Emilie Doutreloux
Professeure adjointe au Département des fondements et pratiques en éducation de la Faculté des sciences de l’éducation
Université Laval
Numéro 2 – 2023
Pour citer cet article
Emilie Doutreloux
Professeure adjointe au Département des fondements et pratiques en éducation de la Faculté des sciences de l’éducation
Université Laval
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Équité, diversité et inclusion (EDI) : au cœur de la réussite étudiante
Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à identifier les obstacles institutionnels d’accès à l’enseignement supérieur collégial des personnes allophones issues de l’immigration récente et à proposer de nouvelles façons de faire pour favoriser leur accès.
Pour plus de détails, consulter : Doutreloux, E. (2023, à paraître). Discrimination systémique à l’enseignement supérieur collégial : une grille d’analyse pour modifier les pratiques institutionnelles. Revue ERADE. Enseignement et recherche en administration de l’éducation.
En 1964, la Commission royale d’enquête sur l’enseignement publiait son rapport phare, le Rapport Parent, qui dénonçait avec véhémence les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur au Québec. Fortement animées par les principes d’équité et de justice sociale, les recommandations de la Commission ont mené à la création des cégeps afin que toute personne désirant poursuivre des études puisse le faire, quelle que soit sa provenance (Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, 2004).
Bien que cet accès inédit à l’enseignement supérieur ait bénéficié aux femmes, aux francophones et aux personnes issues de milieux défavorisés (Eckert, 2010), plusieurs recherches montrent que les inégalités sociales d’accès à l’enseignement supérieur subsistent aujourd’hui et que les efforts déployés n’effacent pas pour autant les mécanismes de discrimination systémique qui affectent particulièrement les groupes minoritaires et marginalisés en éducation (Ratel et Pilote, 2017; Kamanzi, Goastellec et Picard, 2017).
À cet effet, les personnes allophones issues de l’immigration récente sont désavantagées par rapport à leurs concitoyennes issues des groupes majoritaires lorsqu’elles envisagent rejoindre un programme d’études préuniversitaires ou techniques au collégial puisqu’elles se trouvent à l’intersection de trois formes de catégorisation : soit être issue de l’immigration, ne pas avoir été scolarisé dans la langue de la société d’accueil, et avoir tout récemment débuté leur vie dans une nouvelle société.
On dénombre dans la littérature plusieurs types d’égalité compris dans la notion « égalité des chances en éducation » : l’égalité d’accès, l’égalité des acquis, l’égalité des résultats et l’égalité de traitement (Doutreloux, 2020). Notre projet de recherche interpelle le concept d’égalité d’accès qui désigne une situation où tous les individus ont les mêmes chances d’accéder à des services dans un système d’éducation (Conseil supérieur de l’éducation, 2016). Son objectif est de garantir le droit à l’instruction, indépendamment des frais de scolarité ou des situations individuelles ou familiales (Verhoeven, Orianne et Dupriez, 2007). Cela suppose l’accès à l’information et l’accès géographique et physique à un établissement d’enseignement (Legendre, 2005). L’égalité d’accès représente la mère de toutes les égalités face à l’école (Dupriez et Verhoeven, 2006).
L’expérience vécue des personnes discriminées comme point de départ
En plus d’identifier les obstacles institutionnels d’accès à l’enseignement collégial, nos travaux souhaitaient donner la parole à des personnes historiquement moins entendues; ceci, dans une perspective d’émancipation.
Ainsi, nous avons déployé une étude multicas et mené dix entrevues semi-dirigées. Nous avons utilisé une analyse thématique fermée pour faire ressortir les quatre catégories d’obstacles institutionnels théorisés par Cross (1981), soit ceux liés aux programmes, aux politiques, aux procédures et aux pratiques qui régissent le contexte d’enseignement. Le tout a été validé par les personnes allophones participant à la recherche.
