Une équipe de recherche belge et australienne a réalisé une vaste revue de la littérature portant sur les différences de statut socioéconomique chez la population étudiante en transition vers le monde du travail.

Ayla De Schepper (Université d’Anvers), Noel Clycq (Université d’Anvers) et Eva Kyndt (Swinburne University of Technology et Université d’Anvers), ont récemment publié les résultats de leur recherche dans le Journal of Career Development.

L’équipe de recherche a retenu 33 études parues dans les dix dernières années, dont 22 quantitatives, 8 qualitatives et 3 mixtes. Une analyse de contenu a ensuite permis de synthétiser le rôle complexe du statut socioéconomique dans la transition de l’enseignement supérieur vers le marché du travail.

De Schepper, Clycq et Kyndt (2023) adoptent une perspective d’« accumulation des ressources » pour mieux comprendre les différences en matière de statut socioéconomique. Selon cette perspective, les inégalités socioéconomiques proviennent de différences dans l’accès et l’acquisition des ressources (Forrier et al., 2018).

Ressources et capitaux

Pour mieux comprendre la notion de « ressources », les concepts de capitaux, d’habitus et de champ (Bourdieu, 1986) sont mobilisés. Les capitaux sont des ressources clés qui définissent la position d’un individu dans un espace social :

  • le capital économique désigne les ressources matérielles qui sont directement ou indirectement transformables en argent ;
  • le capital culturel est l’ensemble des connaissances, des compétences cognitives, des dispositions et des comportements qui permettent à une personne de maîtriser la culture dominante d’une société ;
  • le capital social comprend les relations et les réseaux sociaux des individus — et les ressources auxquelles ils peuvent accéder dans et à travers ces réseaux — qui permettent aux individus d’exercer une influence dans la société ;
  • le capital symbolique est la configuration du capital économique, culturel et social que les acteurs dominants reconnaissent et considèrent comme légitime (ibid.).

Principaux résultats

Les trois grands constats de cette revue de littérature concernent :

  • la population étudiante issue de milieux socioéconomiques défavorisés
  • la valeur symbolique des ressources
  • l’interaction entre les ressources

La population étudiante issue de milieux défavorisés

Selon les études explorées, les personnes diplômées provenant de milieux désavantagés sur le plan socioéconomique seraient moins susceptibles de réussir leur transition.

Plus précisément, le statut socioéconomique est lié à divers indicateurs d’une transition réussie, notamment la qualité de l’emploi (le salaire, la sécurité d’emploi et l’adéquation personne-emploi) ou encore la durée de la transition, c’est-à-dire le temps requis pour réussir son insertion socioprofessionnelle.

Les résultats de la revue de littérature montrent que toutes les personnes diplômées ne partent pas sur le même pied d’égalité sur le marché du travail. Non seulement celui-ci comporte souvent davantage d’obstacles pour certains groupes de personnes diplômées, mais les règles du jeu et les ressources seraient biaisées.

La valeur symbolique des ressources

Cette revue de littérature relativisel’importance de certaines ressources en montrant que ce n’est nécessairement pas leur nombre qui importe, mais leur valeur symbolique.

En effet, les personnes diplômées issues de milieux socioéconomiques défavorisés qui ne possèdent pas le « bon capital » — c’est-à-dire celui qui est valorisé par les groupes dominants sur le marché du travail — rencontrent plus de difficultés à naviguer dans la concurrence. Par conséquent, elles sont désavantagées lors de la transition.

À titre d’illustration, les employeurs souhaitent souvent recruter des personnes diplômées d’une université de haut niveau en associant le prestige de l’établissement aux compétences sociales de la personne diplômée.

Le « capital symbolique » (Bourdieu, 1986) joue également un rôle dans les activités de loisirs des personnes diplômées. Celles provenant de milieux socioéconomiques aisés s’engagent davantage dans des activités jugées attrayantes par les employeurs (des activités sportives comme l’aviron, le golf ou le tennis, par exemple). Ces attentes fondées sur le capital symbolique ne sont pas explicitées par les employeurs et relèvent souvent d’un mécanisme inconscient. Les personnes diplômées issues de milieux socioéconomiques favorisés ont grandi avec ces « règles du jeu », et possèdent ainsi un meilleur accès à ce savoir tacite.

