Éric Richard
Professeur-chercheur au Département de sociologie
Cégep du Vieux Montréal
Numéro 11 - 2025
Pour citer cet article
Éric Richard
Professeur-chercheur au Département de sociologie
Cégep du Vieux Montréal
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Formation continue en enseignement supérieur : des parcours de réussite étudiante
Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à comprendre comment différentes caractéristiques, réalités et expériences d’étudiantes et d’étudiants adultes influencent leur parcours scolaire au collégial.
Pour plus de détails, consulter : Richard, É. (2023). Difficultés rencontrées par les étudiants adultes au collégial. Revue canadienne d’enseignement supérieur, 53(2), 15-31.
La population étudiante adulte à l’enseignement postsecondaire a connu une croissance rapide au cours des dernières décennies (Caruth, 2014), notamment au Canada (Panacci, 2017). Néanmoins, elle suscite toujours peu d’intérêt pour les milieux de la recherche et de l’éducation (Robertson, 2020). Au Québec, où l’entrée à l’enseignement supérieur s’effectue majoritairement au collégial, cette population représente entre 8 % et 10 % de l’effectif étudiant des collèges (Richard et al., 2023). Sur le plan de la réussite scolaire, le taux de diplomation des étudiantes et étudiants adultes au collégial est plus faible que celui de leurs pairs plus jeunes (Richard, 2018).
Il est nécessaire de considérer, d’abord, que les besoins du Québec en matière de main-d’œuvre qualifiée sont de plus en plus importants et, ensuite, que le développement des compétences adaptées aux exigences du marché du travail se réalise de plus en plus dans une logique d’apprentissage tout au long de la vie. Ainsi, des actions concrètes pour contribuer au rehaussement des compétences et à la requalification sont nécessaires pour permettre aux jeunes et aux moins jeunes d’obtenir les diplômes d’études postsecondaires correspondant aux exigences du marché de l’emploi et à leurs désirs d’épanouissement professionnel.
C’est dans ce contexte qu’il apparaît pertinent de mieux comprendre les difficultés vécues par les étudiantes et étudiants adultes au collégial afin de favoriser leur persévérance durant les études et leur réussite.
Le modèle de Cross (1974) est largement utilisé pour analyser les difficultés des adultes au postsecondaire. Il s’articule autour de trois types d’obstacles : situationnels, dispositionnels et institutionnels. Ces obstacles représentent des problèmes souvent relevés par les chercheurs et chercheuses pour décrire les réalités des adultes dans l’enseignement supérieur (Fairchild, 2003).
Une enquête longitudinale pour suivre l’expérience collégiale
Les personnes participantes ont été invitées à remplir un questionnaire par semestre pour un total de cinq questionnaires. À partir du deuxième semestre, elles devaient se prononcer sur les difficultés vécues pendant leurs études sur la base de 23 choix de difficultés préétablis d’ordre situationnel, dispositionnel et institutionnel. Pour l’analyse, ces difficultés ont été mises en relation avec trois caractéristiques : 1) le genre (féminin, masculin), 2) la situation parentale (avec enfants, sans enfant) et 3) l’emploi rémunéré (occuper un emploi pendant les études, ne pas avoir d’emploi).
Les difficultés situationnelles, soit l’articulation des différentes responsabilités, sont les plus importantes.
Ce sont principalement les difficultés de nature situationnelle qui sont plus largement identifiées par les étudiantes et étudiants adultes. C’est l’articulation de leurs différentes responsabilités extrascolaires, notamment celles familiales, professionnelles et financières qui semblent apporter le plus de difficultés. Les personnes répondantes ont le sentiment de manquer de temps pour les études, pour le travail (ce qui entraîne des problèmes financiers) et pour la famille (moins d’implication auprès des enfants et du ou de la partenaire de vie). La réorganisation du mode de vie provoque une augmentation du stress, des problèmes de sommeil et de moins bonnes habitudes alimentaires.
Le tableau suivant montre plus en détail que ce sont les difficultés situationnelles qui sont principalement identifiées par les personnes répondantes :
Certaines difficultés s’accroissent et s’entrecroisent durant le parcours scolaire.
Des difficultés prennent significativement de l’importance d’un semestre à l’autre.
Réaliser des travaux d’équipe réfère principalement à l’aspect organisationnel de gérer différents travaux avec d’autres personnes étudiantes; alors que la capacité de réaliser des travaux renvoie aux aptitudes et compétences de la personne étudiante adulte. Cette difficulté peut aussi être considérée sous l’angle situationnel, car elle peut être due au manque de temps. Faire les tâches ménagères et s’occuper des personnes à charge, notamment des enfants, sont aussi des difficultés de nature situationnelle et réfèrent à l’articulation des obligations familiales et des études. Endurer le manque de discipline en classe fait écho aux relations des adultes avec leurs pairs plus jeunes. Les étudiantes et étudiants adultes au collégial perçoivent parfois négativement leurs pairs moins âgés. Ils leur reprochent notamment un manque d’assiduité dans leur travail scolaire, une faible maturité, et insistent sur les difficultés associées à la réalisation des travaux en équipe.
Les femmes et les parents étudiants identifient davantage de difficultés.
Parmi les profils d’étudiantes et d’étudiants adultes étudiés, deux identifient davantage de difficultés : les femmes et les parents étudiants. D’abord, les étudiantes déclarent dans des proportions plus importantes rencontrer les difficultés suivantes : maintenir de saines habitudes de vie, trouver du temps pour se reposer, gérer son stress, faire les tâches ménagères, trouver le temps pour effectuer les travaux hors classe, concilier études et obligations parentales, se préparer pour les évaluations ainsi que s’investir dans ses études selon les exigences du programme. Ensuite, pour les parents étudiants, on retrouve les difficultés suivantes : concilier les études et les obligations parentales, faire les tâches ménagères, s’occuper des personnes à charge, trouver du temps pour se reposer et trouver le temps pour effectuer les travaux hors classe.
