L’apprentissage de la langue française, en tant que la compréhension et la production du discours – à l’oral ou à l’écrit – est un enjeu de taille chez des populations étudiantes dont la langue maternelle n’est pas le français, notamment :

  • celles issues de l’immigration et celles venues d’ailleurs non francophones;
  • celles des Premiers Peuples;
  • celles des collèges anglophones.

1. Les populations étudiantes issues de l’immigration et celles venues d’ailleurs non francophones

Les étudiant·es dont la famille est issue de l’immigration récente (première et deuxième générations) – ou les « enfants de la Loi 101 » (Ledent, Mc Andrew et Pinsonneault, 2016) – proviennent de cultures de plus en plus diversifiées (Mc Andrew, 2015). L’apprentissage du français constitue également un défi de taille pour les étudiant·es venu·es d’ailleurs et pour qui la langue maternelle n’est pas le français (CAPRES, 2019).

Ces étudiant·es éprouvent souvent des difficultés en orthographe et en syntaxe (Fortier, 2016). En cherchant à intégrer les allophones (c’est-à-dire les personnes dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais) qui se qualifient du point de vue des préalables à l’admission, les établissements sont alors confrontés à un immense défi : les aider à atteindre en peu de temps un niveau de compétence langagière en français suffisant pour réussir leurs études postsecondaires (Carle, 2013).

Au niveau collégial, diverses mesures ont été mises en place pour soutenir le développement de la compétence langagière en français des allophones. Le cours de mise à niveau de 180 heures « Pratique du français, langue d’enseignement, pour les élèves non francophones », créé en 2009, semble constituer l’une des mesures les plus structurantes au niveau provincial (Carle, 2013).

Les centres d’aide en français (CAF) ont également mis en place des formules d’aide spécifiques à l’intention des allophones. Au Collège Ahuntsic, par exemple, le projet novateur Donnez au suivant vise à améliorer leurs compétences langagières et à renforcer leur sentiment d’appartenance à la communauté collégiale (Libersan, 2019). Le projet s’appuie sur l’idée que l’apprentissage de la langue dépend, entre autres, de la qualité de l’interaction sociale et de la force du sentiment d’appartenance à la communauté dans un contexte de travail collaboratif (ibid.).

Chaque participant·e s’engage dans des activités bénévoles (par exemple, au centre de la petite enfance du Collège) et bénéficie de l’accompagnement d’une personne tutrice qui l’aide dans ses interactions, facilite la communication avec les intervenant·es, lui fournit des rétroactions et l’encadre dans son travail individuel (ibid.). Plusieurs volets de l’apprentissage de la langue sont ainsi travaillés — l’expression orale, les particularités du français au Québec, l’enrichissement du réseau social, etc. — contribuant ainsi à l’amélioration de leurs performances scolaires et à la réussite de leurs projets professionnels (ibid.).

Au collège anglophone John Abbott, l’enseignante de français Maria Popica a quant à elle développé un projet novateur liant l’apprentissage du français langue seconde à l’engagement communautaire en milieu francophone (Popica, 2020). Les résultats de son étude exploratoire montrent que la socialisation en français avec des francophones par le biais d’activités réalisées en dehors de la salle de classe permet aux étudiant·es d’améliorer leur motivation à l’égard de l’apprentissage du français, de s’ouvrir davantage aux autres, d’agir dans cette langue et de développer le sens de l’inclusion nécessaire à leur épanouissement social (ibid.)[1].

Au niveau universitaire, des programmes de jumelage interculturel visent à mettre en contact des étudiant·es francophones et non francophones. En plus d’établir des ponts entre des personnes de différents horizons culturels, ces initiatives développent chez les étudiant·es francophones des habiletés à travailler avec des personnes issues d’autres cultures, tout en permettant aux non-francophones d’apprendre le français et de connaître leur société d’accueil (Caza, 2019).

