Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à évaluer l’utilisation, la satisfaction et l’efficacité perçue des utilisateurs et utilisatrices d’une application numérique, contenant un robot conversationnel et une boîte à outils, destinée au soutien de la santé mentale et au soutien scolaire des personnes étudiantes au collégial.  

Pour plus de détails, consulter : Gallais, B. et Desjardins, F. (2022). Analyse logique du déploiement d’un agent conversationnel destiné au soutien scolaire : tome 1. Satisfaction et efficacité perçue d’un agent conversationnel destiné au soutien de la santé mentale et au soutien scolaire chez les étudiantes et étudiants collégiaux. ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.  

Contexte 

Pourquoi utiliser des applications numériques pour soutenir sur les plans émotionnel et scolaire les personnes étudiantes au collégial ? 

Faute de moyens suffisants, l’accès aux services en santé mentale dans les établissements collégiaux est souvent limité par rapport à la demande. Cette situation est présente alors que les personnes étudiantes sont confrontées à de nombreux défis, soit le contexte d’études et une période du développement où les besoins sont importants : la transition entre l’adolescence et l’âge adulte (Gallais, Bikie Bi Nguema et Turcotte, 2021). Les demandes d’aide aux services psychosociaux ont augmenté considérablement dans les dernières décennies (Center for Collegiate Mental Health, 2020). La pandémie de COVID-19, ayant significativement détérioré la santé mentale des populations étudiantes collégiales, a accru cette problématique (Gallais, Blackburn, Paré, Maltais et Brassard, 2022).

Ainsi, certaines personnes expertes croient que l’intégration de la technologie en santé mentale peut répondre aux besoins de la population. Par exemple, les applications et les agents conversationnels présentent plusieurs caractéristiques intéressantes : ils sont accessibles en tout temps (Kretzschmar, Tyroll, Pavarini, Manzini, Singh et NeurOx Young People’s Advisory Group, 2019), faciles d’accès et conservent l’anonymat de la personne utilisatrice (Abd-Alrazaq, Alajlani, Ali, Denecke, Bewick et Househ, 2021), séduisent les jeunes et permettraient de surmonter la barrière de la stigmatisation (Fitzpatrick, Darcy et Vierhile, 2017). S’il existe une multitude d’applications similaires, il s’avère essentiel que chaque application dédiée à la santé mentale soit évaluée afin de connaître son efficacité auprès de la clientèle cible (Gamble, 2020; Palmer et Burrows, 2021).

Concept clé 

Chatbot ou agent conversationnel   

Les chatbots, aussi appelés agents / robots conversationnels, peuvent proposer une conversation programmée par des questions et des choix de réponses ou générer un dialogue en ayant recours à l’intelligence artificielle (Vaidyam, Wisniewski, Halamka, Kashavan et Torous, 2019). L’agent conversationnel étudié dans notre recherche est programmé dans un but de promotion du bien-être et de la santé mentale ainsi que la prévention des troubles psychosociaux par une prise de conscience rapide des difficultés de la personne étudiante (Optania, s. d.). Celui-ci inclut également la facilitation de l’orientation vers du personnel professionnel, permettant ainsi une intervention précoce.    

Méthodologie

Une enquête en ligne auprès de cégépiens et cégépiennes   

  • Type de recherche : Quantitative
  • Population étudiée : 648 personnes étudiantes
  • Lieux et période de la recherche : 2 cégeps, entre janvier et mars 2022

Nous avons mené une étude descriptive par enquête auprès des étudiantes et étudiants de deux cégeps qui ont rendu disponible l’application Ali1. Cette application contient un agent conversationnel sous forme d’avatar (Ali) et une boîte à outils où l’on retrouve des informations et des outils utiles.

L’enquête comprenait l’évaluation des six dimensions suivantes : les caractéristiques sociodémographiques, le téléchargement et l’appréciation générale de l’application, les thèmes abordés avec le chatbot et son appréciation, la boîte à outils et son appréciation, les effets perçus de l’utilisation de l’application et, finalement, l’analyse de la demande d’aide humaine.

1Ali est une application créée par la compagnie Optania. Il est à noter que l’équipe de recherche derrière cette étude n’a aucun intérêt commercial avec Optania ou son produit Ali.

Résultats

L’utilisation et la satisfaction globale de l’application

L’application est relativement méconnue par les personnes étudiantes.

