Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à analyser, selon le modèle de l’intervention éducative, les pratiques pédagogiques intégrant des technologies numériques, susceptibles de soutenir le développement de compétences numériques chez les personnes étudiantes universitaires. 

Pour plus de détails, consulter : Lemieux, M.-M. (2020). Apport du manuel numérique intégré à une intervention éducative sur le développement de compétences numériques d’étudiants universitaires. [Thèse de doctorat, Université du Québec à Trois-Rivières].  

Contexte 

De l’utilisation des technologies numériques au développement de compétences numériques 

L’intégration des technologies numériques dans les pratiques d’enseignement et d’apprentissage représente un défi depuis quelques décennies pour le milieu éducatif. Déjà en 2000, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) soulignait que le système éducatif québécois assistait à « une révolution technologique qui touche directement les modes d’enseignement et les outils d’apprentissage » (CSE, 2000, p. 11). Vingt ans plus tard, la réflexion concerne maintenant la responsabilité du système éducatif envers le développement de compétences pour évoluer dans le monde numérique (CSE, 2020).  

L’intégration judicieuse du numérique dans les pratiques d’enseignement et d’apprentissage mène donc vers le développement des compétences numériques tant des personnes enseignantes que des personnes apprenantes. S’inscrivant au-delà de la seule utilisation des technologies numériques, leur intégration en contexte pédagogique sollicite une actualisation constante de connaissances et d’habiletés multiples. Le soutien au développement de compétences numériques est dorénavant ciblé comme une responsabilité nouvelle pour les établissements d’enseignement, dont ceux du niveau universitaire (CSE, 2020). Identifiées comme essentielles pour favoriser l’intégration sociale et professionnelle (Ng, 2012; Roy, Gareau et Poellhuber, 2018), ces compétences sont réparties de manière inégale au sein des étudiantes et étudiants, ce qui risque d’entrainer des inégalités numériques (Collin, Guichon et Ntébutsé, 2015), susceptibles de se répercuter sur l’équité d’accès aux études universitaires et sur la réussite.

Concept clé 

Les compétences numériques : au-delà de l’utilisation des technologies numériques   

Un flou conceptuel demeure dans la littérature scientifique pour définir les compétences numériques. Or, selon les divers référentiels consultés dans le cadre de nos travaux (Lemieux, 2020), nous avons relevé la présence marquée des catégories de compétences suivantes :     

  • la maîtrise des technologies numériques; 
  • les compétences informationnelles;  
  • les compétences liées à la dimension sociale du numérique (communication et collaboration). 

La maîtrise des technologies, sans être toujours une condition essentielle, est considérée en synergie avec les autres.  

Au-delà de ces trois catégories, et pour couvrir l’ensemble des usages possibles avec le numérique, nous avons identifié d’autres catégories selon les contextes et les objectifs identifiés par les personnes porteuses des référentiels consultés. Notons par exemple, les compétences médiatiques, les compétences productives liées à la créativité ou à la création de contenu et à la résolution de problème, les compétences liées à la sécurité, à l’identité et au bien-être, ou encore à la vie professionnelle.

Méthodologie

Anticiper pour mieux agir et pour évaluer l’apport des technologies numériques sur le développement des compétences numériques étudiantes   

  • Type de recherche : Qualitative-interprétative de type exploratoire   
  • Population étudiée : 150 étudiants et étudiantes de 1er cycle universitaire et leur professeur 
  • Lieu et période de la recherche : trimestre d’automne 2018 dans une université québécoise

Bâtie selon une adaptation du modèle de l’intervention éducative (Lenoir, 2009), notre étude de cas a permis d’étudier les activités pédagogiques intégrant le manuel numérique et son apport sur le développement des compétences numériques des personnes apprenantes. Les perceptions des personnes impliquées dans la relation pédagogique (personnes apprenantes et leur professeur) ainsi que des observations de la chercheuse ont été colligées tout au long du trimestre.  

Le manuel numérique se définit comme un « ouvrage didactique, c’est-à-dire comprenant le contenu à acquérir/enseigner, les objectifs, les méthodes et les moyens pédagogiques ainsi que des évaluations possibles. Il est édité et diffusé sous forme numérique, et destiné à être [utilisé] à l’écran » (Université du Québec, 2013, p. 5). 

