Yesifa Azovide
Doctorant à la Faculté des sciences de l’éducation
Université Laval
Numéro 10, actes de colloque – 2024
Pour citer cet article
Yesifa Azovide
Doctorant à la Faculté des sciences de l’éducation
Université Laval
Emilie Doutreloux
Professeure adjointe à la Faculté des sciences de l’éducation
Université Laval
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Équité, diversité et inclusion (EDI) : au cœur de la réussite étudiante
Cet article découle d’une communication scientifique qui a été présentée au colloque La réussite étudiante en enseignement supérieur au carrefour de l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) de l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur lors du 90e Congrès de l’Acfas (11 mai 2023).
Le texte fait partie de l’axe 3, intitulé Partager la responsabilité de tous et de toutes dans le déploiement des plans d’action EDI, des actes du colloque.
L’article qui suit vise à encourager les personnels de l’enseignement supérieur à mener des changements selon une approche ascendante en considérant systématiquement le point de vue des individus et des groupes étudiants dans leurs réflexions et leurs actions en matière d’équité, de diversité et d’inclusion.
Le mouvement inclusif qui prime au Québec depuis le début des années 2000 vise à construire une société à laquelle tous les individus, dans et avec leurs différences, peuvent participer et contribuer (Potvin, 2014). Ce mouvement repose sur le paradigme de l’inclusion voulant qu’en éducation, les établissements s’adaptent à la diversité spécifique des individus et à celle des groupes dans leur ensemble. Il met de l’avant le modèle de l’éducation inclusive – en prévoyant plus d’un parcours menant à la diplomation, par exemple – pour accroître la participation de toutes les personnes apprenantes et réduire leur exclusion des établissements, des curriculums et des cultures et communautés qui les fondent (Booth et Ainscow 2011).
Malgré les nombreuses mesures mises en place par les personnels de l’enseignement supérieur, les recherches récentes tendent à démontrer que les populations étudiantes vulnérabilisées continuent à vivre des situations d’injustice qui nuisent à leur réussite en enseignement supérieur. Par exemple, les étudiantes et étudiants noirs originaires d’Afrique subsaharienne et des Caraïbes, souvent cibles de discrimination et de marginalisation, sont moins enclins à obtenir un diplôme d’études supérieures que leurs pairs dits eurocanadiens (Kamanzi, 2021); les jeunes transgenres et non-binaires font face à des niveaux accrus de stigmatisation et de discrimination qui entraînent des problèmes de santé mentale et d’abandon scolaire (London-Nadeau et al., 2023).
Les premières analyses des plans d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI)1 révèlent que les étudiantes et étudiants ne sont pas au centre des visées et actions de la majorité des universités québécoises (Magnan, Melo-Araneda et Soares, 2023). S’intéresser à la voix des personnes socialement et politiquement marginalisées est primordial pour saisir leur expérience vécue.
1 Ce trio de concepts – l’équité, la diversité et l’inclusion – vise la justice sociale et scolaire. La diversité réfère à la prise en compte des situations et des différences qui génèrent des inégalités entre les individus et les groupes comme le sexe, la race et l’âge. L’inclusion s’apparente au sentiment de bien-être, de respect, de sécurité et d’épanouissement. Tandis que l’équité, en distribuant les ressources en fonction des besoins, lève les barrières afin que les individus et les groupes, dans toutes leurs diversités, puissent exprimer leur plein potentiel et se sentir inclus.
Théorisé par les féministes Patricia Hill Collins, Nancy Hartsock et Sandra Harding, le concept de « point de vue situé » – de l’anglais standpoint – postule que les femmes et les autres groupes dépourvus de privilèges sont mieux outillés pour comprendre certains aspects du monde du fait de leurs positions sociopolitiques (Hill Collins, 2000). Par son vécu, une personne racisée est plus à même de percevoir et de comprendre le racisme institutionnel, par exemple. Le point de vue situé représente un point ou un endroit stratégique où l’on se positionne pour comprendre et se réapproprier activement une situation (Puig de la Bellacasa, 2012). La théorie du point de vue situé permet de voir que la production de connaissances est influencée par les pratiques de pouvoir. Ce concept est mobilisé dans une perspective d’émancipation et de justice sociale.
S’intéresser à l’expérience vécue des populations étudiantes
À l’aide d’un questionnaire en ligne comprenant des questions à développement et des questions à choix de réponse, nous avons interrogé des personnes étudiantes sur leurs expériences en lien avec les principes d’équité, de diversité et d’inclusion à l’université. Des questions sociodémographiques nous ont permis d’identifier les personnes susceptibles de vivre des discriminations dans une proportion plus élevée que celle de la population en général : les personnes racisées, les minorités religieuses, les personnes en situation de handicap ou ayant des responsabilités familiales et les membres de la communauté 2ELGBTQI+. Le traitement des questions à développement a été effectué à l’aide de méthodes d’analyse qualitative, tandis que le traitement des questions à choix de réponse a mobilisé l’analyse quantitative.
