Si la faible scolarisation universitaire des Premiers peuples fait de plus en plus l'objet d'investigation scientifique, l'expérience des femmes demeure quant à elle peu documentée. Jo-Anni Joncas (Université d'Ottawa) et Annie Pilote (Université Laval) proposent un article intitulé « L'incidence du milieu d'études sur les possibilités de choix de femmes autochtones: typologie de parcours scolaires » paru en 2019 à la Revue canadienne d'enseignement supérieur.

Dans cet article, les auteures ont mobilisé l’approche par les capabilités (Sen, 2010) qui permet notamment de comprendre les facteurs de conversion qui influencent la « capacité d’un individu à convertir une ressource en une liberté de choisir la vie qu’il a des raisons de valoriser » (p.59). Ces facteurs, de nature personnelle, socioculturelle ou environnementale, peuvent faire varier les possibilités de choix de manière positive ou négative. C’est dans cette perspective théorique que les auteures ont choisi d’analyser les possibilités des femmes autochtones de réaliser le parcours scolaire choisi.

Une étude multicas a été réalisée dans deux universités québécoises présentant une importance différente des services offerts pour favoriser l’expérience éducative des étudiants autochtones: une grande université urbaine qui n’a pas de services offerts spécifiquement aux étudiants autochtones et une plus petite université située en région qui offre des services destinés à ces étudiants. Une monographie, des entretiens individuels avec des membres du personnel de chaque université et des entretiens de type récit de parcours ont été réalisés auprès de 19 femmes autochtones. 

Quatre parcours scolaires de femmes autochtones

Les auteures proposent quatre types de parcours qui montrent l’incidence du milieu d’études sur les possibilités d’études des femmes autochtones.

  Parcours scolaire aux possibilités préexistantes

Le milieu d’études a une faible incidence sur les possibilités de réaliser le parcours scolaire choisi. Voici certaines des caractéristiques de ce type de parcours: 

  • Le parcours scolaire est généralement linéaire;
  • Avant d’entreprendre des études universitaires, toutes ont obtenu un diplôme d’études secondaires et un diplôme d’études collégiales;
  • Les compétences et les connaissances acquises lors des études collégiales permettent de profiter « pleinement » des études universitaires;
  • Une raison précise explique le désir d’accéder à un diplôme universitaire, ce qui permet de donner un sens aux études;
  • Plusieurs ressources de départ sont à la disposition des étudiantes (ex.: bourses d’études).

Parcours scolaire aux possibilités propulsées par le milieu d’études

Dans ce type de parcours scolaire, le milieu d’études influence fortement les possibilités de choix des étudiantes. Quelques caractéristiques de ce type sont présentées ci-dessous:

  • Le parcours scolaire est entrecoupé de pauses, de bifurcations et d’embûches;
  • Plusieurs années se sont écoulées entre la sortie de l’école et l’entrée à l’université;
  • La motivation principale des études universitaires réside dans le souhait d’apporter des « changements positifs à une situation difficile » (p.62);
  • Les étudiantes mobilisent plusieurs ressources, essentiellement de nature communautaire.

Parcours scolaire aux possibilités de rebond

Ici, le milieu d’études influence plus ou moins le parcours scolaire souhaité des étudiantes. Voici quelques-unes des caractéristiques de ce parcours:

  • Les études
    postsecondaires s’avèrent la « seule issue possible » alors qu’une pression
    sociale forte provenant des proches se manifeste;
  • Le but de poursuivre
    des études postsecondaires se construit au fil des études, sans réelles intentions
    de départ;
  • Une première phase des
    études postsecondaires, correspondant aux études collégiales, est exploratoire
    et ponctuée de doutes et de problèmes personnels;
  • Une deuxième phase,
    lors des études universitaires, est caractérisée par la stabilité durant
    laquelle les étudiantes détiennent des outils (ex.: habiletés
    organisationnelles et linguistiques) acquis lors du cégep; elles utilisent très
    peu les services offerts dans leur université. 

Parcours scolaire aux possibilités projetées par des impulsions externes

Dans le dernier parcours scolaire, le milieu d’études a une forte incidence sur les possibilités de réaliser le parcours scolaire souhaité dont les caractéristiques sont les suivantes: 

  • Le but des études universitaires est d’arriver à « une autre fin qu’un diplôme » (p.63);
  • La motivation scolaire des étudiantes est plus ou moins stable;
  • Des facteurs de conversion – comme l’association étudiante autochtone et les cours de dépannage – ont un effet positif sur les possibilités du parcours scolaire. 

« En nous référant à l’université d’attache des répondantes, nous avons fait la réflexion que lorsque la volonté institutionnelle est présente et que des actions sont déployées en ce sens par l’instauration de FC [facteurs de conversion] environnementaux, les universités peuvent permettre à des individus ayant un parcours scolaire plus déviant de la norme de réussir le programme choisi. » (p.65-66)

Source(s)

Joncas, J.-A. et Pilote, A. (2019). L’incidence du milieu d’études sur les possibilités de choix de femmes autochtones : typologie de parcours scolaires. Canadian Journal of Higher Education / Revue canadienne d’enseignement supérieur, 49(3), 57–68. https://doi.org/10.7202/1066635ar