de handicap et celui aux difficultés non répertoriées sont comparables et bénéficient davantage d’Antidote. 

Indépendamment du niveau de cours d’anglais suivi, le groupe en situation de handicap et celui aux difficultés non répertoriées ont produit significativement plus d’erreurs que le groupe sans difficultés connues. Les différences entre ces deux premiers groupes sont non significatives, que ce soit avant ou après Antidote. En outre, l’utilisation d’Antidote a entraîné une diminution d’erreurs significativement plus prononcée pour ces deux groupes. Malgré qu’ils aient davantage tiré profit d’Antidote, le groupe sans difficultés connues a de loin mieux performé tout au long de l’expérimentation. 

La révision avec Antidote permet une réduction significative des erreurs pour tous et toutes, mais cela est plus marqué dans les niveaux moins avancés.

En tenant compte à la fois du groupe et du niveau, les résultats révèlent que tous ont bénéficié du correcticiel de façon substantielle. La comparaison des ratios d’erreurs aux 100 mots pré et post Antidote montre une diminution significative des erreurs pour chacun des groupes, et ce, à chacun des niveaux pour les deux types de textes produits (voir le tableau 1). Cependant, la réduction est plus prononcée aux niveaux moins élevés. 

Dans tous les cas, l’effet différencié observé s’explique par la production d’erreurs initiale. Plus celle-ci est élevée, plus la diminution d’erreurs tend à être prononcée, ce qui a pour avantage de réduire les écarts existants entre les groupes. 

La réduction des erreurs a été significativement plus prononcée en présence qu’en modalité à distance.

L’utilisation d’Antidote a entraîné en moyenne la correction de 36 % des erreurs. Puisque davantage d’erreurs ont été produites dans les textes rédigés en présence, cela a entraîné une diminution des erreurs plus marquée pour cette modalité. Les conditions d’expérimentation n’ayant pu être contrôlées avec la même rigueur à distance, on ne peut exclure que certaines personnes participantes aient pu avoir recours à des aides non prévues, ce qui expliquerait le taux d’erreurs plus faible en modalité à distance. Quoi qu’il en soit, l’effet mesuré est grand dans les deux cas. 

Un effet différencié est présent selon le type de texte et d’erreurs.

Une réduction de 32 % des erreurs pour le texte narratif et de 42 % pour le texte d’opinion a été observée avec l’usage d’Antidote.  

Les erreurs de temps de verbe, qui représentent 12 % des erreurs du corpus narratif contre 2 % du corpus d’opinion, sont principalement en cause. Celles-ci sont corrigées dans une très faible proportion par les cégépiens et cégépiennes. De plus, les erreurs de temps de verbe ont été davantage corrigées au texte d’opinion avec 9 % comparativement à 3 % au texte narratif.  

L’efficacité de l’utilisation d’Antidote varie considérablement selon le type d’erreurs, allant de moins de 6 % (temps de verbe, verbes modaux) à environ 84 % (orthographe) à la suite de l’utilisation du correcteur par les personnes étudiantes. 

Que retenir de nos résultats ?

Reconsidérer l’égalité d’accès et l’efficacité des mesures 

Le groupe aux difficultés non répertoriées bénéficierait tout autant des aides à la révision considérant ses similitudes avec le groupe en situation de handicap.

Le groupe aux difficultés non répertoriées présente des besoins d’accommodement similaires à ceux du groupe en situation de handicap dont le diagnostic est documenté. Or, pour l’heure, les besoins du groupe aux difficultés non répertoriées, particulièrement manifestes aux niveaux plus faibles, sont laissés pour compte puisque l’accès à un correcticiel est habituellement réservé au groupe en situation de handicap et que l’accès universel demeure peu répandu dans le réseau collégial. Cette situation compromet l’égalité des chances et l’atteinte du plein potentiel. La mise en place de mesures adéquates a un impact conséquent sur la persévérance et la réussite scolaires (Newman, 2005). 

   

Un accès universel aux aides à la révision pourrait être approprié dans certaines situations.  

En anglais langue seconde, il faut tenir compte du classement par niveau. L’absence de différences notables entre les groupes au niveau plus élevé au texte narratif et aux différents niveaux pour le texte d’opinion avant Antidote permet d’envisager un accès universel en réponse à la problématique. Un accès réservé à un groupe donné est plus difficilement justifiable. En outre, l’accès universel à un correcticiel semble prometteur comme voie alternative non seulement en réponse aux besoins non comblés d’étudiantes et d’étudiants présentant des difficultés non répertoriées, mais en soutien à la révision de tous et toutes. 

L’efficacité du correcticiel dépend toutefois des types d’erreurs produites et de son utilisation.  