L’expertise de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en jumelages interculturels montre que « l’université peut contribuer de façon déterminante à l’intégration des personnes non francophones à la société québécoise ».

Carignan, Deraiche et Guillot, 2015

Le Groupe de recherche sur les jumelages interculturels (GReJI) a pour mission de répertorier les acteurs et les actrices des jumelages interculturels au Québec et de favoriser la création de nouveaux jumelages interculturels et interlinguistiques entre divers groupes et régions (Caza, 2018). Avec les années, le projet a permis à des milliers d’étudiant·es de diverses disciplines d’être jumelé·es dans l’apprentissage du français. À l’UQAM, le jumelage est une activité obligatoire qui fait partie du cursus des cours et des programmes, notamment en formation à l’enseignement primaire et secondaire, en psychologie, en travail social et en orientation scolaire (Guillot et Carignan, 2018).

Ce type d’initiatives est l’occasion de découvrir la culture francophone dans toute sa diversité et d’en apprendre davantage sur le Québec, mais aussi sur d’autres sociétés francophones. En effet, il n’est pas nécessaire pour les étudiant·es francophones d’être né·es au Québec.

Les activités de jumelage peuvent se dérouler à distance. À l’UQAM, le jumelage en ligne entre étudiant·es allophones et étudiant·es en didactique des langues secondes a permis, par exemple, de travailler les formules de salutation utilisées dans les courriels lors d’échanges virtuels (ibid.). Les premiers·ères ont appris les formules d’usage utilisées au Québec, alors que les deuxièmes ont découvert les formules et les usages d’autres langues et cultures (ibid.).

Un projet de jumelage interculturel en ligne s’est également déroulé entre des étudiant·es de français langue seconde à Montréal et des étudiants de français langue étrangère à Adélaïde, en Australie (Deraîche et Maizonniaux, 2018). Ce dispositif s’est appuyé sur une approche innovante visant à exploiter des textes de littérature migrante et des récits autobiographiques pour la lecture-écriture (ibid.). L’analyse des retombées du projet montre que le fait de proposer des activités communes s’avère pertinent pour l’expression de soi et l’échange interculturel. Une approche qui tisse des liens entre la lecture et l’écriture à partir de textes littéraires sur le thème de la migration et de l’autobiographie semble pertinente dans le cas d’échange interculturel (ibid.).

Les initiatives de jumelages interculturels n’auraient pas pu se développer année après année sans le soutien des autorités institutionnelles (Guillot et Carignan, 2018). Ce soutien s’appuie sur les politiques et les règlements en vigueur à l’UQAM et repose sur la mobilisation des gestionnaires et sur un leadership partagé (ibid.).

2. Les étudiant·es des Premiers Peuples

Chez certain·es étudiant·es des Premiers Peuples, le français peut être une langue seconde ou tierce[2]. C’est le cas de la plupart des Inuit[3] du Nord-du-Québec pour qui la langue maternelle est l’inuktitut et la langue seconde, l’anglais. Les Inuit ont le choix de poursuivre leurs études postsecondaires en anglais ou en français. Ceux et celles qui choisissent l’anglais fréquentent pour la plupart le collège anglophone John Abbott, situé à Montréal, qui a développé des programmes d’accueil spécialisés pour les Inuit (CAPRES, 2018). Jusqu’en 2015, la majorité des étudiant·es qui choisissaient le français fréquentaient quant à eux le Cégep Marie-Victorin, à Montréal. Depuis 2016, le Collège Montmorency, à Laval, est un lieu de rencontre entre les Nunavimmiut[4] et les étudiant·es francophones et allophones (Collège Montmorency et Kativik Ilisarniliriniq, 2018).