Parmi les 648 personnes participantes, seulement un quart (26 %) avaient téléchargé l’application. La raison de ne pas l’avoir téléchargée évoquée le plus souvent est la méconnaissance de l’application (74 %). Inversement, les personnes qui ont téléchargé l’application en ont principalement entendu parler par la publicité faite dans les cégeps (42 %).   

L’application est relativement bien appréciée par les utilisateurs et utilisatrices.

L’analyse des données a permis de constater que l’application est, en général, assez appréciée. Par exemple, presque toutes les personnes répondantes pensent que l’application est facile à utiliser (98 %), flexible (92 %) et utile (86 %).

Les thèmes les plus fréquemment abordés avec l’agent conversationnel sont le stress (et l’anxiété) par 68 % des participantes et participants, le sommeil (37 %) et la solitude (25 %) (thèmes surlignés en vert  dans le graphique 1). Ces thèmes ont été jugés utiles par 84 % à 86 % des personnes participantes. Dans une moindre mesure (21 %), on retrouve des thèmes liés au soutien scolaire (« apprentissage efficace » et « études à distance ») (thèmes surlignés en gris  dans le graphique 1).

Voici, plus en détail, l’ensemble des 18 thèmes abordés par les personnes participantes à l’enquête.

Concernant la boîte à outils de l’application, les utilisateurs et utilisatrices apprécient son utilité (90 %) et trouvent que les informations qui s’y retrouvent sont satisfaisantes (87 %) et pertinentes (91 %).

L’efficacité perçue comme outil pédagogique, psychosocial et de demande d’aide

La satisfaction est au rendez-vous concernant le soutien scolaire.

Les personnes participantes sont globalement en accord avec le sentiment d’éprouver plus de plaisir et de satisfaction (74 %) et d’être plus motivées (75 %) à apprendre de nouvelles connaissances dans les cours depuis leur utilisation de l’application.   

L’efficacité perçue de l’outil sur la santé mentale est plus modérée.

Au sujet des éléments questionnant le sentiment d’être moins stressée et nerveuse ou, au contraire, plus zen et relax, depuis l’utilisation de l’application, ce sont plus d’une personne répondante sur trois qui sont en désaccord bien qu’une majorité ait répondu être en accord.

À travers les réponses des participantes et participants, l’outil semble apprécié et serait utile pour la communauté collégiale. L’efficacité relative au soutien scolaire semble cependant supérieure à celle sur la santé mentale.

Que retenir de nos résultats ?

L’application, un outil de première ligne pour réduire les files d’attente des services d’aide dans les cégeps ?  

Les robots ne remplacent pas les intervenantes et intervenants humains. 

L’apparition massive d’applications et de robots peut faire émerger un certain nombre de préjugés. Or, à l’heure actuelle et spécifiquement dans l’application évaluée ici, le robot conversationnel n’a pas pour fonction de se substituer aux humains des services d’aide. Il jouerait plutôt un rôle métacognitif, c’est-à-dire qu’il aiderait les individus à prendre conscience de leurs difficultés.    

L’application est une source et un lieu d’informations fiables sur la santé mentale et la réussite éducative.

À l’heure de la surinformation sur Internet et les réseaux sociaux, une application destinée aux étudiantes et étudiants qui regroupe l’information pertinente au regard de la santé mentale et de la réussite éducative en un seul endroit (la boîte à outils) a certainement une place dans le paysage actuel.

Les outils numériques peuvent être vus comme de futurs alliés du personnel des établissements collégiaux.

Les intervenantes et les intervenants tout comme le personnel professionnel des cégeps et collèges pourraient s’appuyer sur ce genre d’application comme outil de promotion et de prévention en matière de réussite scolaire et en faire un complément stratégique à leurs propres tâches et missions. Orienter les personnes étudiantes vers ce genre d’outils pourrait permettre de désamorcer certaines situations et suffire à des personnes qui ont surtout besoin d’être rassurées et informées (Gallais, Bikie Bi Nguema et Turcotte, 2021). Cependant, les services d’aide doivent être et rester à la disposition de la population étudiante lorsque celle-ci ressent le besoin d’un accompagnement supplémentaire.   