Antidote guide généralement bien la correction en anglais et permet d’évaluer l’écrit. La révision assistée par ordinateur comporte cependant des limites. Pour certaines personnes, l’effet mesuré s’est avéré négatif ou nul; négatif dans le cas où le texte après Antidote comptait davantage d’erreurs qu’avant son utilisation et nul dans le cas où le ratio d’erreurs est demeuré inchangé. L’efficacité d’Antidote dépend des patrons d’erreurs ainsi que la capacité de la personne à saisir la rétroaction du correcticiel et sa propension à en faire un usage sensé. Le degré d’atteinte de la compétence est tributaire de l’interaction entre les facteurs personnels et environnementaux, incluant l’accessibilité à un correcticiel (voir la figure 2). 

Figure 2. Effet positif ou négatif de l’utilisation d’un correcticiel. Interaction entre la personne utilisatrice et le correcticiel La figure est composée de 5 colonnes. La première représente l’étape de la rédaction durant laquelle il y a rédaction et révision sans outils. La deuxième colonne représente le texte produit. Il y a soit absence d’erreur (effet positif) ou présence d’erreur (effet négatif). La troisième colonne représente la rétroaction correcticiel. Les effets positifs sont écrits en vert afin de mettre l’accent sur l’interaction : aucune erreur, aucune détection ainsi que détection exacte. Les effets positifs sont écrits en rouge pour mettre l’accent sur l’interaction : détection ou information inexacte ainsi qu’aucune détection malgré une erreur. La quatrième colonne représente la révision avec le correcticiel. Les effets positifs sont écrits en vert pour mettre l’accent sur l’interaction : modifie le texte ainsi que ne modifie pas le texte. Les effets négatifs sont écrits en rouge pour mettre l’accent sur l’interaction : modifie le texte ainsi que ne modifie pas le texte. La cinquième et dernière colonne représente le texte final. Il y a soit un texte sans erreur inchangé ainsi qu’une erreur corrigée (effets positifs) ou une erreur non corrigée / texte inchangé, une tentative de correction infructueuse ainsi qu’un ajout d’erreur (effets négatifs). Les informations de cette figure proviennent de : Beaudry, I., Tremblay, F. et Bouchard, D.-É. (2024). L’effet d’Antidote sur la qualité de la langue écrite chez les étudiant·es présentant une dyslexie-dysorthographie ou un trouble du langage en anglais langue seconde au collégial. Rapport de recherche PAREA. Centre de documentation collégiale. 

Pour approfondir le sujet

Beaudry, I et Tremblay, F. (2022). Faut-il favoriser une plus grande accessibilité aux fonctions d’aide de type correcticiel? L’orthopédagogie sous toutes ses facettes – Revue professionnelle de L’Association des Orthopédagogues du Québec, 12 (hiver), 56-66.  

Elchacar, M. (2022). Délier la langue : pour un nouveau discours sur le français au Québec. Alias. 

Hoedt, A. et Piron, J. (2017). La convivialité : la faute de l’orthographe. Éditions Textuelles.  


Références

Beaudry, I., Tremblay, F. et Bouchard, D.-É. (2024). L’effet d’Antidote sur la qualité de la langue écrite chez les étudiant·es présentant une dyslexie-dysorthographie ou un trouble du langage en anglais langue seconde au collégial. Rapport de recherche PAREA. Centre de documentation collégiale. 

Dion-Viens, D. (2022, 8 octobre). Faute la plus fréquente chez les étudiants : des « s » oubliés à l’université – L’accord en nombre est enseigné dès le primaire. Le Journal de Québec.  

Gaudreault, M., Gaudreault, M., El-Hage, H., Robert, É., Richard, É., Roy, S., Landry, D., Vachon, I., Charron, M., Zagrebina, A., Armstrong, M., Tardif, S., Tadjiogue Agoumfo, Y. W., Bikie Bi Nguema, N. et Gulian, T. (2022). Enquête sur la réussite à l’enseignement collégial, à partir des données du SPEC 1 2021. Rapport de recherche général portant sur les étudiantes et les étudiants des populations A et B. ÉCOBES – Recherche et transfert, CRISPESH, IRIPII. 

Mimouni, Z. (2012). L’impact des mesures de soutien sur la réussite scolaire des étudiantes et étudiants dyslexiques du collégial. (Rapport PAREA no 788246).  

Newman, L. (2005). Postsecondary Education Participation of Youth with Disabilities. Dans M. Wagner, L. Newman, R. Cameto, N. Garza et P. Levine (dir.), After high school: A first look at the postschool experiences of youth with disabilities. A report from the National Longitudinal Transition Study-2. SRI International.  

Quirion, I. (2017). Utilisation de la fonction d’aide « correcteur » dans les cours d’anglais des établissements collégiaux francophones [communication orale]. Comité des Affaires pédagogiques de la Fédération des cégeps / CCSI de l’Est. Québec, Canada.   

Réseau international sur le Processus de production du handicap. (2018). Classification internationale: Modèle de développement humain Processus de production du handicap (MDH-PPH) 2e édition

Therrien, Y. (2015, 3 novembre). Antidote fait peau neuve en français en incluant l’anglais. Le Soleil.  


Mentions de responsabilité

Éditrice : Karine Vieux-Fort 

Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Catherine Charron

Révision linguistique : Marie-Eve Cloutier

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ISSN 2817-2817