Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à comprendre comment différentes caractéristiques, réalités et expériences d’étudiantes et d’étudiants adultes influencent leur parcours scolaire au collégial.

Pour plus de détails, consulter : Richard, É. (2023). Difficultés rencontrées par les étudiants adultes au collégial. Revue canadienne d’enseignement supérieur, 53(2), 15-31.

Contexte 

Les populations étudiantes adultes : des effectifs en croissance, mais souvent ignorés

La population étudiante adulte à l’enseignement postsecondaire a connu une croissance rapide au cours des dernières décennies (Caruth, 2014), notamment au Canada (Panacci, 2017). Néanmoins, elle suscite toujours peu d’intérêt pour les milieux de la recherche et de l’éducation (Robertson, 2020). Au Québec, où l’entrée à l’enseignement supérieur s’effectue majoritairement au collégial, cette population représente entre 8 % et 10 % de l’effectif étudiant des collèges (Richard et al., 2023). Sur le plan de la réussite scolaire, le taux de diplomation des étudiantes et étudiants adultes au collégial est plus faible que celui de leurs pairs plus jeunes (Richard, 2018).

Il est nécessaire de considérer, d’abord, que les besoins du Québec en matière de main-d’œuvre qualifiée sont de plus en plus importants et, ensuite, que le développement des compétences adaptées aux exigences du marché du travail se réalise de plus en plus dans une logique d’apprentissage tout au long de la vie. Ainsi, des actions concrètes pour contribuer au rehaussement des compétences et à la requalification sont nécessaires pour permettre aux jeunes et aux moins jeunes d’obtenir les diplômes d’études postsecondaires correspondant aux exigences du marché de l’emploi et à leurs désirs d’épanouissement professionnel.

C’est dans ce contexte qu’il apparaît pertinent de mieux comprendre les difficultés vécues par les étudiantes et étudiants adultes au collégial afin de favoriser leur persévérance durant les études et leur réussite.

Concept clé 

Mieux comprendre les types de difficultés rencontrées par les étudiantes et étudiants adultes grâce au modèle de Cross

Le modèle de Cross (1974) est largement utilisé pour analyser les difficultés des adultes au postsecondaire. Il s’articule autour de trois types d’obstacles : situationnels, dispositionnels et institutionnels. Ces obstacles représentent des problèmes souvent relevés par les chercheurs et chercheuses pour décrire les réalités des adultes dans l’enseignement supérieur (Fairchild, 2003).

Méthodologie

Une enquête longitudinale pour suivre l’expérience collégiale

  • Type de recherche : quantitative longitudinale
  • Population étudiée : 1015 étudiantes et étudiants du collégial âgés de 24 ans et plus
  • Lieux et période de la recherche : 25 cégeps et collèges privés subventionnés, pendant 5 sessions soit du semestre d’automne 2020 au semestre d’automne 2022

Les personnes participantes ont été invitées à remplir un questionnaire par semestre pour un total de cinq questionnaires. À partir du deuxième semestre, elles devaient se prononcer sur les difficultés vécues pendant leurs études sur la base de 23 choix de difficultés préétablis d’ordre situationnel, dispositionnel et institutionnel. Pour l’analyse, ces difficultés ont été mises en relation avec trois caractéristiques : 1) le genre (féminin, masculin), 2) la situation parentale (avec enfants, sans enfant) et 3) l’emploi rémunéré (occuper un emploi pendant les études, ne pas avoir d’emploi).

Résultats

Des situations de vie qui rendent le parcours scolaire plus ardu

Les difficultés situationnelles, soit l’articulation des différentes responsabilités, sont les plus importantes.

Ce sont principalement les difficultés de nature situationnelle qui sont plus largement identifiées par les étudiantes et étudiants adultes. C’est l’articulation de leurs différentes responsabilités extrascolaires, notamment celles familiales, professionnelles et financières qui semblent apporter le plus de difficultés. Les personnes répondantes ont le sentiment de manquer de temps pour les études, pour le travail (ce qui entraîne des problèmes financiers) et pour la famille (moins d’implication auprès des enfants et du ou de la partenaire de vie). La réorganisation du mode de vie provoque une augmentation du stress, des problèmes de sommeil et de moins bonnes habitudes alimentaires.

