Cet article découle d’une communication scientifique qui a été présentée au colloque La réussite étudiante en enseignement supérieur au carrefour de l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) de l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur lors du 90e Congrès de l’Acfas (11 mai 2023).

Le texte fait partie de l’axe 2, intitulé Promouvoir l’éducation inclusive pour la réalisation du potentiel de chaque personne étudiante, des actes du colloque.

L’article qui suit vise à apporter un éclairage riche sur les parcours et l’expérience des apprenants et apprenantes au rapport non traditionnel avec les études dans le milieu collégial.1

1 L’autrice tient à remercier Isabelle Vachon, étudiante au doctorat en éducation à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, et Diane Yao, étudiante au doctorat professionnel en éducation à l’Université de Sherbrooke, pour leur contribution à la réalisation de la collecte des données.

Contexte 

Une population apprenante triplement vulnérable

(Souvent) Oubliée des recherches et des politiques sur l’équité, la diversité et l’inclusion, la population apprenante au rapport non traditionnel avec les études (RNTÉ) est de plus en plus présente en milieu collégial. Alors que plusieurs recherches ont pour objet l’abandon ou la persévérance en enseignement supérieur, peu de recherches s’intéressent aux apprenants et apprenantes au RNTÉ pour comprendre les évènements qui les ont amenées à reprendre des études ou pour mettre en mots les défis qui jalonnent leur expérience apprenante. Pourtant, cette tranche particulière de la population apprenante, à majorité féminine (Julien et Gosselin, 2015) et étudiant principalement en programme technique, vit dans une situation de triple vulnérabilité qu’il faut (re)connaître, nommer et prendre en compte pour soutenir adéquatement leur réussite scolaire et éducative.

La situation de triple vulnérabilité dans laquelle vivent les apprenants et apprenantes au RNTÉ permet de mettre des mots sur les obstacles systémiques – soit les obstacles qui découlent des pratiques – des politiques ou des procédures mises en place et inhérentes à la structure organisationnelle du milieu collégial.

La vulnérabilité académique se traduit par un abandon massif des apprenantes et apprenants au RNTÉ dont l’accès aux différents services de soutien est limité. Entre autres, les horaires (de jour) des services de soutien offerts à l’ensemble de la population apprenante ne sont pas adaptés au quotidien de personnes pour qui les études ne sont pas la principale occupation (travail de jour, étude de soir, responsabilités familiales).

La vulnérabilité économique est le résultat de plusieurs années consacrées aux études, majoritairement à temps partiel, qui leur demande d’amputer leur temps de travail. Alors que leurs pairs vivent également une période de précarité financière, les apprenantes et apprenants au RNTÉ voient cette précarité s’étendre et entraîner des conséquences sur leur réalité budgétaire.

La vulnérabilité psychologique s’exprime à travers leur adaptation scolaire et sociale plus complexe et la charge mentale pesante portée essentiellement par les apprenantes.

S’intéresser aux apprenants et apprenantes au RNTÉ est essentiel pour imaginer, créer et penser des façons de soutenir spécifiquement cette population invisible et invisibilisée.

Concept clé 

Le rapport non traditionnel avec les études   

Le RNTÉ se définit par des caractéristiques sociodémographiques non exclusives. En ce sens, cela comprend avoir l’une ou plusieurs des caractéristiques suivantes :

  • Avoir interrompu ses études après le secondaire;
  • Faire un retour aux études après une vie professionnelle active;
  • Concilier son projet d’études avec une vie familiale et/ou professionnelle (Babb, Rufino et Johnson, 2021).

Au-delà de ces critères, le RNTÉ tend à remettre en question un système dont le mode de gestion académique est prévu pour une population étudiante jeune directement issue du secondaire ou sans responsabilité familiale et professionnelle. L’environnement éducatif, les savoirs véhiculés et les personnes impliquées dans la relation éducative sont aussi façonnés par ce modèle traditionnel.