À partir de 2016, des étudiant·es inuit débutent le Tremplin DEC pour les Nunavimmiut à la session d’automne. Ce programme, qui se déroule sur deux sessions, comprend deux cours de mise à niveau en français et un cours sur les stratégies d’apprentissage au collégial, dans lequel le choc culturel est abordé (ibid.). Durant la session d’hiver, les étudiant·es suivent un dernier cours de renforcement en français, des cours de la formation générale et complémentaire, en plus d’avoir la possibilité de s’inscrire à un cours exploratoire lié à un programme collégial (ibid.).

À l’apprentissage du français s’ajoute un autre défi, celui de provenir d’une culture de l’oralité dans un système d’enseignement et d’apprentissage fondé sur l’écrit.

da Silveira, 2009

En effet, la place primordiale de l’écrit dans la scolarisation occidentale peut entrer en contradiction avec les cultures autochtones axées sur l’oralité (ibid.). Un dialogue permanent entre des cultures et des savoirs différents doit donc guider l’inclusion des étudiant·es des Premiers Peuples à l’enseignement supérieur (CAPRES, 2018). À cet égard, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) propose des programmes de certificats en éducation au préscolaire et en enseignement primaire au Nunavik qui sont développés, dispensés et évalués en collaboration avec les communautés locales. Les équipes de formation, de langue maternelle française, conçoivent et développent les contenus en français pour les communiquer par la suite aux personnes ressources inuit et aux étudiant·es en anglais, leur langue seconde. Les étudiant·es s’approprient ensuite les contenus de formation en inuktitut (ibid.).

3. Les étudiant·es dans les collèges anglophones

Les cours de français langue seconde (FLS) ont été mis en place dans les collèges anglophones il y a un peu plus de 25 ans. Si plusieurs étudiant·es fréquentant les cégeps anglophones ont le français comme langue maternelle, des recherches montrent toutefois que des étudiant·es anglophones « ayant droit » de fréquenter les écoles de langue anglaise affirment ne pas avoir les compétences langagières nécessaires pour prendre entièrement leur place dans la société québécoise (Campeau-Devlin et Popica, 2020), ni avoir la motivation pour apprendre le français langue seconde (Gagné et Popica, 2018). Certain·es entretiennent également des attitudes négatives à l’égard de la communauté francophone et de sa langue (ibid.). Les perceptions et la motivation pour l’apprentissage du FLS des participant·es sont globalement négatives, sauf en ce qui a trait au caractère instrumental de l’apprentissage du français (pour obtenir un emploi, par exemple) (Popica et Gagné, 2021).

Cette « résistance » (ibid.) peut s’expliquer en partie par le fait que les contacts entre étudiant·es francophones et étudiant·es anglophones ne sont pas fréquents (Campeau-Devlin et Popica, 2020). Pour amoindrir cette résistance, des enseignant·es ont mis sur pied un projet de recherche exploratoire de jumelage interculturel entre des étudiant·es du cégep anglophone Vanier et du cégep francophone de Victoriaville (Gagné et Popica, 2018). Dès le premier contact virtuel, des étudiant·es anglophones ont mentionné leur surprise d’être en mesure de parler aussi longtemps en français, augmentant ainsi leur sentiment d’efficacité personnelle, un élément clé de la motivation (ibid.).

Des « expériences de l’altérité » (Beacco, 2018, cité par Campeau-Devlin et Popica, 2020) ont été réalisées dans le cadre du cours obligatoire de FLS, en réunissant étudiant·es anglophones et étudiant·es francophones au sein de communautés d’apprentissage collaboratif interculturel au collège anglophone John Abbott. Ils y ont été amenés à se doter d’un bagage conceptuel et à réaliser ensemble un projet de création collaborative visant à illustrer leur représentation de l’identité collective (ibid.). Les résultats de cette expérience de communication interculturelle révèlent que des participant·es constatent une amélioration de leur compétence de communication en FLS et, surtout, de leur confiance en leur capacité de prendre la parole en français. Certain·es affirment avoir pris plaisir à travailler en collaboration avec leurs pairs francophones, ce qui peut avoir un effet positif sur leur motivation intrinsèque à apprendre (ibid.). De plus, l’amélioration des attitudes à l’égard du français parlé au Québec est statistiquement significative (ibid.).