Les méthodes de collecte de données ont été associées aux phases préactive, interactive et postactive de l’intervention éducative afin de collecter des données provoquées (questionnaires étudiants), suscitées (entretiens semi-structurés et groupes de discussion étudiants) et invoquées (observations). La complémentarité et la répétition de ces collectes ont permis d’en assurer la triangulation des données.

Résultats

Une mobilisation de compétences numériques qui va au-delà des attentes 

La méthodologie en trois phases a permis de porter un regard évolutif sur les perceptions des personnes impliquées (personnes apprenantes et leur professeur) dans l’utilisation des technologies et l’apport de ces dernières sur les compétences numériques des étudiantes et étudiants.

Une surestimation initiale des compétences numériques étudiantes était présente en début de trimestre.   

Que ce soit du côté enseignant ou apprenant, une surestimation des compétences numériques étudiantes était présente en début de trimestre. Cette surestimation a été notée par le professeur et identifiée dans les propos des personnes apprenantes et de leur professeur. Cela a, dès le départ, freiné la mise en place de conditions favorisant l’utilisation des technologies numériques au service de l’apprentissage. Or, au fil des séances, la perception des personnes impliquées en ce qui concerne la mobilisation de certaines compétences par l’utilisation des technologies numériques a évolué. 

Diverses difficultés ont été rencontrées par les personnes étudiantes dans l’utilisation du manuel numérique. 

L’évolution des perceptions du professeur prend notamment assise sur les difficultés rencontrées par les personnes étudiantes dans leur apprentissage. Inspiré des travaux d’Araújo-Oliveira (2012), il est possible de classer ces difficultés selon trois types :  

C’est pour lever certaines difficultés liées à l’utilisation de la technologie numérique et favoriser l’apprentissage que la mobilisation de certaines compétences numériques s’est révélée nécessaire. 

La mobilisation des compétences numériques a été influencée par le contexte. 

Au fil de la collecte des données, une progression dans les perceptions, mais aussi des ruptures ont été identifiées en ce qui concerne l’apport de technologies numériques sur le développement des compétences numériques des étudiants et étudiantes. En cours d’utilisation du manuel numérique, à la fois le professeur et les personnes étudiantes en viennent à identifier que cette technologique a contribué au développement de certaines compétences. Pour les personnes étudiantes répondantes, ces compétences concernent : 

  • la sphère fonctionnelle, soit la maîtrise des technologies numériques : la compréhension de l’informatique, le codage ou le traitement de l’information, etc. (94 %); 
  • le développement pédagogique : l’adoption et le développement de nouvelles façons d’apprendre, etc. (87 %). 

À l’opposé, les aspects les moins mobilisés selon les personnes étudiantes répondantes s’inscrivent dans : 

  • la communication efficace avec les autres (49 %);  
  • la participation, la facilitation et la construction des réseaux sociaux (32 %). 

Ces données sont cohérentes avec les propos partagés par le professeur lors des entretiens. 

Que retenir de nos résultats ?

L’analyse des pratiques pédagogiques entourant l’utilisation des technologies numériques favorise le développement de compétences numériques des personnes étudiantes 

L’adaptation du modèle de l’intervention éducative permet d’intégrer judicieusement des technologies numériques tout en soutenant le développement des compétences numériques. 

L’étude réalisée nous amène à considérer l’intégration de toute technologie numérique comme un processus pédagogique dynamique. Pour soutenir cette intégration et l’apport sur le développement des compétences numériques, l’adaptation du modèle de l’intervention éducative s’avère une méthodologie pertinente pour apporter des éléments de réponses aux questions suivantes : 

  • Quoi – Quelle définition pour quelles compétences numériques visées? 
  • Qui – Quelles sont les personnes responsables du développement des compétences numériques et leurs rôles pour le favoriser? 
  • Comment – Quelles pratiques et quelles conditions sont susceptibles d’en favoriser le développement? (Lemieux, 2023) 

L’application de cette méthodologie :  

  • soutient l’analyse de la planification des situations d’enseignement-apprentissage, leur mise en place effective ainsi que l’explication des pratiques pédagogiques retenues au regard de leur apport sur le développement des compétences numériques des étudiantes et étudiants universitaires. 
  • permet de considérer les compétences numériques dans leur contexte propre, de manière à cibler : 
    • des raisons de s’intéresser à leur développement; 
    • des éléments de contenu à enseigner aux étudiants et étudiantes, pour en soutenir leur développement; 
    • des considérations à avoir en ce qui concerne le contexte spatiotemporel et social du cours visé; 
    • des conditions à mettre en place pour favoriser l’intégration pédagogique des technologies numériques.  