Méthodologie

Une recherche portée par le récit de vie

  • Type de recherche : Qualitative / interprétative
  • Population étudiée : Personnes inscrites dans un programme d’études collégiales et ayant l’une ou plusieurs des caractéristiques suivantes :
    • Âgées de 25 ans ou plus
    • En emploi rémunéré à temps plein
    • Parent aux études d’un enfant mineur en garde à temps complet ou partagée
    • Responsable d’un parent proche
  • Lieux et période de la recherche : Collèges du Québec, hiver 2022

Vingt-et-une personnes (17 s’identifient comme femmes et 5 s’identifient comme hommes), inscrites dans un programme de formation technique, dont 9 dans un programme contingenté, ont participé à des entretiens individuels semi-dirigés de type récit de vie (Bertaux, 2016). Chaque récit de vie a fait l’objet d’une reconstruction diachronique (Bertaux, 2016) et d’une analyse thématique ayant permis de décrire les parcours et l’expérience de personnes apprenantes au rapport non traditionnel avec les études.

Résultats

À l’écoute d’apprenants et d’apprenantes au rapport non traditionnel avec les études

Trois profils d’apprenants et d’apprenantes au rapport non traditionnel avec les études sont présents.

Les résultats de la recherche font émerger trois profils types d’apprenants et d’apprenantes : les opportunistes, les résilients et les persévérants.

Les parcours scolaire et de vie sont marqués par des transitions complexes et des choix raisonnés.

Les apprenants et apprenantes au RNTÉ ont rapporté une vie antérieure au retour aux études collégiales riche en évènements personnels, professionnels et scolaires complexes ainsi que plusieurs transitions difficiles.

Bien que plusieurs aient qualifié leur premier choix d’études comme vide de sens, la majorité des personnes participantes avaient déjà effectué des études supérieures. Si certaines ont vécu des succès, pour d’autres, le fait de ne pas avoir été accepté dans le programme rêvé ou encore le sentiment de manquer de préparation pour entreprendre des études ont mené à l’abandon du programme. Les premiers échecs scolaires, difficiles sur l’estime de soi, marquent également leur parcours en raison de la baisse significative de leur cote R (cote de rendement au collégial).

Pour plusieurs, le retour aux études collégiales n’est d’ailleurs pas le premier. Certaines personnes ont essayé différents programmes, ont abandonné et vécu d’autres échecs. D’autres ont poursuivi des études dans le but d’augmenter une cote R pour espérer s’inscrire dans le programme souhaité.

Malgré tout, le parcours est marqué par le fait que le projet est murement réfléchi et la prise de risque du retour aux études est calculée compte tenu de l’investissement financier et familial demandé. En ce sens, la stabilité du futur emploi, le salaire et les avantages sociaux ont été pris en compte. Le projet est également réfléchi en fonction de l’organisation scolaire et de la charge mentale à assumer. Pour d’autres, le sentiment d’accomplissement social était tout aussi important dans le choix du programme, notamment dans les programmes techniques liés au prendre soin d’autrui (éducation et santé).

Que retenir de nos résultats ?

Entendre et faire entendre l’expérience du rapport non traditionnel avec les études d’apprenants et d’apprenantes

Les indices de vulnérabilité sont systémiques, surtout pour les apprenantes.

Les résultats permettent de réfléchir la vulnérabilité des apprenantes comme un phénomène systémique prenant racine dans des pratiques, des politiques ou des procédures inhérentes aux structures sociales, parmi lesquelles l’organisation scolaire et l’organisation familiale. Cette vulnérabilité doit donc être comprise au regard du genre.