Pistes d’action

  • Mettre en place des stratégies gagnantes de publicité (ex. : réseaux sociaux) et de promotion de l’application dans les établissements collégiaux qui offrent cet outil à leurs étudiantes et étudiants.
  • Utiliser l’application comme un outil de promotion des services d’aide auprès des personnes étudiantes.
  • Utiliser l’agent conversationnel comme un outil de soutien à la littératie en santé mentale, pour développer les différentes connaissances et aptitudes sur le thème de la santé mentale.
  • Promouvoir la boîte à outils comme un endroit « sécuritaire » pour trouver de l’information et des astuces.

Pistes de recherche

  • Reproduire cette enquête à plus grande échelle (ex. : auprès de l’ensemble des établissements collégiaux qui ont désormais recours à l’application).
  • Affiner les résultats sur les perceptions des utilisateurs et utilisatrices par le biais d’une étude qualitative.
  • Évaluer directement les effets de l’application en matière de prévention et d’intervention en santé mentale par une étude qui mesurerait directement certaines variables (ex. : niveaux de stress, anxiété, dépression, estime de soi) avant et après l’utilisation de l’application.

Pour approfondir le sujet

Abd-Alrazaq, A. A., Rababeh, A., Alajlani, M., Bewick B. M. et Househ, M. (2020). Effectiveness and Safety of Using Chatbots to Improve Mental Health: Systematic Review and Meta-Analysis. Journal of Medical Internet Research, 22(7).

Desjardins, F. et Gallais, B. (2022). Analyse logique du déploiement d’un agent conversationnel destiné au soutien scolaire : tome 2. Éléments favorables à l’intégration d’un agent conversationnel au sein des établissements collégiaux. ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.

Nadarzynski, T., Miles, O., Cowie, A. et Ridge, D. (2019). Acceptability of artificial intelligence (AI)-led chatbot services in healthcare: A mixed-methods study. DIGITAL HEALTH, 5, 1-12.


Références

Abd-Alrazaq, A. A., Alajlani, M., Ali, N., Denecke, K., Bewick, B. M. et Househ, M. (2021). Perceptions and Opinions of Patients About Mental Health Chatbots: Scoping Review. Journal of Medical Internet Research, 23(1).

Center for Collegiate Mental Health. (2020). 2019 Annual report (publication no STA 20‑244).  

Fitzpatrick, K. K., Darcy, A. et Vierhile, M. (2017). Delivering Cognitive Behavior Therapy to Young Adults with Symptoms of Depression and Anxiety Using a Fully Automated Conversational Agent (Woebot): A Randomized Controlled Trial. JMIR Mental Health, 4(2).

Gallais, B., Bikie Bi Nguema, N. et Turcotte, A. (2021). Portrait de l’intervention psychosociale dans le réseau collégial québécois : point de vue des intervenants sur leur pratique, leurs collaborations et sur les programmes d’accompagnement psychologique existants. ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.

Gallais, B., Blackburn, M.-È., Paré, J., Maltais, A. et Brassard, H. (2022). Adaptation psychologique et adaptation aux études à distance des étudiants collégiaux face à la crise de la COVID‑19. ÉCOBES – Recherche et transfert, Cégep de Jonquière.

Gamble, A. (2020). Artificial Intelligence and Mobile Apps for Mental Healthcare: A social Informatics Perspective. Aslib Journal of Information Management, 72(4), 509-523.

Kretzschmar, K., Tyroll, H., Pavarini, G., Manzini, A., Singh, I. et NeurOx Young People’s Advisory Group. (2019). Can Your Phone Be Your Therapist? Young People’s Ethical Perspectives on the Use of Fully Automated Conversational Agents (Chatbots) in Mental Health Support. Biomedical Informatics Insights, 11.

Optania (s. d.). Ali, une mesure de soutien supplémentaire.

Palmer, K. M. et Burrows, V. (2021). Ethical and Safety Concerns Regarding the Use of Mental Health–Related Apps in Counseling: Considerations for Counselors. Journal of Technology in Behavioral Science, 6(1), 137-150. Vaidyam, A. N., Wisniewski, H., Halamka, J. D., Kashavan, M. S. et Torous, J. B. (2019). Chatbots and Conversational Agents in Mental Health: A Review of the Psychiatric Landscape. The Canadian Journal of Psychiatry, 64(7), 456-464.


Mentions de responsabilité

Éditrice : Karine Vieux-Fort 

Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Amélie Descheneau-Guay

Révision linguistique : Sandrine Bourget-Lapointe  

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ISSN 2817-2817