Pascale Caïdor
Professeure ajointe au Département de communication
Université de Montréal
Numéro 10, actes de colloque – 2024
Pour citer cet article
Pascale Caïdor
Professeure ajointe au Département de communication
Université de Montréal
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Équité, diversité et inclusion (EDI) : au cœur de la réussite étudiante
Cet article découle d’une communication scientifique qui a été présentée au colloque La réussite étudiante en enseignement supérieur au carrefour de l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) de l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur lors du 90e Congrès de l’Acfas (11 mai 2023).
Le texte fait partie de l’axe 3, intitulé Partager la responsabilité de tous et de toutes dans le déploiement des plans d’action EDI, des actes du colloque.
L’article qui suit vise à présenter les divers types de résistance susceptibles de se manifester face aux initiatives ÉDI, se matérialisant à travers les interactions quotidiennes des membres des organisations.
Au fil des années, les initiatives et les plans d’action ÉDI (équité, diversité et inclusion) se sont multipliés dans les établissements d’enseignement supérieur. L’objectif principal des initiatives liées à la diversité est de créer une organisation plus diversifiée, d’éliminer les obstacles systémiques, de réduire les inégalités au sein des organisations et aussi de valoriser les différences. Les avancées récentes de la recherche en communication organisationnelle peuvent aider à mieux comprendre le scepticisme et la résistance qui accompagnent parfois la mise en place de ces initiatives (Caïdor, 2021). De nouveaux termes, tels que l’épuisement de la diversité (Pemberton et Kisamore, 2022), décrivent les difficultés rencontrées par les personnes praticiennes de l’ÉDI, entre autres, dans la communication des plans ÉDI. Ces mêmes personnes ainsi que les membres des établissements se heurtent fréquemment à ce que les chercheurs et chercheuses appellent « le mur de briques métaphorique », une résistance à l’ÉDI qui rend le travail sur la diversité plus difficile (Ahmed, 2012).
Comment communiquer plus efficacement les problèmes rencontrés, souvent ignorés par les collègues non directement impliqués dans les initiatives ÉDI ? Cette question met en lumière l’importance d’une responsabilité partagée dans la mise en œuvre des programmes et des plans d’action ÉDI. Une telle approche pourrait jouer un rôle essentiel dans la réussite des personnes étudiantes en démontrant un engagement institutionnel envers ces actions. Cependant, la résistance constitue un obstacle majeur entravant la concrétisation de cette répartition des rôles. Ce qui amène à poser la question suivante : comment optimiser la communication dans un contexte ÉDI pour surmonter la résistance et le scepticisme envers ces initiatives et plans d’action ÉDI ?
La perspective de communication offre un éclairage sur la résistance cachée et passive aux initiatives d’ÉDI en mobilisant les concepts d’appropriation et de performativité (Caïdor, 2021). L’appropriation implique de s’approprier une initiative en l’adaptant à soi (Abdallah, 2007). Ainsi, l’adoption des normes, règles et principes sous-jacents aux initiatives de diversité dépend de cette appropriation. Toute nouvelle initiative organisationnelle doit passer le test d’appropriation en quelque sorte, soit montrer qu’elle s’aligne ou du moins n’interfère pas avec les valeurs, normes et principes déjà adoptés par les membres des établissements. Quant à elle, la notion de performativité souligne que la communication constitue également une forme d’action ayant une incidence sur la concrétisation des initiatives ÉDI.
Étude de cas longitudinale basée sur l’analyse d’une initiative ÉDI
Pour recueillir les données, plusieurs méthodes ont été utilisées : l’analyse de documents, la réalisation de 24 entretiens individuels formels auprès des gestionnaires et des employés en deux phases ainsi que de l’observation totalisant 1170 heures. L’ensemble des méthodes de collecte de données a permis de recueillir des informations approfondies sur l’initiative ÉDI étudiée.
Quatre formes de pratiques d’appropriation sont présentes.
Les résultats de la recherche nous ont permis d’identifier 4 formes de pratiques d’appropriation dans un contexte ÉDI : la désappropriation, l’appropriation partielle, l’appropriation conditionnelle et l’appropriation totale (voir la figure 1).
1. La désappropriation
La désappropriation indique un rejet des principes fondamentaux du programme ou une résistance à celui-ci. Par exemple, les initiatives d’ÉDI visent généralement à reconnaître et valoriser les différences au sein d’une organisation. Cependant, dans certains cas, on peut observer un rejet de ce principe.
2. L’appropriation partielle
L’appropriation partielle, observée parmi les membres de l’organisation étudiée, témoigne d’une certaine retenue ou prudence à l’égard du programme ÉDI. Il est important de noter que l’attachement à certains principes et idées qui ne respectent pas les objectifs premiers du programme ÉDI peut constituer une barrière à l’appropriation complète du programme, entraînant ainsi une appropriation partielle de celui-ci et une forme de résistance passive.
