Cet article découle d’une communication scientifique qui a été présentée au colloque La réussite étudiante en enseignement supérieur au carrefour de l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) de l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur lors du 90e Congrès de l’Acfas (11 mai 2023).

Le texte fait partie de l’axe 1, intitulé Favoriser un climat inclusif pour la persévérance et la réussite étudiantes, des actes du colloque.

L’article qui suit vise à mieux comprendre le potentiel anxiogène des technologies de l’information et des communications généralement utilisées au collégial, afin de proposer des moyens d’atténuer celui-ci. 

Contexte 

Virage numérique : un fort potentiel anxiogène pour la population étudiante 

Au collégial, les technologies de l’information et des communications en enseignement (TICE) sont très présentes : formation à distance, ressources pédagogiques en ligne, outils de communication, etc. Même dans un enseignement magistral, les étudiantes et étudiants n’y échappent pas. Par exemple, l’apprentissage d’un logiciel spécifique en formation technique ou l’usage d’une application de gestion de références bibliographiques font partie des situations courantes dans lesquelles les TICE sont exploitées. La pandémie de COVID-19 a exacerbé ce virage technologique en imposant, à grande échelle, l’enseignement à distance. Même avant la pandémie, ce virage technologique demeurait d’actualité, comme en font foi les orientations du Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur (Gouvernement du Québec, 2018). 

Les recherches suggèrent que les technologies peuvent, dans certaines conditions, faire obstacle à l’apprentissage. Il est même possible de parler de « situation de handicap » causée par l’environnement numérique (Fougeyrollas, 2010). Le potentiel anxiogène des TICE est important à considérer, dans un contexte où l’anxiété est en hausse chez la population étudiante au collégial (CRISPESH, Larose et Beaulieu, 2021; Gaudreault et Normandeau, 2018). L’impact de l’anxiété peut être majeur, sur le parcours scolaire, la réussite (Gosselin et Ducharme, 2017), et sur le bien-être psychologique des étudiantes et étudiants (Piché et al., 2017). Il devient donc pertinent de s’intéresser à des stratégies d’utilisation des TICE qui soient moins anxiogènes chez cette population. 

Concept clé 

Le CINE : les dimensions de l’anxiété

Les travaux de Lupien (2019) font état de quatre dimensions de l’anxiété, mieux connues sous l’acronyme du CINE. Ces dimensions peuvent être appliquées au contexte d’implantation des TICE.   

Méthodologie

Une recherche-action en milieu collégial

  • Type de recherche : Approche mixte (quantitative et qualitative) 
  • Population étudiée : population étudiante (n=313) et enseignante au collégial  
  • Période et lieux de la recherche : de 2019 à 2022 avec le Cégep du Vieux Montréal, son CCTT (CRISPESH, le Centre de recherche sur l’inclusion des personnes en situation de handicap) et le Cégep régional de Lanaudière à Terrebonne 

Le projet a combiné : 1) le développement et la passation d’un questionnaire, l’Inventaire d’adaptation et d’anxiété reliées aux TICE (IAAT) à des étudiantes et étudiants au collégial (n=313); 2) la tenue de six groupes de discussion avec des enseignantes et enseignants, puis avec des étudiantes et étudiants; 3) la coconstruction en équipe combinant des membres des corps enseignant et étudiant du Plan d’intervention pour les TICE Anxiogènes (PITA); 4) l’expérimentation du PITA. 

Résultats

Des TICE anxiogènes

Près du trois quarts des étudiantes et étudiants sont tracassés par des idées d’échec en lien avec les TICE.  

Le questionnaire développé lors du projet visait à évaluer l’état d’esprit des étudiantes et étudiants lors de l’utilisation d’outils technologiques (Comment je me sens au moment même où je dois utiliser une TICE ou lorsque je dois y penser ?). Les réponses mettent en lumière que l’utilisation des TICE vient souvent de pair avec une pression de performance chez plusieurs étudiantes et étudiants au collégial, puisque 73.1 % des répondantes et répondants se disent envahis par des pensées d’échec lors de l’utilisation des TICE, ou lorsqu’elles ou ils pensent aux TICE. 

Tout près de 73 % des étudiantes et étudiants se sentent en surcharge dans l’utilisation des TICE. 

Un sentiment de surcharge est ressenti par une proportion importante, soit 72.9 %, des étudiantes et étudiants en lien avec les TICE. La multiplication du nombre de plateformes et d’outils technologiques à utiliser contribue à cette surcharge mentale, selon les propos recueillis dans les groupes de discussion.   

Un temps d’adaptation est souvent nécessaire. 

Les groupes de discussion avec des personnes étudiantes et enseignantes ont permis d’approfondir les facteurs et les causes de l’anxiété causée par les TICE. Parmi elles, la courbe d’apprentissage nécessaire pour apprivoiser de nouveaux outils technologiques, l’importance d’un accompagnement dans cet apprentissage (non seulement pour les étudiantes et étudiants, mais aussi pour le personnel enseignant), ou le manque de convivialité de certaines plateformes. 

« (Nom du logiciel), j’ai trouvé ça quand même assez complexe à utiliser. » (étudiant)  

Les étudiantes et étudiants peuvent aussi être anxieux lorsque les TICE s’immiscent dans leur vie privée.  