Le tableau suivant montre plus en détail que ce sont les difficultés situationnelles qui sont principalement identifiées par les personnes répondantes :

Titre du Tableau 2 : Pourcentage des difficultés identifiées par les personnes étudiantes sondées Les difficultés sont listées dans un tableau avec entre parenthèses le type de difficulté associée : situationnelle, dispositionnelle ou institutionnelle. À droite de chaque difficulté se trouvent la valeur en pourcentage au deuxième semestre et la valeur en pourcentage de la moyenne des semestres subséquents. Maintenir de saines habitudes de vie (situationnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 66,8 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 65,4 Trouver du temps pour me reposer (situationnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 65,9 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 60,2 Gérer mon stress (dispositionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 58,5 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 49,6 Maintenir une vie sociale (situationnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 56,5 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 54,6 Faire les tâches ménagères (situationnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 53,4 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 58,7 Gérer mon temps (dispositionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 49,9 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 47,5 Concilier études et travail rémunéré (situationnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 46,5 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 38,8 Trouver le temps pour faire les travaux hors classe (situationnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 43,7 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 43,6 Concilier études et obligations parentales (situationnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 35,4 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 30,1 Développer des relations avec d’autres étudiant(e)s (dispositionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 33,1 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 24,0 Me préparer pour les évaluations (dispositionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 31,8 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 34,8 Retenir la matière (problème de mémoire) (dispositionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 25,8 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 26,2 Réaliser des travaux d’équipe avec d’autres étudiant(e)s (situationnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 25,2 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 37,1 Être capable de réaliser mes travaux (dispositionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 24,6 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 31,2 Comprendre la matière (dispositionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 18,7 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 11,0 M’investir dans mes études selon les exigences du programme (institutionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 17,4 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 22,8 M’occuper des personnes à ma charge (situationnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 15,0 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 21,4 Prendre des notes pendant les cours (dispositionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 14,4 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 13,2 M’adapter sur le plan technologique (dispositionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 14,4 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 7,9 M’adapter aux exigences des professeur(e)s (institutionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 11,7 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 13,9 Endurer le manque de discipline en classe (institutionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 9,9 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 18,1 Me familiariser avec les exigences de mon programme (institutionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 8,3 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 7,6 Me familiariser avec les règles du collège (institutionnelle) : pourcentage au deuxième semestre : 2,2 et pourcentage de la moyenne des semestres subséquents : 1,9

Certaines difficultés s’accroissent et s’entrecroisent durant le parcours scolaire.

Des difficultés prennent significativement de l’importance d’un semestre à l’autre.

Titre du Graphique 1 : Difficultés prenant significativement de l’importance au fil des semestres (p

Réaliser des travaux d’équipe réfère principalement à l’aspect organisationnel de gérer différents travaux avec d’autres personnes étudiantes; alors que la capacité de réaliser des travaux renvoie aux aptitudes et compétences de la personne étudiante adulte. Cette difficulté peut aussi être considérée sous l’angle situationnel, car elle peut être due au manque de temps. Faire les tâches ménagères et s’occuper des personnes à charge, notamment des enfants, sont aussi des difficultés de nature situationnelle et réfèrent à l’articulation des obligations familiales et des études. Endurer le manque de discipline en classe fait écho aux relations des adultes avec leurs pairs plus jeunes. Les étudiantes et étudiants adultes au collégial perçoivent parfois négativement leurs pairs moins âgés. Ils leur reprochent notamment un manque d’assiduité dans leur travail scolaire, une faible maturité, et insistent sur les difficultés associées à la réalisation des travaux en équipe.

Les femmes et les parents étudiants identifient davantage de difficultés.

Parmi les profils d’étudiantes et d’étudiants adultes étudiés, deux identifient davantage de difficultés : les femmes et les parents étudiants. D’abord, les étudiantes déclarent dans des proportions plus importantes rencontrer les difficultés suivantes : maintenir de saines habitudes de vie, trouver du temps pour se reposer, gérer son stress, faire les tâches ménagères, trouver le temps pour effectuer les travaux hors classe, concilier études et obligations parentales, se préparer pour les évaluations ainsi que s’investir dans ses études selon les exigences du programme. Ensuite, pour les parents étudiants, on retrouve les difficultés suivantes : concilier les études et les obligations parentales, faire les tâches ménagères, s’occuper des personnes à charge, trouver du temps pour se reposer et trouver le temps pour effectuer les travaux hors classe.

Que retenir de nos résultats ?

Pour une meilleure compréhension des difficultés vécues et des profils étudiants adultes

Les difficultés identifiées s’entrecroisent et ne doivent pas être considérées individuellement.  

Si les difficultés situationnelles sont les plus fréquemment identifiées par les étudiantes et les étudiants adultes au collégial, dans une moindre mesure des difficultés dispositionnelles et des difficultés institutionnelles sont aussi présentes.

