Une équipe de recherche belge propose un cadre pour analyser les émotions vécues par les étudiants et étudiantes lors de leur préparation aux premiers examens universitaires.

Line Fischer (Université de Namur), Pierre Philippot (Université de Louvain) et Marc Romainville (Université de Namur) se concentrent sur la période charnière que représente la préparation aux premiers examens dans leur article Les émotions académiques vécues lors de la préparation aux premiers examens universitaires : d’où proviennent-elles et que pensent les étudiant·e·s de celles-ci et de leur régulation ?, paru dans la revue Nouveaux cahiers de la recherche en éducation.

Fischer, Philippot et Romainville ont mené des entretiens auprès de 23 étudiants et étudiantes de première année afin d’explorer :

  • la genèse des émotions vécues dans le contexte de la préparation aux examens;
  • le sens donné à ces émotions;
  • les stratégies des étudiants et étudiantes pour réguler ces émotions.

Le modèle de Scherer

L’équipe de recherche a analysé les propos recueillis en se basant sur le modèle de Scherer (2001) qui postule que « toute émotion résulte d’une évaluation continuelle de l’environnement par l’individu » (Sander et al., 2005; Scherer, 1999, dans Fischer, Philippot et Romainville, 2022). Selon ce modèle, cinq composantes d’une situation sont évaluées (nouveauté, valence, buts, maîtrise et normes).

Aux fins de la recherche, ces cinq composantes ont été liées à la situation académique correspondante :  

« 1. La nouveauté : Cette situation est-elle nouvelle ou connue? 

2. La valence : Préparer ses premiers examens est-il plutôt agréable ou désagréable ?

3. Les buts impliqués : La situation de préparation des examens facilite-t-elle ou freine-t-elle les buts de l’étudiant·e

4. Le potentiel de maîtrise : Dans quelle mesure perçoit-il ou elle du contrôle sur la situation

5. Les normes de mise en jeu : Dans quelle mesure la situation est-elle conforme ou pas aux normes de l’étudiant·e? »

(Fischer, Philippot et Romainville, 2022, §12)

Le modèle de Scherer appliqué à la préparation aux examens

Les propos tenus par les étudiants et étudiantes ont été analysés selon ces cinq composantes.

Valence

Les personnes interrogées ont indiqué avoir une perception plus ou moins négative de la préparation aux examens :

« La préparation des premiers examens universitaires est perçue comme négative (7/23), positive (2/23) ou les deux à la fois (14/23) par les étudiant·e·s interrogé·e·s. Il est intéressant de constater que la majorité des étudiant·e·s voient cette période comme un « mélange » positif et négatif, dépassant ainsi une évaluation dichotomique de cette situation. » (§31)

Potentiel de maîtrise

Les entrevues montrent que pour 22 personnes interrogées sur 23, le potentiel de maîtrise est décrit en relation avec les facteurs susceptibles de l’influencer : la motivation, la méthodologie de travail, les efforts réalisés durant la session ou encore le contexte d’études (en solitaire ou en groupe). Les entrevues font également ressortir que les étudiants et étudiantes ressentent davantage de contrôle sur la situation lorsque des messages encourageants sont communiqués par le personnel enseignant ou leurs pairs.

Buts impliqués

Pour 21 répondants et répondantes, la préparation aux examens fait ressortir les buts qu’elle sous-tend, par exemple réussir son année ou encore exercer un métier aimé. De plus, l’importance accordée aux buts est susceptible d’influencer le niveau de stress ressenti durant la préparation.

Nouveauté

Pour 19 des 23 personnes participantes, la préparation aux examens est une expérience nouvelle qui les confrontent aux attentes et aux exigences universitaires jusqu’ici méconnues. Pour certains, la nouveauté diminue le potentiel de maîtrise de la situation :

« Douze étudiant·e·s sur 23 rapportent que cet « effet de surprise » lié à la première période de préparation des examens universitaires les rend démuni·e·s et diminue leur potentiel de maîtrise. » (§34)

Normes mises en jeu

L’équipe de recherche conclut que la dimension des normes est moins mobilisée dans la genèse des émotions académiques vécues lors de la préparation aux premiers examens puisque seulement six étudiants et étudiantes ont mentionné des émotions liées à leurs normes personnelles de réussite ou à celles de leur famille.

À la lumière de cette analyse, l’équipe de recherche remarque que le faible potentiel de maîtrise semble être la dimension pouvant principalement expliquer le vécu émotionnel désagréable durant la préparation aux examens (§36).


Les croyances des étudiants et étudiantes au sujet de leurs émotions et de leur régulation

L’équipe de recherche s’est également penchée sur les « théories » des étudiants et étudiantes au sujet de leurs émotions académiques et leur façon de les réguler.

Il ressort des entretiens que les émotions vécues sont perçues comme ayant un impact négatif sur l’apprentissage : onze des personnes interrogées estiment qu’une émotion désagréable peut nuire aux processus cognitifs. (§38)

En outre, pour les répondants et répondantes, les émotions sont perçues comme porteuses d’une information ou d’un message. Par exemple, pour huit personnes, l’émotion positive ressentie est venue confirmer que la méthode de préparation à l’examen était adéquate. Pour sept personnes, l’émotion ressentie aurait aussi permis de confirmer le choix d’orientation et la projection dans le métier futur. (§39)

En ce qui a trait à la régulation des émotions, deux croyances ressortent à la suite des entretiens. La première indique que les étudiants et étudiantes estiment que la régulation des émotions académiques s’apprend :

« La [régulation des émotions académiques] entre alors en jeu comme un but complémentaire à la poursuite des buts de formation dans cette situation, qui peut notamment se réaliser par « essai-erreur » de ce qui convient à l’étudiant·e pour réguler ses émotions » (§40)

La seconde croyance est que la régulation émotionnelle est plus ou moins facile à mettre en œuvre. Quatorze étudiants et étudiantes expriment que leur capacité à réguler une émotion varie selon la nature et l’intensité de l’émotion, sa compréhension ou encore sa familiarité.  


Quelques pistes d’intervention pour la régulation des émotions académiques

Compte tenu de la période charnière que constitue la préparation aux examens, l’équipe de recherche suggère que l’accompagnement offert aux étudiants et étudiantes universitaires tienne compte des dimensions émotionnelles. Cet accompagnement devrait aussi aider les personnes étudiantes à identifier les facteurs qui sont sous leur contrôle, notamment la méthode de travail et le contexte d’étude. (§45)

Fischer, Philippot et Romainville proposent également que l’accompagnement permette aux étudiants et aux étudiantes d’explorer leurs croyances personnelles au sujet des émotions académiques et de leurs régulations, ainsi que l’impact de ces croyances sur les apprentissages.

Renforcer l’idée que la régulation émotionnelle s’apprend et fournir des pistes concrètes pour la développer nous semble être de nature à redonner du potentiel de maîtrise à l’étudiant en proie à des émotions académiques compliquées. De manière plus globale, nous estimons que ce type de pratiques aiderait l’étudiant·e à mieux se connaître en tant qu’apprenant·e. […] La régulation des émotions pourrait ainsi constituer un but intrinsèque à l’apprentissage, y compris à l’université. (§48)

Référence

Fischer, L., Philippot, P. et Romainville, M. (2022). Les émotions académiques vécues lors de la préparation aux premiers examens universitaires : d’où proviennent-elles et que pensent les étudiant·e·s de celles-ci et de leur régulation ? Nouveaux cahiers de la recherche en éducation. 23(3). https://doi.org/10.7202/1092719ar