Les difficultés identifiées s’entrecroisent et ne doivent pas être considérées individuellement.
Si les difficultés situationnelles sont les plus fréquemment identifiées par les étudiantes et les étudiants adultes au collégial, dans une moindre mesure des difficultés dispositionnelles et des difficultés institutionnelles sont aussi présentes.
Ces difficultés ne doivent pas être abordées de manière individuelle et les obstacles qui en découlent ne doivent pas être vus en silos, car les frontières entre ces difficultés sont généralement ténues et poreuses. Par exemple, une difficulté d’ordre situationnel liée à la coordination des obligations parentales, des études et du travail rémunéré peut être exacerbée par des règles institutionnelles (Keith, 2007) d’un programme d’études concernant l’obligation de présence ou de participation à certaines activités ou des exigences liées aux travaux d’équipe. Ainsi, les obstacles s’entrecroisent et se potentialisent entre eux pour façonner les difficultés rencontrées par les étudiantes et étudiants adultes.
Des profils étudiants qui sont marqués par des caractéristiques hétérogènes.
Les profils des adultes qui étudient au collégial sont hétérogènes formant non pas « une », mais « des » populations étudiantes adultes. Si le genre, la situation de parentalité et l’occupation d’un emploi sont les caractéristiques analysées dans notre recherche, d’autres caractéristiques pourraient aussi enrichir les profils comme la moyenne générale au secondaire, la situation de handicap, les antécédents scolaires, le groupe d’âge, le lieu de naissance, le statut de persévérant/décrocheur et le statut socioéconomique. Afin de favoriser la persévérance et la réussite des étudiantes et étudiants adultes au collégial, un ensemble de caractéristiques doit être pris en compte pour une meilleure compréhension des difficultés vécues.
Afin de tenir compte des enjeux organisationnels des populations étudiantes adultes et de l’hétérogénéité de leurs profils et afin d’adapter le régime éducatif collégial à leur réalité, quelques actions peuvent être mises en place par les établissements d’enseignement supérieur et le personnel œuvrant auprès de ces populations étudiantes :
Doray, P., Bélanger, P. et Mason, L. (2005). Entre hier et demain : carrières et persévérance scolaires des adultes dans l’enseignement technique. Lien social et Politiques, 54, 75-89.
Lapointe Therrien, I. et Richard, É. (2021). Les étudiants adultes au collégial. Les comprendre pour mieux les soutenir. Pédagogie collégiale, 35(1), 16-24.
Richard, É. (2022). Qui sont les personnes étudiantes adultes à l’enseignement supérieur collégial québécois ? Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 24(3), 123-144.
Caruth, G. D. (2014). Meeting the needs of older students in higher education. Participatory Educational Research, 1(2), 21-35.
Cross, K. (1974). Lowering the barriers for adult learners. The Liberal Arts College and the Experienced Learner, 2-13.
Doutreloux, E. (2023). Obstacles d’accès à l’enseignement collégial : que nous apprennent les personnes allophones issues de l’immigration récente ? Relais. La revue de vulgarisation scientifique sur la réussite en enseignement supérieur, 2.
Fairchild, E. E. (2003). Multiple roles of adult learners. New Directions for Student Services, 102, 11-16.
Keith, P. M. (2007). Barriers and nontraditional students’ use of academic and social services. College Student Journal, 41(4), 1123-1127.
Lin, X. (2016). Barriers and challenges of female adult students enrolled in higher education: A literature review. Higher Education Studies, 6(2), 119-126.
Panacci, A. G. (2017). Adult students in mixed-age postsecondary classrooms: implications for instructional approaches. College Quarterly, 20(2), 1-30.
Richard, É. (2018, 7 mai). La recherche sur les étudiants adultes : un défi conceptuel, une pertinence indéniable [communication par affiche]. 86e Congrès de l’Acfas, Chicoutimi, QC, Canada.
Richard, É., Tardif, S., Gaudreault, M. et Savard, C. (2023). Enquête sur la réussite à l’enseignement collégial à partir des données du SPEC 1 2021 : rapport de recherche spécifique portant sur les étudiantes et les étudiants de 24 ans et plus. ÉCOBES – Recherche et transfert, CRISPESH et IRIPII.
Robertson, D. L. (2020). Adult students in U.S. higher education: an evidence-based commentary and recommended best practices. Innovative Higher Education, 45, 121-134.
Éditrice : Karine Vieux-Fort
Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Catherine Charron
Révision linguistique : Marie-Eve Cloutier
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À propos de l'auteur
Éric Richard
Professeur-chercheur au Département de sociologie
Cégep du Vieux Montréal
Éric Richard est professeur de sociologie au Cégep du Vieux Montréal, chercheur affilié au Centre d’Étude des COnditions de vie et des BESoins de la population (ÉCOBES) et membre régulier de l’Observatoire Jeunes et Société. Il enseigne la sociologie dans le réseau collégial depuis 2001 et y mène des travaux de recherche depuis 2005. En plus de ses intérêts pour la pédagogie, ses travaux se sont intéressés aux étudiantes et étudiants inscrits au programme de Techniques policières, à la mobilité intraprovinciale des cégépiennes et cégépiens, à la population étudiante adulte, aux réalités LGBTQ+ et aux questions du bien-être alimentaire des populations étudiantes. Ses intérêts de recherche concernent les « jeunes » à travers les questions de la mobilité, de l’intégration, de la formation et des conditions de vie.