La mise en place de conditions multiples pour lever les barrières entravant le développement des compétences numériques est primordiale.    

Afin de limiter les inégalités numériques susceptibles d’être créées par l’intégration des technologies numériques et ainsi favoriser le développement de compétences numériques, il est suggéré de mettre en place des conditions dans les pratiques pédagogiques pour soutenir l’enseignement et l’apprentissage avec les technologies numériques. S’inspirant des travaux de Depover et Strebelle (1997), le soutien possible peut être classifié selon ces trois catégories de conditions :  

Pistes d’action

Pour les personnes enseignantes  

  • Anticiper le développement des compétences numériques des personnes étudiantes dès la préparation et la planification de l’enseignement. 
  • Lever les barrières entravant le développement des compétences numériques en mettant en place des conditions techniques, méthodologiques et relationnelles adéquates et adaptées au contexte. 
  • Penser l’intégration des technologies numériques de manière alignée et authentique lors de la planification des cours.

Au niveau institutionnel 

  • Viser une approche institutionnelle pour un développement progressif et durable des compétences numériques dans le cadre des programmes et des cours. 

Pistes de recherche

  • Reproduire et adapter la méthodologie appliquée dans cette recherche à d’autres expériences similaires s’intéressant au développement des compétences numériques, dans des domaines d’études variés, utilisant des technologies numériques différentes. 
  • Mettre à l’essai, dans le cadre d’une recherche similaire, le Cadre de référence de la compétence numérique proposé par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) en 2019 pour contribuer à porter un éclairage sur le profil attendu pour les étudiants et étudiantes universitaires dans le Continuum de développement de la compétence numérique, aussi proposé par le MEES. 

Pour approfondir le sujet

Lemieux, M.-M. (2021). Inégalités, compétences et conditions numériques. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire (RITPU), 18(1), 157-169.   

Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. (2019). Cadre de référence de la compétence numérique. Gouvernement du Québec.  

Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. (2019). Continuum de développement de la compétence numérique. Gouvernement du Québec.  


Références

Araújo-Oliveira, A. (2012). Étude des pratiques d’enseignement en sciences humaines au primaire : le cas des futurs enseignants en contexte de formation en milieu de pratique au Québec. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 15(2), 64-96.

Collin, S., Guichon, N. et Ntébutsé, J. G. (2015). Une approche sociocritique des usages numériques en éducation. Sticef, 22, 89-117.

Conseil supérieur de l’éducation. (2000). Éducation et nouvelles technologies : pour une intégration réussie dans l’enseignement et l’apprentissage. Rapport annuel 1999-2000 sur l’état et les besoins de l’éducation. Le Conseil.

Conseil supérieur de l’éducation. (2020). Éduquer au numérique: Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2018-2020. Le Conseil.

Depover, C. et Strebelle, A. (1997). Un modèle et une stratégie d’intervention en matière d’intégration des TIC dans le processus éducatif. Université de Mons-Hainaut.

Lemieux, M.-M. (2023). A Research Methodology Aimed at Analyzing Teaching Practices in Relation to the Development of Digital Skills in a University Setting. Dans P. Fastrez et N. Landry (dir.), Media Literacy and Media Education Research Methods: A Handbook (p. 141-160). Taylor & Francis.

Lenoir, Y. (2009). L’intervention éducative, un construit théorique pour analyser les pratiques d’enseignement. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 12(1), 9-29.

Ng, W. (2012). Can we teach digital natives digital literacy? Computers and Education, 59(3), 1065-1078.

Roy, N., Gareau, A. et Poellhuber, B. (2018). Les natifs du numérique aux études : enjeux et pratiques – The Digital Natives in Education: Issues and Practices. La revue canadienne de l’apprentissage et de la technologie, 44(1), 1-24.

Université du Québec. (2013). Guide de conception et d’utilisation du manuel numérique en contexte universitaire. Université du Québec.


Mentions de responsabilité

Éditrice : Karine Vieux-Fort 

Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Amélie Descheneau-Guay

Révision linguistique : Marie-Eve Cloutier

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ISSN 2817-2817