Ces difficultés ne doivent pas être abordées de manière individuelle et les obstacles qui en découlent ne doivent pas être vus en silos, car les frontières entre ces difficultés sont généralement ténues et poreuses. Par exemple, une difficulté d’ordre situationnel liée à la coordination des obligations parentales, des études et du travail rémunéré peut être exacerbée par des règles institutionnelles (Keith, 2007) d’un programme d’études concernant l’obligation de présence ou de participation à certaines activités ou des exigences liées aux travaux d’équipe. Ainsi, les obstacles s’entrecroisent et se potentialisent entre eux pour façonner les difficultés rencontrées par les étudiantes et étudiants adultes.

Des profils étudiants qui sont marqués par des caractéristiques hétérogènes.

Les profils des adultes qui étudient au collégial sont hétérogènes formant non pas « une », mais « des » populations étudiantes adultes. Si le genre, la situation de parentalité et l’occupation d’un emploi sont les caractéristiques analysées dans notre recherche, d’autres caractéristiques pourraient aussi enrichir les profils comme la moyenne générale au secondaire, la situation de handicap, les antécédents scolaires, le groupe d’âge, le lieu de naissance, le statut de persévérant/décrocheur et le statut socioéconomique. Afin de favoriser la persévérance et la réussite des étudiantes et étudiants adultes au collégial, un ensemble de caractéristiques doit être pris en compte pour une meilleure compréhension des difficultés vécues.   

Pistes de recherche

  • Documenter l’influence d’éléments contextuels entourant le retour aux études, tels que le parcours scolaire antérieur, le soutien du ou de la partenaire de vie ou d’autres personnes significatives sur le parcours collégial des populations étudiantes adultes.

  • Étudier plus finement, par des approches qualitatives, les défis rencontrés par différents profils d’étudiantes et d’étudiants adultes, notamment les parents étudiants, les mères monoparentales et les personnes étudiantes issues de l’immigration récente (étudiantes et étudiants internationaux ou résidents permanents) (Lin, 2016; Robertson, 2020; Doutreloux, 2023).

  • Cerner comment les différents obstacles situationnels, dispositionnels et institutionnels se potentialisent entre eux et comment ils peuvent influencer les décisions d’abandon des études par les populations étudiantes adultes.

Pour approfondir le sujet

Doray, P., Bélanger, P. et Mason, L. (2005). Entre hier et demain : carrières et persévérance scolaires des adultes dans l’enseignement technique. Lien social et Politiques, 54, 75-89.

Lapointe Therrien, I. et Richard, É. (2021). Les étudiants adultes au collégial. Les comprendre pour mieux les soutenir. Pédagogie collégiale, 35(1), 16-24.

Richard, É. (2022). Qui sont les personnes étudiantes adultes à l’enseignement supérieur collégial québécois ? Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 24(3), 123-144.


Références

Caruth, G. D. (2014). Meeting the needs of older students in higher education. Participatory Educational Research, 1(2), 21-35.

Cross, K. (1974). Lowering the barriers for adult learners. The Liberal Arts College and the Experienced Learner, 2-13.

Doutreloux, E. (2023). Obstacles d’accès à l’enseignement collégial : que nous apprennent les personnes allophones issues de l’immigration récente ? Relais. La revue de vulgarisation scientifique sur la réussite en enseignement supérieur, 2.

Fairchild, E. E. (2003). Multiple roles of adult learners. New Directions for Student Services, 102, 11-16.

Keith, P. M. (2007). Barriers and nontraditional students’ use of academic and social services. College Student Journal, 41(4), 1123-1127.

Lin, X. (2016). Barriers and challenges of female adult students enrolled in higher education: A literature review. Higher Education Studies, 6(2), 119-126.

Panacci, A. G. (2017). Adult students in mixed-age postsecondary classrooms: implications for instructional approaches. College Quarterly, 20(2), 1-30.

Richard, É. (2018, 7 mai). La recherche sur les étudiants adultes : un défi conceptuel, une pertinence indéniable [communication par affiche]. 86e Congrès de l’Acfas, Chicoutimi, QC, Canada.

Richard, É., Tardif, S., Gaudreault, M. et Savard, C. (2023). Enquête sur la réussite à l’enseignement collégial à partir des données du SPEC 1 2021 : rapport de recherche spécifique portant sur les étudiantes et les étudiants de 24 ans et plus. ÉCOBES – Recherche et transfert, CRISPESH et IRIPII.

Robertson, D. L. (2020). Adult students in U.S. higher education: an evidence-based commentary and recommended best practices. Innovative Higher Education, 45, 121-134.


Mentions de responsabilité

Éditrice : Karine Vieux-Fort 

Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Catherine Charron

Révision linguistique : Marie-Eve Cloutier

Cet article est rendu disponible selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA 4.0.

ISSN 2817-2817