Comment le financement public de l’éducation supérieure affecte-t-il la réussite des étudiantes et étudiants des Premiers Peuples? Une économiste canadienne s’est penchée sur cette question, en analysant les effets des compressions budgétaires dans un programme d’aide financière aux études destiné aux Premières Nations et aux Inuit.

Dans son article Post-secondary funding and the educational attainment of indigenous students, Maggie E.C. Jones s’intéresse à un programme canadien de soutien financier aux étudiantes et étudiants autochtones créé en 1977, et qui a subi d’importantes compressions budgétaires à la fin des années 1980. Ces changements ont augmenté de façon significative le coût des études post-secondaires pour les étudiantes et les étudiants autochtones. Premièrement, parce que le montant des bourses a été plafonné, dans un contexte où les frais de scolarité étaient au contraire en forte hausse. Deuxièmement, parce que le nombre de bourses a été limité, ce qui a exclu près du tiers des personnes éligibles au programme dans la période suivant les compressions.

Une étude à large échelle

Dans son étude, l’autrice utilise la méthode des doubles différences, qui consiste à comparer deux cohortes étudiantes, l’une ayant bénéficié du programme avant les compressions (pour qui la diplomation aurait dû se situer entre 1983 et 1989) et l’autre ayant subi ces compressions (pour qui la diplomation aurait dû se situer entre 1990 et 1996). À partir des données du recensement de 2006, l’analyse économétrique permet d’établir statistiquement une relation causale entre les changements apportés au programme de soutien financier, et certaines caractéristiques relatives à la diplomation et à la situation professionnelle des populations concernées 2006. Pour s’assurer de la robustesse de ses résultats, l’autrice a également pris soin de neutraliser l’effet potentiel d’autres facteurs, comme des changements de politiques publiques intervenues au même moment dans certaines provinces.

Des effets négatifs à plusieurs niveaux

Cette recherche a permis de mettre en lumière trois conséquences des compressions budgétaires sur les personnes étudiantes :

  1. Une baisse du taux d’achèvement d’un programme postsecondaire (niveau collégial) chez les Autochtones et Inuit. Sans surprise, cette baisse s’explique par la hausse importante du coût des études que le changement de politique a entraîné. Entre la cohorte précompressions et la cohorte post-compressions, ce coût aurait grimpé de plus de 5 000$ en moyenne pour la durée des études postsecondaires (en dollars de 2016).
  2. Une hausse du taux de personnes sans diplôme d’études secondaires dans les populations vivant dans les réserves. Ce résultat plus surprenant indique que plusieurs personnes ont abandonné leurs études secondaires à la suite des compressions budgétaires au programme de soutien financier. S’appuyant sur la théorie du capital humain, l’autrice explique ce phénomène par un plus faible « rendement » du diplôme secondaire dans les réserves autochtones, qui offrent peu d’opportunités d’emplois faiblement qualifiés en comparaison des milieux hors réserve. Ainsi, lorsque les études postsecondaires paraissent inaccessibles, plusieurs jeunes renoncent même à obtenir leur diplôme secondaire. Ce constat s’observe particulièrement dans les communautés autochtones les plus défavorisées.
  3. Un effet négatif sur la situation socioprofessionnelle. L’autrice rappelle que le fait de poursuivre ou non des études postsecondaires a des effets durables sur la situation socioprofessionnelle et les revenus des personnes. Sur le long terme, elle démontre que les compressions dans ce programme ont causé une réduction de la participation au marché du travail, mesurée par le taux d’activité et le nombre d’heures travaillées. Elle estime que ce facteur à lui seul explique 10% de la différence entre le nombre d’heures travaillées chez les autochtones et les non-autochtones au Canada.

Cette étude permet de considérer l’impact des programmes publics de soutien financier, non seulement sur l’accessibilité à l’éducation supérieure, mais également sur la réussite au secondaire. Plus largement, l’analyse permet de montrer que les inégalités d’accès à l’éducation postsecondaire contribuent à perpétuer les désavantages socioéconomiques des Premiers Peuples.

Référence

Jones, M. E. C. (2023). Post-secondary funding and the educational attainment of indigenous students. Economics of Education Review, 97. https://doi.org/10.1016/j.econedurev.2023.102475