Dimension de l’équité – Un processus décisionnel descendant est ressenti à l’université.
À l’affirmation « À l’Université en général, je ne me sens pas encouragé·e à prendre part aux réflexions institutionnelles. J’ai l’impression que les décisions ont été prises à l’avance et que je dois m’y conformer », 52 % des personnes répondantes expriment leur impuissance devant les processus de prise de décisions institutionnelles.
Une autre question révèle que 35 % des personnes répondantes estiment que les politiques et les règlements ne valorisent ni ne prennent compte de leurs réalités. Tout cela pourrait s’expliquer par le modèle de changement descendant (top-down) adopté par la majorité des universités québécoises en lien avec la mise en œuvre des politiques et des plans EDI (Magnan et al., 2023).
Dimension de la diversité – Des manifestations de racisme sont observées à l’université.
12 % des personnes répondantes affirment avoir vécu du racisme à l’université. Le graphique 2 informe de la provenance de ces personnes. Les personnes originaires d’Afrique subsaharienne sont proportionnellement plus nombreuses à expérimenter le racisme que leurs collègues provenant d’autres zones géographiques.
Les données sociodémographiques du troisième graphique montrent que la couleur de la peau et la maîtrise de la langue d’enseignement influent largement sur l’expérience du racisme vécue à l’université.
Des commentaires recueillis soulignent également la présence de dynamiques de pouvoir au sein de la population étudiante ayant pour effet de remettre en question la capacité de connaître et de raisonner de certaines personnes en fonction de leur appartenance à un groupe. Ces injustices et ces microagressions sont dirigées vers les personnes racisées :
« Je constate que mes collègues racisé·es ne sont parfois pas pris autant au sérieux que moi et les autres étudiant·es blancs. Iels sont plus « micro-managé·es » par certain·es étudiant·es blanc·hes du même niveau ». (Personne répondante)
Dimension de l’inclusion – Le sentiment d’exclusion perdure chez les populations étudiantes issues de groupes marginalisés.
À l’affirmation « À l’Université, je ne me sens pas inclus·e et interrelié·e avec les autres », 35 % mentionnent être en accord ou tout à fait en accord. Ce sentiment d’exclusion affecte plus particulièrement certains groupes (voir le graphique 4).
Partant du fait que l’inclusion implique un fort sentiment d’accueil, de respect, de valorisation, d’interconnexion, d’épanouissement et de sécurité (Deloitte, 2014), les réponses à cette affirmation nous informent que les personnes de couleur, les membres de la large communauté 2ELGBTQI+ et les personnes pratiquant une religion autre que le catholicisme, sont les personnes ressentant l’exclusion le plus fortement.
Selon l’expérience des étudiants et étudiantes, voici les principaux facteurs qui nuisent à l’inclusion à l’université :
En favorisant les approches ascendantes, il est possible de considérer le point de vue étudiant.
Notre recherche souligne la nécessité de considérer la voix des personnes en quête d’équité pour orienter les politiques et les plans d’action en matière d’EDI. Cette approche de conduite du changement est appelée ascendante, ou bottom up. Elle reconnaît le rôle important joué par les personnes concernées lors de l’implantation de politiques et les avantages de leur participation dans tout processus de changement (Carpentier, 2012). Elle se présente comme une alternative à l’approche descendante, ou top-down.
Ouvrir l’œil sur les dynamiques de pouvoir permet de favoriser la pluralité des pensées.
Différents actes discriminatoires recensés dans notre recherche s’apparentent à des manifestations d’injustices épistémiques, c’est-à-dire des microagressions ayant pour effet de réduire au silence la parole de certains individus. Savoir les identifier afin de favoriser la pleine expression de tout le monde devrait faire l’objet de formation et de campagne de sensibilisation pour toute la communauté universitaire.
L’implication des personnes étudiantes est essentielle, sans toutefois déléguer le rôle de l’établissement.
Plusieurs commentaires recueillis dans la recherche témoignent de l’essoufflement des étudiantes et étudiants issus de groupes en quête d’équité. Leurs témoignages révèlent que l’organisation d’un trop grand nombre d’activités de reconnaissance des diversités par l’université incombe aux personnes étudiantes. Celles-ci se sentent débordées et revendiquent un soutien accru de la part de l’université. Dans l’optique de l’éducation inclusive, il est de la responsabilité des établissements de mettre en œuvre des mesures pour que les personnes étudiantes se sentent reconnues et incluses. Cela, en collaboration avec les groupes étudiants pour éviter la reproduction de l’approche descendante.