D’abord, les inégalités persistent dans les familles quant au partage des tâches liées aux soins accordés aux jeunes enfants, les enjeux de conciliation travail, famille et études sont alors plus difficilement vécus par les femmes (Gagnon, 2019). Ensuite, les apprenantes ont exprimé vivre avec un fardeau financier littéralement et symboliquement. Certaines personnes en gardant une autonomie financière pendant leurs études ont dû réduire leurs heures de travail, ce qui affaiblit leur capacité financière. D’autres ont opté pour dépendre financièrement de leur partenaire, ce qui, même assumé sur une courte période, a un effet non négligeable sur leur autonomie financière. Ces décisions financières jouent un rôle majeur sur la triple vulnérabilité des apprenantes :

  • Économiquement, elles sont dépendantes d’une tierce personne pour subvenir à leurs besoins ou travaillent moins, leur capacité financière est drastiquement diminuée sur une plus longue période en raison de leur régime d’études à temps partiel.
  • Académiquement et psychologiquement, elles doivent porter une charge mentale lourde et démesurée pendant toute la durée de leurs études. En plus de ne pas alléger les enjeux liés à la gestion familiale et professionnelle, reprendre les études ajoute une couche de responsabilité, celle de réussir.

Le collège doit être pensé comme une institution à part dans la vie des apprenants et apprenantes au rapport non traditionnel avec les études.

Si plusieurs efforts ont facilité l’inclusion des apprenants et apprenantes issues de la diversité dans les établissements collégiaux, les apprenantes et apprenants au RNTÉ se sentent souvent délaissés. La rigidité de la structure et de l’organisation scolaire demande à cette population apprenante des opérations logistiques complexes notamment au regard de la planification des déplacements entre le milieu d’études, leur milieu de vie et leur milieu professionnel ou encore la gestion de l’horaire avec les services de garde préscolaire lorsque l’apprenant ou l’apprenante est en situation de monoparentalité.

Dans ce contexte, parmi le personnel scolaire, les aides pédagogiques individuelles sont nommées comme essentielles à la vie scolaire des apprenants et apprenantes au RNTÉ. Ces personnes soutiennent précieusement l’expérience et le parcours de cette population apprenante que le collège semble encore peu reconnaître et qui sont négligées dans les réflexions institutionnelles.

Pour approfondir le sujet

Conseil supérieur de l’éducation. (2013). Parce que les façons de réaliser un projet d’études universitaires ont changé… Avis au ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie.

Doray, P., Lépine, A. et Bilodeau, J. (2020). L’orientation scolaire sous l’emprise des rapports sociaux de sexe. La situation dans l’enseignement postsecondaire au Québec. O.S.P. L’orientation scolaire et professionnelle, 49(2), 225-256.

Julien, M. et Gosselin, L. (2015). Les études à temps partiel, le retour aux études et la parentalité étudiante. Recherches féministes, 28(1), 169-189.


Références

Babb, S. J., Rufino, K. A. et Johnson, R. M. (2021). Assessing the Effects of the COVID-19 Pandemic on Nontraditional Students’ Mental Health and Well-Being. Adult Education Quarterly, 72(2), 140-157.

Bertaux, D. (2016). Le récit de vie (4e éd.). Armand Colin.

Crone, T. S., Babb, S. et Torres, F. (2020). Assessing the Relationship Between Nontraditional Factors and Academic Entitlement. Adult Education Quarterly, 70(3), 277-294.  

Gagnon, C. (2019). Charge mentale et éthique critique du care : la division du travail dans la sphère domestique comme enjeu de justice sociale. Ithaque, 25, 23-44.

Julien, M. et Gosselin, L. (2015). Rapport non traditionnel aux études : les règles des universités et de l’État québécois. Revue canadienne d’enseignement supérieur, 45(4), 188-206.

Moreau, C. (2023, 11 mai). La diversité oubliée : parcours et expérience d’apprenantes et d’apprenants au rapport non traditionnel avec les études en milieu collégial [communication orale]. 90e congrès de l’Acfas, Montréal, QC, Canada.

Soares, L., Gagliardi, J. S. et Nellum, C. J. (2017). The Post-Traditional Learners Manifesto Revisited. Aligning Postsecondary Education with Real Life for Adult Student Success. American Council on Education.


Mentions de responsabilité

Éditrice : Karine Vieux-Fort 

Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Catherine Charron

Révision linguistique : Marie-Eve Cloutier

Cet article est rendu disponible selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA 4.0.

ISSN 2817-2817