Dans le même type d’approche interculturelle, les résultats de recherche de Popica (2019) montrent les retombées positives d’une rencontre des deux groupes linguistiques dans un projet commun visant à créer un espace relationnel où chacun·e a besoin de l’autre pour atteindre son but.

L’enseignante, qui a d’ailleurs remporté le Prix de la ministre en enseignement supérieur (Rapport de recherche pédagogique) pour ce projet, a mis en place un dispositif d’intervention consistant en un cours de FLS hybride enseigné en alternance en salle de classe et en milieu communautaire francophone. Les étudiant·es inscrit·es se sont engagé·es trois heures par semaine (pendant 10 semaines) au sein d’organismes communautaires francophones sollicitant leur aide dans des domaines liés à leur champ d’études. Le fait d’avoir la possibilité de choisir l’organisme d’engagement constitue un facteur motivationnel qui a diminué leur résistance à l’idée d’intervenir en français (ibid.).

Les résultats de son projet montrent que ce dispositif d’intervention a eu un impact positif sur la motivation, sur les attitudes à l’égard des francophones et de leur langue, de même que sur des facteurs influençant l’investissement dans l’apprentissage, comme les perceptions de ses propres compétences langagières en français (ibid.).

En intervenant auprès d’organismes francophones qui ont besoin de leur « expertise », les étudiant·es de FLS se sentent investi·es du pouvoir d’agir en français, un empowerment qui semble augmenter leur engagementà l’égard de l’apprentissage de la langue cible et diminuer la résistance (ibid.).

Popica (2020) souligne l’importance de l’apprentissage d’une langue au-delà de la salle de classe : il en résulterait une meilleure immersion linguistique grâce aux situations d’apprentissage moins formelles. L’apprentissage du français deviendrait ainsi l’« appropriation » d’une langue, qui n’est pas conçue strictement en tant qu’outil de communication, mais aussi comme une expérience culturelle d’altérité (Campeau-Devlin et Popica, 2020).

Dans un récent article paru dans Correspondance, Gagné, Gagné et Dumont (2021) montrent que le jumelage augmente nettement les chances de parler français pour les étudiant·es anglophones, en plus de créer des situations de communication interculturelle authentiques. Le réseau collégial québécois offre de nombreuses possibilités de rapprochement interculturel, qui n’a parfois pas eu lieu à l’école primaire ni secondaire (ibid.).

Les établissements d’enseignement supérieur auraient donc intérêt à réaliser de tels jumelages qui offrent une réelle valeur ajoutée à la formation sur les plans sociolinguistique et interculturel (ibid.). Le personnel enseignant, ainsi que le personnel professionnel qui le soutient, pourrait explorer les possibilités de jumelage avec leurs collègues de l’autre secteur linguistique afin d’incarner le rapprochement interculturel, notamment en consultant les travaux et pratiques du Groupe de recherche sur les jumelages interculturels (GReJI) (ibid.).


[1] Pour en savoir davantage sur ce projet, voir la section 3. Les étudiant·es des collèges anglophones de la présente fiche.

[2] À ce propos, voir la Pratique inspirante Les services aux étudiant·es autochtones, le cœur du Centre des Premières Nations Nikanite (2021).

[3] Le terme invariable Inuit est privilégié dans cette fiche. Pour en savoir plus : Dorais, L.-J. (2004). Rectitude politique ou rectitude linguistique? Comment orthographier «Inuit» en français. Études/Inuit/Studies28(1), 155-159.

[4] Nunavimmiut est le terme choisi en 2018 par les étudiant·es inuit du Collège Montmorency pour être désigné·es dans les différentes instances officielles du Collège (Collège Montmorency et Kativik Ilisarniliriniq, 2018).