Une récente étude attire l’attention sur les besoins des mères-étudiantes en matière d’articulation études-famille-emploi.

Jean-Pierre Mercier (Université du Québec à Montréal) présente les résultats d’une étude de cas sur des mères-étudiantes d’un cégep dans son article Articuler la vie familiale et les études au cégep : Besoins des mères-étudiantes et stratégies institutionnelles.

Les défis de l’articulation études-famille-emploi

S’appuyant sur diverses études, Mercier explique que les personnes qui combinent études et parentalité vivent des difficultés particulières liées à l’articulation entre leurs différentes obligations, telles que l’instabilité financière, le stress et le manque de temps, de sommeil et de repos. Le cumul de ces défis peut nuire à la persévérance et la réussite de leur projet d’études.

Articuler les responsabilités familiales, professionnelles et académiques est particulièrement exigeant pour les mères-étudiantes. En effet, dans le contexte où la division sexuelle du travail rémunéré et non rémunéré se maintient (Institut de la Statistique du Québec, 2015, dans Mercier, 2023), les mères demeurent responsables de la majeure partie du travail domestique.

« Pour toutes ces raisons, au cœur des préoccupations sociales sur l’[articulation études-famille-emploi] se trouve l’enjeu féministe d’offrir des chances équitables aux femmes de retourner aux études ou de participer à la formation à la faveur de leur mobilité sociale et de leurs conditions de vie. »

(Mercier, 2023, p.66)

Or, le chercheur déplore le manque de connaissances des besoins spécifiques des mères-étudiantes – généralement englobées dans la catégorie des « parents-étudiants » dans les recherches et sondages. Son étude vise donc à remédier à cette situation en interrogeant les besoins des mères-étudiantes et en explorant les stratégies déployées par un cégep pour y répondre. Comme l’étude a été réalisée durant la pandémie, elle permet également d’en documenter les effets sur les mères-étudiantes.

Une étude de cas au collégial

Les résultats présentés dans l’article découlent d’une étude exploratoire portant sur trois secteurs de formation des adultes : la formation générale des adultes, le collégial et l’universitaire. Mercier se concentre ici sur le volet collégial de son étude.

Il présente les constats se dégageant de groupes de discussion et d’entrevues individuelles réalisées avec quatre mères-étudiantes, ainsi qu’avec la personne responsable des stratégies institutionnelles et un gestionnaire du cégep participant. Les documents institutionnels relatifs à l’articulation études-famille-emploi ont aussi été analysés.

Qu’est-ce qui joue sur l’articulation études-famille-emploi ?

Les discussions avec les étudiantes-mères font ressortir plusieurs facteurs qui facilitent ou nuisent à l’articulation études-famille-emploi.

L’importance du réseau social

Au-delà du soutien apporté par les membres de leur entourage immédiat, les participantes ont mentionné bénéficier d’aide de la part de leurs camarades de classe ou des parents des amis de leurs enfants. Ce soutien est une pierre angulaire de l’articulation études-famille-emploi, mais il s’est effrité durant la pandémie de COVID-19.

La pression d’être mère et étudiante

Les participantes indiquent ressentir une pression de performance, tant dans leur rôle de mère que dans leur rôle d’étudiante. Certaines expliquent se sentir incompétentes ou inadéquates comme mère lorsqu’elles ne répondent pas aux attentes sociales liées à ce rôle. Elles affirment également sentir une pression pour performer dans leurs études, qui découle de leur désir d’assurer un bon avenir à leurs enfants.

L’âge des enfants

L’âge des enfants des participantes influence la facilité ou la difficulté à articuler les études, la famille et le travail. Par exemple, l’entrée à la maternelle peut libérer du temps pour les études, mais l’accompagnement d’un enfant qui va à l’école ajoute des tâches au quotidien.

Les exigences scolaires

Les participantes évoquent aussi des défis liés aux exigences scolaires. Les travaux, les évaluations, les stages leur laissent peu de temps. Elles nomment également le défi particulier des travaux d’équipe : « la distance entre leurs réalités respectives et, pour certaines, la différence d’âge, ont un impact sur leur capacité à se sentir proche de leurs collègues étudiantes et étudiants dans la réalisation des travaux d’équipe. » (Mercier, 2023, p.71)

L’accessibilité financière

Le programme d’aide financière « considère les personnes-cheffes de famille monoparentale d’enfants de moins de douze ans comme étudiant à temps plein même si elles étudient à temps partiel » (Mercier, 2023, p.71). Cette disposition permet aux étudiantes-mères monoparentales de réaliser leurs études à temps partiel, mais cause également un allongement de la durée de leurs études et de leur endettement.

Les effets de la pandémie

La pandémie a influencé divers aspects de l’articulation études-famille-emploi. Pour certaines, le passage vers les cours à distance a facilité cette articulation, notamment en réduisant le temps de déplacement et la charge de travail.

Pour d’autres, les mesures de distanciation et d’isolement et la scolarisation des enfants à domicile ont complexifié leur situation en réduisant l’aide apportée par les proches et en alourdissant leur charge de travail à la maison.

L’importance du soutien institutionnel

Si quelques intentions sont formulées dans les documents du cégep, notamment une volonté de sensibilisation des personnes étudiantes quant aux défis d’articulation études-famille-emploi, le soutien semble actuellement surtout reposer sur des initiatives individuelles. Des membres du personnel tentent notamment de répondre à des besoins ponctuels en testant diverses interventions, comme la tenue d’activités permettant aux parents d’étudier pendant que des éducatrices spécialisées s’occupent de leurs enfants ou encore l’offre d’un dépannage financier dans certains cas.

Pour Mercier, ce constat confirme ce que d’autres études ont observé : les stratégies institutionnelles de soutien à l’articulation études-famille-emploi sont variables d’un établissement à l’autre. Le chercheur enjoint ainsi le gouvernement à se doter d’une politique intersectorielle d’articulation études-famille-emploi :

« Seule une telle politique pourra contribuer équitablement à l’aménagement de stratégies institutionnelles d’[articulation études-famille-emploi] dans les organismes d’enseignement supérieur du Québec. Une telle politique est susceptible d’atténuer les obstacles que les parents-étudiants, notamment les mères-étudiantes, rencontrent quand vient le temps d’articuler leurs études avec la vie familiale ou personnelle ou encore avec la vie professionnelle. »

(Mercier, 2023, p.76)

Référence

Mercier, J.-P. (2023). Articuler la vie familiale et les études au cégep : Besoins des mères-étudiantes et stratégies institutionnelles. La revue canadienne pour l’étude de l’éducation des adultes, 35(01). https://cjsae.library.dal.ca/index.php/cjsae/article/view/5690