Doutreloux, E. et Azovide, K. A. Y. (à paraitre). Point de vue situé d’étudiants et d’étudiantes sur l’expérience de l’équité, la diversité et de l’inclusion en enseignement supérieur. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation.
Lafortune, G., Prosper, M.-R. et Datus, K. (2020). Défis de réussite et enjeux de prise en compte de la diversité au collégial : expériences d’étudiant⋅e⋅s d’origine haïtienne. Revue des sciences de l’éducation, 46(2), 14-38.
Magnan, M.-O., Collins, T., Darchinian, F., Kamanzi, P. C. et Valade, V. (2021). Student Voices on Social Race Relations in Universities in Quebec. Race Ethnicity and Education.
Booth, T. et Ainscow, M. (2011). Index for inclusion. Developing learning and participation in schools. Centre for Studies on Inclusive Education.
Carpentier, A. (2012). Les approches et les stratégies gouvernementales de mise en œuvre des politiques éducatives. Éducation et francophonie, 40(1), 12-31.
Deloitte. (2014). La diversité et l’inclusion au Canada. La situation actuelle. Deloitte Développement LLC.
Duclos, A.-M. (2017). Modèles de changement et grands courants organisationnels en éducation : une analyse critique. Horizon sociologique, Été (4), 1-19.
Hill Collins, P. (2000). Black Feminist Thought: Knowledge, Consciousness, and the Politics of Empowerment. Routledge.
Kamanzi, P. C. (2021). La résilience dans le parcours scolaire des jeunes noirs d’origine africaine et caribéenne au Québec. Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation, 44(1), 32-63.
London-Nadeau, K., Chadi, N., Taylor, A. B., Chan, A., Pullen Sansfaçon, A., Chiniara, L., Lefebvre, C. et Saewyc, E. M. (2023). Social Support and Mental Health Among Transgender and Nonbinary Youth in Quebec. LGBT Health, 10(4), 306-314.
Magnan, M.-O., Melo-Araneda, F. et Soares, R. (2023). Plans d’action Équité, Diversité et Inclusion dans les universités québécoises : portrait et réflexions sur les mesures destinées aux étudiantes et étudiants [communication orale]. 90e congrès de l’Acfas, Montréal, QC, Canada.
Potvin, M. (2014). Diversité ethnique et éducation inclusive : fondements et perspectives. Éducation et sociétés, 33, 185-202.
Puig de la Bellacasa, M. (2012). Politiques féministes et construction des savoirs. « Penser nous devons ! ». L’Harmattan.
Éditrice : Karine Vieux-Fort
Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Catherine Charron
Révision linguistique : Marie-Eve Cloutier
Cet article est rendu disponible selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA 4.0.
À propos de l'autrice et de l'auteur
Yesifa Azovide
Doctorant à la Faculté des sciences de l’éducation
Université Laval
Doctorant en Administration et Politique de l’Education à la Faculté des Sciences de l’Education de l’Université Laval et auxiliaire de recherche de la Chaire de leadership en enseignement en équité, diversité et inclusion en éducation – banque nationale, Koudjo Afuwu Yesifa AZOVIDE est auteur d’articles portant sur la supervision pédagogique de l’enseignant ; le développement professionnel de l’enseignant et la réussite scolaires des élèves (réussite en lecture) dans des contextes en lien avec l’équité, la diversité et l’inclusion. Son expertise en analyse de données quantitatives a permis de produire des statistiques sur l'expérience étudiante en matière d'équité, de diversité et d'inclusion à l’université.
Il a également publié, pour des réseaux d’information en éducation, des outils de transfert de connaissances comme des articles de synthèse sur la base d’articles scientifiques existants et un dossier thématique en lien avec les stéréotypes de genre en éducation.
Emilie Doutreloux
Professeure adjointe à la Faculté des sciences de l’éducation
Université Laval
Emilie Doutreloux est titulaire de la Chaire de leadership en enseignement en équité, diversité et inclusion en éducation – Banque Nationale et professeure au Département des fondements et pratiques en éducation à l’Université Laval. Auparavant, elle a travaillé pendant plus de 15 ans au sein du réseau collégial québécois en tant que conseillère pédagogique où elle a contribué au développement du créneau de l’équité, de la diversité et de l’inclusion, tant auprès du personnel enseignant que de la direction.
Au cours des années, elle a acquis une expertise dans les questions d’égalité des chances, d’équité, de discrimination et d’inclusion, ce qui l’a amenée à collaborer avec plusieurs centres de recherche, observatoires, associations, ministères et établissements d’enseignement supérieur. Elle est référente en genre et inclusion au programme APPRENDRE de l’Agence universitaire de la francophonie et siège à la Commission de l’enseignement et de la recherche au collégial du Conseil supérieur de l’éducation.
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