Mikaël De Clercq
Chercheur à l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur et professeur invité à la Faculté des sciences de l’éducation
Université catholique de Louvain
Numéro 12 - 2025
Pour citer cet article
Mikaël De Clercq
Chercheur à l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur et professeur invité à la Faculté des sciences de l’éducation
Université catholique de Louvain
Justine Jacquemart
Doctorante à la Faculté de psychologie et à la Faculté des sciences de l’éducation
Université catholique de Louvain
Benoît Galand
Professeur à la Faculté des sciences de l’éducation
Université catholique de Louvain
Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à examiner le rôle des pratiques enseignantes autorapportées sur la réussite académique en première année à l’université.
Pour plus de détails, consulter : Jacquemart, J., De Clercq, M. et Galand, B. (2024). The black box revelation of instructional practices: a mixed study of the transition to HE. European Journal of Higher Education, 1-22.
L’entrée dans l’enseignement supérieur est une étape complexe pour les personnes étudiantes (Trautwein et Bosse, 2017). Elles peuvent vivre beaucoup d’abandons et d’échecs (Heublein, 2014). Cette première année constitue donc un moment charnière dans leur parcours d’études où une attention particulière est portée sur leur processus de réussite (Van Rooij et al., 2018).
Au moins trois catégories de facteurs peuvent expliquer la réussite en enseignement supérieur (Richardson et al., 2012; Schneider et Preckel, 2017) :
les caractéristiques des étudiants et étudiantes : le genre, le statut socioéconomique, les résultats au secondaire, etc.
les facteurs psychosociaux : l’engagement, les émotions, les croyances en l’efficacité personnelle, etc.
l’environnement d’apprentissage : les dispositifs pédagogiques, les caractéristiques du cours et les pratiques enseignantes, etc.
Si la majorité des recherches se concentrent sur les deux premières catégories de facteurs, le rôle de l’environnement d’apprentissage, et particulièrement des personnes enseignantes, sur la réussite en enseignement supérieur est moins étudié (Van Rooij et al., 2018; Dupont et al., 2015). Nous comblons cette lacune en analysant en détail le rôle des pratiques enseignantes sur la réussite. Notre étude fournit également des pistes d’action pour mieux soutenir la réussite étudiante dès la première année d’études universitaires.
Les pratiques enseignantes sont l’ensemble des actions mises en œuvre par le corps enseignant (consciemment ou non) en interaction (physique ou virtuelle) avec les étudiantes et étudiants d’un cours (Jacquemart et al., 2023).
Nous distinguons quatre types de pratiques enseignantes particulièrement pertinentes :
Une méthode mixte pour étudier les pratiques enseignantes de façon appronfondie
Un questionnaire a mesuré les pratiques rapportées par 18 personnes enseignantes. Un autre questionnaire a mesuré le bagage (le genre, le statut socioéconomique, les notes au secondaire) de 932 étudiantes et étudiants de première année ainsi que leurs caractéristiques psychosociales. L’effet sur la réussite (mesurée par les notes) en fin d’année a été analysé via des analyses multiniveaux. Huit groupes de discussion ont permis de recueillir les perceptions de 40 étudiantes et étudiants sur le rôle des pratiques enseignantes dans leur réussite en première année.
Les pratiques enseignantes jouent un rôle dans la réussite étudiante.
Les résultats des analyses quantitatives suggèrent que 27,5 % de la variation dans les notes des étudiantes et étudiants en première année est liée au contexte de cours (ex. : pratiques en classe, taille de l’auditoire, approche pédagogique). Les pratiques enseignantes pourraient donc être un levier pour la réussite académique en première année à l’université.
Trois dimensions des pratiques enseignantes sont associées à la réussite.
L’analyse des pratiques rapportées par les personnes enseignantes montre que le soutien pédagogique (β=.47 ; p<.01[1]) et le soutien socioémotionnel (β=.36 ; p<.01) sont positivement associés à la réussite lors de la première année d’études à l’université. Aussi, plus les enseignantes et enseignants déclarent favoriser un climat positif et une compréhension du cours, plus les notes des étudiantes et étudiants sont élevées. En revanche, une trop grande attention sur la gestion de classe est négativement associée à la réussite des personnes étudiantes (β=-.22 ; p<.01). L’ensemble de ces pratiques permettent d’expliquer 65,3 % de la variation de la réussite étudiante entre les cours.