Des éléments problématiques relatifs à l’accès aux études collégiales des personnes allophones issues de l’immigration récente ont été recensés au sein : 1) des programmes, 2) des politiques, 3) des pratiques et 4) des procédures qui régissent le contexte d’enseignement collégial.
Deux principaux obstacles liés (1) aux programmes ont émergé : le manque de flexibilité dans la reconnaissance des cours complétés à l’extérieur du Québec et l’annulation fréquente du cours d’amélioration du français faisant partie du cheminement Tremplin DEC. Au sujet (2) des politiques, des irritants existent au niveau du coût élevé des traductions et du test de classement en français1. Pour ce qui est (3) des pratiques en place, les principaux problèmes identifiés mentionnent l’emplacement prévu pour la passation du test de classement en français et le manque de soutien relatif au processus d’admission. Finalement, au chapitre (4) des procédures, nous avons noté des difficultés au niveau de la durée du processus d’admission, de l’accès à la documentation requise pour compléter le processus (relevés de notes, diplômes, descriptions de cours et de programmes), puis de l’accès à l’information sur le programme, les tests et les exigences.
Toutes catégories d’obstacles institutionnels confondues, cinq freins s’avèrent plus importants pour les personnes allophones.
L’obstacle qui revient le plus souvent est le manque de soutien.
Les personnes ont témoigné avoir besoin de soutien avant et pendant le processus d’admission. On réfère ici au manque de soutien dans les procédures administratives, des lacunes sur le plan de l’information et de l’accompagnement des personnes étudiantes par les services du Cégep, notamment à propos des tests de classement et des exigences des programmes. En ce qui concerne le test de classement en français, plusieurs parlent des effets de déclassement, des conditions de passation difficiles et du stress associé au test. Les résultats ont aussi fait ressortir un problème important au niveau de l’accès à l’information, du processus de reconnaissance des diplômes obtenus à l’extérieur du pays et finalement, du long délai entre le début de la planification du projet d’études et la confirmation de l’admission.
Les établissements d’enseignement gagnent à valoriser les résultats de la recherche et à apporter des modifications à leurs politiques pour favoriser une meilleure accessibilité des personnes allophones issues de l’immigration récente.
Avide de suggestions pour rendre ses pratiques plus équitables et inclusives, la Commission des études du Cégep de l’Outaouais, conseillée par la Direction des études, le comité du cheminement Tremplin DEC et l’assemblée départementale de Français, a apporté des modifications à ses politiques à la suite de nos travaux de recherche.
Deux modifications ont ainsi été effectuées :
Le repérage des obstacles institutionnels d’accès aux études collégiales touchant les populations étudiantes vulnérabilisées peut être effectué grâce à un examen des procédures.
Découlant de notre recherche, une grille d’analyse a été construite comme un outil d’examen des procédures. Cette grille s’adresse au personnel de l’enseignement supérieur.
Il est suggéré d’effectuer une analyse des pratiques à partir de chacune des rubriques de la grille. Afin d’optimiser les résultats, cette analyse devrait être réalisée à l’intérieur d’un comité représentatif de la diversité de la population étudiante dans le but de favoriser les points de vue pluriels.
La participation au projet de recherche a permis aux personnes allophones d’affirmer un sentiment accru d’autonomisation et d’émancipation (empowerment).
Le rôle prépondérant qu’ont joué les personnes allophones dans les différentes étapes de la recherche a généré chez elles un sentiment de démarginalisation (Mayoux, 1998). Elles ont souligné leur sensation de pouvoir et d’influence vis-à-vis des situations sur lesquelles elles n’avaient auparavant pas de prise.
1 À l’instar de quelques autres établissements du réseau collégial, le Cégep de l’Outaouais exige un test de classement en français pour les personnes candidates allophones ayant complété l’équivalent d’un diplôme d’études secondaires (DES) dans un établissement scolaire non francophone. Un seuil minimal d’entrée est établi localement.
Doutreloux, E. (2023, à paraître). Discrimination systémique à l’enseignement supérieur collégial : une grille d’analyse pour modifier les pratiques institutionnelles. Revue ERADE. Enseignement et recherche en administration de l’éducation.