3. L’appropriation conditionnelle
L’appropriation conditionnelle reflète l’ensemble des critères que les actrices et acteurs organisationnels semblent évoquer en tant que prérequis pour s’approprier le programme. Ce type d’appropriation pourrait être interprété comme une forme subtile de résistance au programme. L’organisation et ses acteurs et actrices imposent ainsi certaines conditions (par exemple : l’intégration des employés issus de la diversité) avant de donner leur appui au programme, ce qui pourrait aussi constituer une forme de résistance passive.
4. L’appropriation totale
L’appropriation totale est le reflet d’une adhésion complète aux principes fondateurs du programme, sans aucune forme de résistance apparente. Les actrices et acteurs impliqués s’approprient pleinement le programme et démontrent leur engagement envers ses objectifs et valeurs. Cette appropriation totale se traduit par une mise en œuvre sans réticence, une participation active et une intégration harmonieuse des principes et des pratiques de l’initiative d’ÉDI.
Le discours organisationnel exprime l’adhésion, le rejet, la résistance et le scepticisme envers les initiatives ÉDI.
L’analyse des micros-discours des membres d’une organisation voulant s’engager dans une initiative ÉDI révèle souvent l’appropriation ou la désappropriation à l’égard des initiatives ÉDI, ainsi que la résistance ou le scepticisme envers ce type de programme. Une attention particulière doit être accordée à la nature performative du langage, car elle met en lumière le fait que certaines déclarations ont un impact direct sur l’action. Par exemple, lorsque les membres de l’établissement déclarent s’engager dans une initiative ÉDI, cela constitue une action en soi. Ce qui est exprimé à propos de l’ÉDI joue un rôle crucial dans le succès ou l’échec de telles initiatives. Dans le contexte des établissements d’enseignement supérieur, il est essentiel de tenir compte des discussions et des échanges concernant l’ÉDI lors des séances de consultation, des délibérations au sein de divers comités, par exemple, car elles peuvent potentiellement avoir un impact direct sur le succès ou l’échec de ce type d’initiative.
La fatigue de la diversité est parfois liée à l’appropriation du programme ÉDI.
La fatigue de la diversité peut être liée à une désappropriation, une appropriation partielle ou conditionnelle du programme ÉDI par les membres d’une organisation. Par exemple, au sein des établissements d’enseignement supérieur, les membres peuvent exprimer le sentiment que le sujet est trop prédominant. Il est donc crucial d’identifier les origines de ces insatisfactions et de comprendre ce qui entraîne cette désappropriation, souvent synonyme de désengagement.
Les tensions et conflits naissent de principes contradictoires.
Les individus se positionnent en fonction de principes, d’idées et de valeurs spécifiques, parfois en réaction aux discours institutionnels. Cette dynamique peut engendrer des logiques conflictuelles et des tensions au sein de l’organisation. Dans les établissements d’enseignement supérieur, on observe une tension persistante entre l’engagement en faveur de l’ÉDI pour des principes de justice sociale et l’ÉDI axée sur des considérations d’image et de réputation. Il est essentiel de mettre en lumière les valeurs fondamentales qui sous-tendent les initiatives en matière d’ÉDI et de dévoiler les logiques conflictuelles qui en découlent.
Ahmed, S. (2009). Embodying diversity: problems and paradoxes for Black feminists. Race Ethnicity and Education, 12(1), 41-52.
Caïdor, P. et Cooren, F. (2018). The appropriation of diversity discourses at work: A ventriloquial approach. Journal of Business Diversity, 18(4), 22-41.
Abdallah, C. (2007). Production et appropriation du discours stratégique dans une organisation artistique. Revue française de gestion, 33(174), 61-76.
Ahmed, S. (2012). On being included: Racism and diversity in institutional life. Duke University Press.
Caïdor, P. (2021). La constitution communicationnelle d’un programme de valorisation de la diversité ethnoculturelle : une étude de cas. Communication & Organisation, 59(1), 169-181.
Pemberton, A. et Kisamore, J. (2023). Assessing burnout in diversity and inclusion professionals. Equality, Diversity and Inclusion: An International Journal, 42(1), 38-52.
Éditrice : Karine Vieux-Fort
Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Catherine Charron
Révision linguistique : Marie-Eve Cloutier
Cet article est rendu disponible selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA 4.0.
À propos de l'autrice
Pascale Caïdor
Professeure ajointe au Département de communication
Université de Montréal
Pascale Caïdor est professeure en communication stratégique au Département de communication de l’Université de Montréal. Elle est titulaire d’un doctorat en communication organisationnelle de la même institution. Elle se focalise dans ses recherches sur les questions relatives à l’équité, à la diversité et à l’inclusion (ÉDI) dans une perspective communicationnelle, ainsi que sur la relation entre les relations publiques et les diverses formes d’inégalité, et leur impact sur la justice sociale. Elle a auparavant œuvré pendant plus de 15 ans au sein de différentes organisations et publié des articles dans diverses revues scientifiques.
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