Ainsi, pour comprendre le positionnement des personnes diplômées sur le marché du travail et leur évolution de carrière, il faut tenir compte non seulement de leurs caractéristiques, mais aussi du contexte dans lequel elles évoluent.

En effet, le marché du travail — et même chaque secteur — possède son propre capital symbolique et ses propres règles du jeu implicites à suivre pour mieux réussir la transition vers le monde du travail.

L’interaction entre les ressources

Les résultats de la revue de littérature montrent que les ressources de la personne diplômée agissent de concert pendant la transition et sont fortement liées entre elles. Autrement dit, le fait de disposer d’une ressource (un appartement, par exemple) est étroitement lié à la présence d’autres ressources (l’accès à un moyen de transport payant, par exemple).

Il est difficile d’augmenter les ressources d’une personne au fil du temps. En effet, les personnes diplômées issues de milieux à faible revenu disposent d’un faible capital économique hérité de leurs parents, ce qui rend difficile l’acquisition d’autres formes de capital.

Les inégalités socioéconomiques lors de la transition sont donc étroitement liées aux différences en matière de capital tout au long du parcours scolaire.

Les personnes étudiantes issues de milieux socioéconomiques défavorisés sont, par exemple, moins susceptibles d’être inscrites dans des établissements de haut niveau.

Par conséquent, elles se retrouvent dans un cercle vicieux qui rend difficile l’obtention et l’accumulation de ressources. Cette situation est renforcée par leur conviction qu’un diplôme est la valeur la plus élevée sur le marché du travail ; une attention moindre est donc accordée au rôle du capital culturel et social.

Implications pour la pratique

Selon l’équipe de recherche, les établissements d’enseignement supérieur devraient accompagner toutes les personnes diplômées en transition vers le marché du travail.

Afin de renforcer le capital social, par exemple, les établissements d’enseignement pourraient consolider les passerelles entre le monde universitaire et celui du travail. Il peut s’agir d’activités de transition qui renforcent le lien entre les personnes étudiantes et le marché du travail (contacts directs avec les employeurs par le biais de salons de l’emploi et de stages rémunérés, par exemple).

Ce type d’initiatives favorise l’acquisition de compétences et offre à la population étudiante issue de milieux à faible revenu la possibilité de nouer des liens avec des personnes issues d’une classe sociale différente.

Une autre manière de favoriser une transition réussie pour l’ensemble des étudiants et des étudiantes est de miser davantage sur des entrevues lors des stages et moins sur des critères de sélection prédéterminés. En effet, pendant une entrevue, une personne peut se révéler davantage et être moins sujette à des préjugés inconscients de la part des employeurs.

Les employeurs devraient également contribuer à réduire les obstacles pour les personnes diplômées provenant de milieux à faible revenu en rendant les « règles du jeu » explicites.

En effet, la valeur accordée aux activités sociales et sportives ne constitue pas un indicateur des qualités d’une personne employée. Le fait d’avoir conscience des préjugés de classe peut être un premier pas vers plus d’équité pour les personnes diplômées issues de milieux désavantagés.

Références

Bourdieu, P. (1986). The forms of capital. In J. Richardson (Ed.). Handbook of theory and research for the sociology of education (pp. 241–258). Greenwood Press.

De Schepper, A., Clycq, N. et Kyndt, E. (2023). Socioeconomic Differences in the Transition From Higher Education to the Labour Market: A Systematic Review. Journal of Career Development, 50(1), 234–250. https://doi.org/10.1177/08948453221077674

Forrier, A., De Cuyper, N., & Akkermans, J. (2018). The winner takes it all, the loser has to fall: Provoking the agency perspective in employability research. Human Resource Management Journal, 28(4), 511–523. https://doi.org/10.1111/1748-8583.12206