Une chercheuse et un chercheur de l’Université Complutense de Madrid ont voulu mieux comprendre le regard que les étudiantes et étudiants portent sur leur consommation numérique et ses effets dans leur vie quotidienne.

Qu’est-ce que la résignation numérique?

Face aux sollicitations numériques incessantes, notamment en lien avec leurs obligations académiques, une consommation saine, utilitaire et intentionnelle des technologies de l’information et des communications (TIC) est difficile à maintenir pour les personnes étudiantes.

Dans l’article Hyperconnectivity and digital resignation among higher education students, l’équipe met en évidence le concept de « résignation numérique », définie comme « un phénomène rationnel qui survient lorsque des personnes qui aspirent à réduire leur consommation sont contraintes à faire un usage non-désiré ou forcé des médias numérique » (p.102, traduction libre)

Les effets négatifs de l’hyperconnectivité et de la techno-dépendance sur les performances scolaires, le sommeil et la socialisation ont été largement documentés au cours des dernières années. Mais est-ce que les personnes résignées au numérique subissent aussi ces effets ?

Une recherche exploratoire

Pour approfondir sa compréhension du phénomène de la résignation numérique, l’équipe de recherche a eu recours à un questionnaire en ligne auquel a répondu un échantillon représentatif de 2993 personnes étudiantes de leur établissement. Dans cette enquête, trois aspects de la relation au numérique étaient explorés :

  • Les préférences en termes de contact virtuel ou face-à-face dans différentes situations sociales.
  • Les profils à l’égard de l’usage du numérique.
    Le questionnaire proposait trois options : « j’aime être connecté continuellement » (personnes hyperconnectées), « j’essaie de me connecter le moins possible » (personnes déconnectées) et « je me connecte seulement quand j’en ai besoin » (personnes résignées)
  • Les effets négatifs de la consommation numérique dans la vie quotidienne.

Par ailleurs, les résultats de recherche ont été analysés en regard des catégories de genre et d’âge.

Cette analyse a mené à trois grands constats.

1. Une préférence marquée pour les interactions face-à-face

Les personnes répondantes devaient indiquer si elles préféraient les rencontres en personne, en virtuel, ou si elles n’avaient pas de préférence marquée. La grande majorité préfère le face-à-face, que ce soit pour trouver une ou un nouveau partenaire (76,0%), mettre fin à une relation (90,5 %), rencontrer une bonne amie ou un bon ami (83,7%) ou encore intégrer un nouveau groupe social (82,4 %).  Cette tendance est généralisée, mais plus marquée chez les femmes et les plus jeunes (18-19 ans). Paradoxalement, les personnes hyperconnectées sont proportionnellement plus nombreuses à préférer les rencontres en personne.

2. Se résigner au numérique : une attitude répandue

L’enquête a révélé que l’immense majorité des personnes étudiantes sont hyperconnectées (49,0%) ou résignées au numérique (47,2%). Seulement 3,7 % ont répondu qu’elles essayaient de se connecter le moins possible. La résignation numérique est autant présente chez les femmes que chez les hommes, mais surtout chez les jeunes (moins de 21 ans). L’auteur et l’autrice de l’article font l’hypothèse que les jeunes, ayant adopté les TIC plus tôt dans la vie, auraient développé une certaine saturation. Par ailleurs, elles et ils sont plus conscients des impacts négatifs de l’usage du numérique sur leur vie quotidienne.

3. Des effets négatifs qui touchent tout le monde, ou presque

Les résultats révèlent que l’hyperconnectivité et la résignation numérique sont corrélés avec des « dysfonctionnements » dans la vie quotidienne tels que :

  • Naviguer sur Internet au lieu de faire ses tâches
  • Dormir moins et ressentir de la fatigue en raison du temps passé sur Internet
  • Poursuivre d’autres activités en ligne pendant ses cours
  • Se sentir surchargé par la gestion des réseaux sociaux

L’auteur et l’autrice concluent sur l’importance de considérer cette population résignée dans des études ultérieures, notamment par des recherches qualitatives qui permettraient de mieux comprendre le lien entre les préférences en termes de modalités relationnelles et les effets négatifs liés à la consommation numérique. Ces résultats devraient aussi préoccuper les universités :

« Considérant les phénomènes d’hyperconnectivité, de techno-dépendance et de résignation numérique et leurs effets sur la vie personnelle et académique des personnes étudiantes, il apparaît pertinent que les universités adaptent leurs méthodes pédagogiques en allouant moins de place aux médias numériques ou, au minimum, en reconsidérant le rôle que les TIC jouent en enseignement supérieur » (traduction libre, p.115)

Référence 

Casas-Mas, B. et Homont, L. (2024). Hyperconnectivity and digital resignation among higher education students. Doxa Comunicación Revista interdisciplinar de estudios de comunicación y ciencias sociales, 38, 99‑118. https://doi.org/10.31921/doxacom.n38a2056