Les difficultés en français éprouvées par les jeunes du collégial font régulièrement les manchettes au Québec. Cet enjeu interpelle l’ensemble du corps enseignant, et non seulement les enseignants et enseignantes de français. Quel accompagnement les personnes enseignantes au collégial offrent-elles à leurs étudiantes et étudiants en matière d’apprentissage de l’écriture, et quelle importance y accordent-elles?

Myriam Villeneuve-Lapointe, Valérie Thomas et Anick Sirard présentent les résultats d’une recherche visant à mieux comprendre le rapport à l’écrit de personnes enseignant au collégial dans toutes les disciplines.

L’enseignement du français : une responsabilité partagée

Au collégial, les notions de grammaire ne sont pas systématiquement enseignées dans les cours de littérature. Par ailleurs, les personnes enseignantes dans toutes les disciplines ont la responsabilité d’accompagner les personnes étudiantes dans le développement de leur compétence en écriture. Ce rôle est cependant mal connu, et de nombreuses personnes enseignantes douteraient de leur propre capacité à évaluer la maîtrise de la langue de leurs étudiants et étudiantes.

Les trois chercheuses ont mené une enquête par questionnaire auprès de 72 enseignants et enseignantes du collégial dans six régions du Québec. Les personnes répondantes (dont 53 ont rempli le questionnaire au complet) se situaient dans 7 différents domaines d’enseignement collégial : sciences et techniques naturelles (13), physiques (11), humaines (19), administratives (6), en arts et lettres (4), en français langue d’enseignement et littérature (18), et finalement en langues secondes (2).

Le rapport à l’écrit en quatre dimensions

Quatre dimensions du rapport à l’écrit ont été retenues dans le cadre de cette recherche :

  1. La dimension conceptuelle : comment les personnes enseignantes conçoivent-elles l’apprentissage de la lecture et de l’écriture?
  2. La dimension praxéologique : quelles sont leurs pratiques en lien avec l’écrit?
  3. La dimension affective : quelles émotions sont reliées à ces pratiques?
  4. La dimension axiologique : quelle valeur les personnes enseignantes attribuent-elles à la lecture et à l’écriture?

Pour cet article, les autrices n’ont retenu que les résultats relatifs aux pratiques d’écriture dans les quatre dimensions du rapport à l’écrit.

La compétence en écriture : valorisée mais peu soutenue

L’enquête a permis de faire ressortir certains consensus chez les personnes enseignantes, mais également des lacunes dans l’accompagnement de l’apprentissage de l’écriture :

  • La grande majorité des personnes répondantes reconnaît l’importance de l’écriture dans l’apprentissage, et souhaite contribuer au développement de cette compétence chez les étudiantes et les étudiants. Cependant, la responsabilité à l’égard de l’enseignement de l’écriture « ne semble pas perçue et valorisée par l’ensemble des personnes enseignant dans une discipline autre que le français » (p.18).
  • La plupart des personnes enseignantes offrent un certain accompagnement en matière d’apprentissage de l’écriture, principalement avant et pendant la production d’un texte. En revanche, la plupart ne font pas de rétroaction sur les textes produits par leurs étudiantes et leurs étudiants. Cette pratique est pourtant reconnue pour son impact positif sur l’apprentissage. Le manque de temps pour cet accompagnement est l’un des facteurs identifiés dans d’autres recherches.

Les personnes enseignant en français davantage interpellées

Sans surprise, les chercheuses ont constaté que les enseignantes et enseignants de français accordent plus d’importance au développement de la compétence en écriture que leurs collègues des autres disciplines. Néanmoins, formées en littérature et non en didactique du français, ces personnes enseignantes fondent surtout leurs pratiques sur leur propre expérience. Par ailleurs, leur approche est fortement teintée par leur rôle de préparer leurs étudiantes et étudiants à l’épreuve uniforme de français, un test d’écriture sur support papier qui est une condition obligatoire de diplomation. Ainsi, l’usage des outils informatiques d’aide à la rédaction est moins fréquemment autorisé dans les cours de français que dans les autres disciplines.

Des pistes d’action et de recherche pour aller plus loin

Les autrices soulignent la pertinence d’offrir à l’ensemble du personnel enseignant des « occasions de réfléchir sur son rôle dans l’enseignement des écrits disciplinaires » (p.18), une piste d’action qui a aussi été formulée dans un récent rapport sur la maîtrise du français au collégial.

Sur le plan de la recherche, les autrices suggèrent de poursuivre l’investigation avec des méthodes qualitatives, afin de comprendre plus en profondeur le rapport à l’écrit des enseignantes et des enseignants du collégial. Les impacts de l’irruption récente des outils d’intelligence artificielle générative comme ChatGPT sur les pratiques d’enseignement de l’écriture sont aussi une avenue de recherche incontournable selon les autrices.

Référence 

Villeneuve-Lapointe, M., Thomas, V. et Sirard, A. (2024). Rapport à l’écrit de personnes enseignant au collégial dans toutes les disciplines. Didactique, 5(1), 1‑26. https://doi.org/10.37571/2024.01011