Au Québec, 55% des adultes âgés de 25 à 34 ans détiennent un diplôme postsecondaire, mais cette statistique cache certaines disparités selon le lieu de résidence.

Les chercheurs Pierre Canisius Kamanzi et Claude Trottier publient les résultats d’une analyse statistique portant sur les inégalités d’accès aux études supérieures sur le territoire du Québec.

Massification, régionalisation et démocratisation des études supérieures

L’accès aux études supérieures s’est considérablement démocratisé depuis les années 1970, avec la création des cégeps et le développement du réseau universitaire. Le territoire québécois compte aujourd’hui « 117 établissements de niveau collégial répartis parmi les 17 régions administratives : 52 cégeps publics, 24 collèges privés subventionnés par le gouvernement et 41 privés non subventionnés ».

Malgré ce déploiement, des inégalités sociales, mais également territoriales, continuent d’entraver l’accès aux études supérieures pour certaines populations. Qu’est-ce qui limite la poursuite des études des jeunes habitant en régions urbaines, périurbaines, rurales ou éloignées ?

Une étude longitudinale

Les chercheurs ont réalisé une analyse statistique longitudinale d’un échantillon d’environ 24 000 jeunes entrés au secondaire en 2002-2003. Leur trajectoire scolaire sur une décennie (de l’âge de 12 à 23 ans) a été étudiée grâce aux données administratives du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Ce portrait a été complété par des données du recensement de 2005, qui permettent d’esquisser certaines caractéristiques sociodémographiques de leur milieu (selon le secteur de recensement).

Un accès plus limité à l’extérieur des centres urbains

Dans l’échantillon à l’étude, 61% des jeunes ont entrepris des études collégiales, mais cette proportion est plus élevée à Montréal (67%) et Québec (69%) que dans les banlieues de Montréal (63%), dans les régions semi-urbaines (56%) ou rurales éloignées (56%).

En appliquant différents modèles d’analyse, les chercheurs ont pu identifier plusieurs facteurs qui expliquent ces disparités :

  • L’éloignement géographique : en régions rurales, la poursuite d’études supérieures représente un coût financier plus élevé en raison de la distance des lieux d’étude.
  • Le revenu familial : la probabilité d’accéder aux études supérieures est fortement reliée au niveau de revenu des parents. À revenu familial médian comparable, les jeunes Montréalais et Montréalaises sont tout de même plus susceptibles de poursuivre leurs études que les jeunes des autres régions.
  • Le niveau de scolarité des parents : il s’agit d’un facteur explicatif important des disparités entre les régions urbaines et rurales éloignées. En effet, « le taux de diplômés d’université atteint 39 % à Montréal, 25 % dans ses banlieues, 30 % dans la Capitale-Nationale, alors qu’elle est de 19 % dans les régions semi-urbaines et 17 % dans les régions rurales éloignées. »
  • La fréquentation d’un établissement secondaire privé : ces établissements sont beaucoup plus présents en régions urbaines, et leur fréquentation multiplie par deux la probabilité d’accéder aux études supérieures.

Des obstacles qui se renforcent mutuellement

Cette étude statistique permet de confirmer certains constats de la littérature, à savoir que la distance pèse plus lourdement sur les personnes étudiantes appartenant à des milieux socioéconomiquement moins favorisés. L’« effet-territoire » jette un éclairage pertinent sur les inégalités régionales d’accès à l’enseignement supérieur, qui « ne sont pas seulement associées aux facteurs territoriaux, mais aussi et surtout à la manière spécifique dont leurs effets interagissent et se combinent. » (p.32).

Les auteurs de l’article avancent que les milieux urbains, où le taux de diplômés du postsecondaire est beaucoup plus élevé, sont plus favorables à la transmission d’un « capital culturel » favorisant les aspirations aux études supérieures chez les jeunes. D’autre part, le « capital économique » des parents apporte le soutien financier nécessaire à la poursuite d’un projet d’études supérieures. Finalement, en régions rurales, les familles plus scolarisées et mieux nanties vivent plus souvent dans les centres régionaux, à proximité des établissements postsecondaires.

Pistes d’actions

En conclusion, les auteurs évoquent quelques leviers dans le champ des politiques publiques pour renforcer l’accessibilité à l’enseignement supérieur dans les régions :

  • améliorer le programme des prêts et bourses pour mieux tenir compte de la réalité des personnes étudiantes en régions éloignées ;
  • agir sur l’offre de places en résidences étudiantes ;
  • mieux soutenir le déploiement d’une offre de formation sur le territoire, sans exacerber une « concurrence coûteuse » entre établissements, qui ne sert pas les objectifs de démocratisation de l’enseignement supérieur.

Référence

Kamanzi, P. C. et Trottier, C. (2025). La démocratisation de l’enseignement postsecondaire au Québec à l’épreuve des effets-territoire. Formation emploi. Revue française de sciences sociales, (169). https://doi.org/10.4000/13eld