[1] « β » ou coefficient bêta, représente la force de l’effet d’une variable sur une autre. Il s’étend entre -1 et +1. Au plus, sa valeur se rapproche de 1 ou de -1, au plus la relation entre les deux variables est forte. « p » réfère à la p-valeur. Une p-valeur inférieure à 0.05 signifie qu’une relation entre deux variables est significative.
Les personnes étudiantes identifient cinq pratiques enseignantes qui contribuent à leur réussite.
Les groupes de discussion offrent des précisions sur les pratiques enseignantes que les étudiants et étudiantes jugent les plus contributives à leur réussite en première année.
Cinq pratiques susceptibles de favoriser l’engagement, la motivation et la compréhension en profondeur du contenu des cours sont nommées par les participantes et participants :
Les personnes enseignantes devraient renforcer le soutien pédagogique et le soutien socioémotionnel pour soutenir la réussite.
Le soutien pédagogique peut être renforcé par une plus grande flexibilité sur le déroulé de cours, un effort de clarté dans la leçon, l’identification claire des attentes ou encore une attention sur les difficultés de compréhension des personnes étudiantes.
Le soutien socioémotionnel est favorisé en considérant le point de vue de la personne étudiante, lui laissant du choix dans les activités de cours, en favorisant un climat positif et en évitant la comparaison sociale entre étudiantes et étudiants.
Des pratiques de gestion de classe trop rigides pourraient être délétères à la réussite étudiante.
Porter son attention principalement sur le fait d’avancer rapidement dans la matière et sur le respect strict des consignes (notamment le silence) pourrait limiter les possibilités d’interactions entre le corps enseignant et les personnes étudiantes, et rendre le climat de classe moins soutenant. Cette situation réduirait alors les opportunités d’apprentissage et la régulation des difficultés de compréhension.
Le pouvoir d’action de la personne enseignante ne se limite pas aux pratiques enseignantes.
Les caractéristiques et l’organisation du cours ont aussi un effet sur la réussite au-delà des pratiques adoptées pendant le cours. Par exemple, les étudiants et étudiantes ont mentionné l’importance des outils pédagogiques utilisés par l’enseignant ou l’enseignante comme les plans de cours, les outils interactifs et les diapositives. Il est donc intéressant que la personne enseignante travaille à la fois sur ses pratiques en classe et les outils pédagogiques qu’elle va proposer aux personnes étudiantes.
Pour les équipes gestionnaires
Pour le corps enseignant
De Clercq, M. et Bournaud, I. (2023). L’accompagnement étudiant dans l’enseignement supérieur : quand objectifs pédagogiques et de réussite s’entremêlent. Formation et profession. Revue scientifique internationale en éducation, 31(3), 1-3.
De Clercq, M., Frenay, M., Wouters, P. et Raucent, B. (2022). Pédagogie active dans l’enseignement supérieur : description de pratiques et repères théoriques. Peter Lang.
Jacquemart, J., De Clercq, M. et Galand, B. (2024). Développement et validation d’un protocole d’observation des pratiques enseignantes dans l’enseignement supérieur. Évaluer – Journal international de recherche en éducation et formation, 10(3), 95-129.
Dupont, S., De Clercq, M. et Galand, B. (2015). Les prédicteurs de la réussite dans l’enseignement supérieur : revue critique de la littérature en psychologie de l’éducation. Revue française de pédagogie, 191, 105-136.
Heublein, U. (2014). Student drop‐out from German higher education institutions. European Journal of Education, 49(4), 497-513.
Jacquemart, J., De Clercq, M. et Galand, B. (2023). Mieux comprendre les pratiques enseignantes en classe dans l’enseignement supérieur : proposition d’un cadre de référence. Formation et profession. Revue scientifique internationale en éducation, 31(3), 1-19.