Doutreloux, E. (2023, à paraître). Égalité d’accès à l’enseignement supérieur : la situation des personnes migrantes. Dans R. Gonzalez Delgado, D. Groulx, E. Voulgre, M-F. Fafard et M. Castisano (dir.), Quelles inégalités en éducation dans le monde ? (p. 178-184). L’Harmattan.
Doutreloux, E. (2020). Égalité d’accès à l’enseignement collégial : le cas des allophones issus de l’immigration récente étudié par une équipe de recherche-action participative [thèse de doctorat, Université de Sherbrooke].
Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (2004). Rapport Parent. Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec.
Conseil supérieur de l’éducation (2016). Remettre le cap sur l’équité : Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016. Le Conseil.
Cross, K. P. (1981). Adults as Learners. Jossey-Bass.
Doutreloux, E. (2020). Égalité d’accès à l’enseignement collégial : le cas des allophones issus de l’immigration récente étudié par une équipe de recherche-action participative [thèse de doctorat, Université de Sherbrooke].
Dupriez, V. et Verhoeven, M. (2006). Débat sur l’égalité à l’école. Fondements normatifs et politiques éducatives en Belgique francophone. Les Temps Modernes, 637-638-639(3), 479-501.
Eckert, H. (2010). Le cégep et la démocratisation de l’école au Québec, au regard des appartenances socioculturelles et de genre. Revue des sciences de l’éducation, 36(1), 149-168.
Kamanzi, P. C., Goastellec, G. et Picard, F. (2017). L’envers du décor : Massification de l’enseignement supérieur et justice sociale. Presses de l’Université du Québec.
Legendre, R. (2005). Dictionnaire actuel de l’éducation. Guérin.
Mayoux, L. (1998). L’empowerment des femmes contre la viabilité ? Vers un nouveau paradigme dans les programmes de microcrédit. Dans Y. Preiswerk (dir.), Les silences pudiques de l’économie : économie et rapports sociaux entre hommes et femmes (p. 7397). Commission nationale suisse pour l’Unesco.
Ratel, J.-L. et Pilote, A. (2017). Les parcours universitaires et l’identité autochtone chez les étudiants des Premières Nations au Québec. Dans P. C. Kamanzi, G. Goastellec et F. Picard (dir.), L’envers du décor : Massification de l’enseignement supérieur et justice sociale (p. 169-186). Presses de l’Université du Québec.
Verhoeven, M., Orianne, J.-F. et Dupriez, V. (2007). Vers des politiques d’éducation « capacitantes » ? Formation emploi : Revue française de sciences sociales, 98, 93-108.
Éditrice : Karine Vieux-Fort
Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Amélie Descheneau-Guay
Révision linguistique : Sandrine Bourget-Lapointe
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À propos de l'autrice
Emilie Doutreloux
Professeure adjointe au Département des fondements et pratiques en éducation de la Faculté des sciences de l’éducation
Université Laval
Emilie Doutreloux est titulaire de la Chaire de leadership en enseignement en équité, diversité et inclusion en éducation – Banque Nationale et professeure au Département des fondements et pratiques en éducation à l’Université Laval. Auparavant, elle a travaillé pendant plus de 15 ans au sein du réseau collégial québécois en tant que conseillère pédagogique où elle a contribué au développement du créneau de l’équité, de la diversité et de l’inclusion, tant auprès du personnel enseignant que de la direction.
Au cours des années, elle a acquis une expertise dans les questions d’égalité des chances, d’équité, de discrimination et d’inclusion, ce qui l’a amenée à collaborer avec plusieurs centres de recherche, observatoires, associations, ministères et établissements d’enseignement supérieur. Elle est référente en genre et inclusion au programme APPRENDRE de l’Agence universitaire de la francophonie et siège à la Commission de l’enseignement et de la recherche au collégial du Conseil supérieur de l’éducation.
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