« Tu passes un bon moment, tu reçois une note, ta soirée est gâchée. » (étudiante) 

À cela, s’ajoute, pour les personnes étudiantes, les enjeux de communication en ligne avec le personnel de l’établissement, par exemple, des délais de réponse aux courriels ou à la messagerie interne parfois jugés longs, ou l’incertitude à savoir si un message a été bien lu par son destinataire. De son côté, le personnel enseignant peut se sentir parfois en dilemme entre la pression de répondre dans l’immédiat, et celle de protéger leur temps libre. 

Que retenir de nos résultats ?

L’anxiété reliée aux TICE : un problème important, mais pas insoluble 

Les personnes étudiantes sont plus anxieuses de manière générale et lors de l’utilisation des TICE.  

Les résultats tirés du sondage, mais aussi des groupes de discussion, suggèrent que l’anxiété pouvant être vécue par les étudiantes et étudiants au collégial est non-négligeable, surtout lors d’un contexte d’utilisation des TICE. L’environnement collégial, déjà empreint de nouveautés à apprivoiser et d’objectifs scolaires à atteindre pour plusieurs, peut exacerber ce stress. De là l’importance, pour le personnel enseignant, d’être sensible à ce sentiment d’anxiété potentiel et de planifier un usage réfléchi des TICE. 

Des actions concrètes peuvent être prises pour diminuer l’anxiété reliée aux TICE, notamment avec le Plan d’intervention pour les TICE Anxiogènes (PITA).  

L’analyse des données a permis à l’équipe de recherche de développer le Plan d’intervention pour les TICE Anxiogènes (PITA), puis de l’expérimenter à la session d’hiver 2022, avec l’apport de plusieurs étudiantes et étudiants partenaires. Étant donné l’évolution constante des technologies, le PITA se veut flexible, adaptable et transférable à plusieurs logiciels, cours ou modalités d’enseignement. Le contexte pandémique, ponctué de nombreux aller-retour entre l’enseignement à distance et en présentiel, a orienté l’équipe vers cette volonté de souplesse des recommandations proposées. 

Le PITA a été pensé en trois niveaux d’action : primaire, secondaire et tertiaire. Dans certains cas, l’utilisation des TICE s’avère incontournable, par exemple, l’utilisation de logiciels spécifiques à un programme technique. D’autres activités pédagogiques pourraient permettre une option « sans TICE », ou encore, proposer des alternatives (ex.: laisser les étudiantes et étudiants choisir le logiciel avec lequel elles et ils sont le plus confortables).  

Figure 2. Les trois niveaux d’action du PITA La figure présente trois cercles placés l’un sur l’autre à la verticale. Le niveau primaire consiste à éviter l’utilisation des TICE anxiogènes. Le niveau secondaire renvoie à limiter les effets des situations anxiogènes inévitables. Le niveau tertiaire vise à traiter l’anxiété générée par les TICE.

Le partenariat entre les corps enseignant et étudiant est essentiel pour une compréhension complète des enjeux. 

L’analyse comparée des groupes de discussion composés respectivement de personnes étudiantes et enseignantes a fait ressortir des disparités significatives quant à la perception des impacts des TICE sur l’anxiété ressentie lors des études collégiales. Par exemple, la surcharge cognitive reliée aux communications par messagerie trop abondante est beaucoup plus ressentie par les étudiantes et les étudiants. Il apparaît essentiel de placer la perspective étudiante au centre de toute démarche, PITA ou autre, visant à diminuer cette anxiété. 

Pour approfondir le sujet

Ellis, K. et Kent, M. (2011). Disability and New Media. Routledge. 

Jaeger, P. T. (2011). Disability and the Internet: Confronting a Digital Divide. Lynne Rienner Publishers. 


Références

CRISPESH, Larose, S. et Beaulieu, C. (réalisateurs). (2021). Effets de la Covid-19 sur l’adaptation collégiale des ÉSH [midi-conférence]. CRISPESH.  

Fougeyrollas, P. (2010). La funambule, le fil et la toile. Transformations réciproques du sens du handicap. Presses de l’Université Laval.  

Gaudreault, M. M. et Normandeau, S.-K. avec la collaboration de Jean-Venturoli, H. et St-Amour, J. (2018). Caractéristiques de la population étudiante collégiale : valeurs, besoins, intérêts, occupations, aspirations, choix de carrière. Données provenant du Sondage provincial sur les étudiants des cégeps (SPEC) administré aux étudiants nouvellement admis aux études collégiales à l’automne 2016. ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.  

Gosselin, M.-A. et Ducharme, R. (2017). Détresse et anxiété chez les étudiants du collégial et recours aux services d’aide socioaffectifs. Service social, 63(1), 92‑104. 

Gouvernement du Québec. (2018). Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur.  

Lupien, S. (2019). Recette du stress. Centre d’études sur le stress humain.  

Piché, G., Cournoyer, M., Bergeron, L., Clément, M.-E. et Smolla, N. (2017). Épidémiologie des troubles dépressifs et anxieux chez les enfants et les adolescents québécois. Santé mentale des populations, 42(1), 19‑42. 


Mentions de responsabilité

Éditrice : Karine Vieux-Fort 

Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Catherine Charron

Révision linguistique : Marie-Eve Cloutier

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ISSN 2817-2817