Richardson, M., Abraham, C. et Bond, R. (2012). Psychological correlates of university students’ academic performance: a systematic review and meta-analysis. Psychological Bulletin, 138(2), 353-387.
Schneider, M. et Preckel, F. (2017). Variables associated with achievement in higher education: A systematic review of meta-analyses. Psychological Bulletin, 143(6), 565-600.
Trautwein, C. et Bosse, E. (2017). The first year in higher education—critical requirements from the student perspective. Higher Education, 73, 371-387.
Van Rooij, E., Brouwer, J., Fokkens-Bruinsma, M., Jansen, E., Donche, V. et Noyens, D. (2018). A systematic review of factors related to first-year students’ success in Dutch and Flemish higher education. Pedagogische Studiën, 94(5), 360-404.
Éditrice : Karine Vieux-Fort
Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Catherine Charron
Révision linguistique : Marie-Eve Cloutier
Cet article est rendu disponible selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA 4.0.
À propos des auteurs et de l'autrice
Mikaël De Clercq
Chercheur à l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur et professeur invité à la Faculté des sciences de l’éducation
Université catholique de Louvain
Mikaël De Clercq est expert de recherche à l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES) ainsi que professeur invité à l’Université catholique de Louvain en Belgique. Ses recherches portent d’abord sur les transitions dans l’enseignement supérieur. Un premier volet de recherche se centre sur le processus d’orientation et de préparation à l’enseignement supérieur. À ce sujet, il coordonne la mise en place d’un outil de soutien national à l’orientation (ADA) nécessitant la collaboration des universités belges francophones. Un deuxième volet aborde le rôle de l’environnement d’apprentissage et des pratiques enseignantes sur la réussite dans l’enseignement supérieur. Ce travail a permis de valider un outil d’observation systématique des pratiques enseignantes en classe (Just-Teach). Un troisième volet se concentre sur la diversité étudiante, l’inclusion et les réussites dans l’enseignement supérieur. Ces travaux lui ont permis de remporter le prix de la recherche en fédération Wallonie-Bruxelles. D’autres domaines de recherche l’animent également tels que la persévérance au doctorat, le bien-être enseignant ou la transition écologique.
Justine Jacquemart
Doctorante à la Faculté de psychologie et à la Faculté des sciences de l’éducation
Université catholique de Louvain
Justine Jacquemart est doctorante en psychologie et en sciences de l’éducation à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain, Belgique, financement FNRS). Elle travaille actuellement sous la supervision des professeurs Benoît Galand et Mikaël De Clercq. Ses recherches portent sur l’observation des pratiques enseignantes en classe dans l’enseignement supérieur et l’impact des pratiques enseignantes sur la réussite académique et l’engagement des étudiants. Les premiers travaux de sa thèse ont conduit à la conception de Just-Teach, un outil d’observation systématique des pratiques enseignantes. Titulaire d’un master en sciences de l’éducation (2021) et d’un bachelier en agrégation de l’enseignement secondaire en mathématiques (2018), Justine a enseigné les mathématiques dans le secondaire pendant trois ans, développant des dispositifs pédagogiques innovants. Passionnée par l’amélioration de la qualité de l’enseignement, elle collabore avec des enseignants et chercheurs pour concevoir des outils pédagogiques basés sur la recherche, contribuant ainsi à l’évolution des pratiques éducatives dans l’enseignement supérieur.
Benoît Galand
Professeur à la Faculté des sciences de l’éducation
Université catholique de Louvain
Benoît Galand est docteur en psychologie et professeur en sciences de l’éducation à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain). Il est membre du Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur la Socialisation, l’Éducation et la Formation (GIRSEF) et membre associé du Groupe de Recherche sur les Environnements Scolaires (GRES - Canada). Ses travaux de recherche portent sur la motivation (confiance en soi, engagement, décrochage), la socialisation (sanctions, violences, harcèlement), et l’apprentissage, de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur. Il a eu une expérience d’enseignant du secondaire et de membre du conseil d’administration d’une école. Auteur de nombreuses publications dans des revues internationales et dans des ouvrages scientifiques, il intervient régulièrement comme formateur et comme expert dans différentes instances nationales et internationales.
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