Au Québec, plus du tiers des personnes formées à l’université occupent un emploi qui n’exige pas de diplôme universitaire. Sylvain Bourdon, Mircea Vultur et Marie-Pierre Lapointe-Garant se sont intéressés à ce phénomène de la surqualification.

Leurs résultats sont présentés dans l’article « La surqualification des diplômés universitaires québécois : ampleur, évolution et facteurs associés».

Il y a de plus en plus de personnes diplômées universitaires qui entrent sur le marché de l’emploi. La part de jeunes de 25 à 34 ans titulaires d’un diplôme universitaire est passée de 14 % à 32 % entre 2006 et 2016 (40 % chez les femmes et 27 % chez les hommes).

Bien que de façon globale, le fait de détenir un diplôme soit corrélé avec des taux d’activité et d’emploi plus élevés et de meilleurs salaires, il appert que cet effet positif de la diplomation décroît avec l’augmentation du nombre de personnes diplômées, entraînant le phénomène de la surqualification.

La surqualification est « définie comme la situation qui caractérise un individu dont le niveau de formation dépasse celui normalement requis pour l’emploi occupé » (p. 83).

Une analyse statistique

Cet article présente les résultats d’une analyse comparative des données des recensements de 2006 et de 2016. L’équipe de recherche a utilisé une échelle de quatre niveaux de compétences et le niveau d’études qui leur correspond, basée sur la Classification nationale des professions (CNP).

Niveaux de compétenceNiveau d’étude correspondant
1. Professionnel et gestionnaire
2. Technique  
3. Intermédiaire  
4. Élémentaire
1. Universitaire
2. Collégial ou programme d’apprentissage
3. Secondaire ou formation spécifique à la profession
4. Formation en cours d’emploi

À noter que cette méthode ne permet pas d’identifier des cas de surqualification à l’intérieur de la catégorie des emplois de niveau professionnel ou gestionnaire (ex. des personnes diplômées de la maîtrise ou du doctorat et occupant un emploi qui exige un diplôme de premier cycle).

Dix variables indépendantes ont été sélectionnées, et des régressions logistiques ont été appliquées pour mesurer les interactions entre elles, et identifier les principaux prédicteurs de surqualification.

Un portrait global assez stable

Le taux de surqualification des titulaires d’un diplôme universitaire a légèrement fléchi entre 2006 et 2016, passant de 37,1 % à 36,4 %. En 2016, les groupes populationnels les plus touchés par la surqualification demeurent les mêmes : les femmes (37,2 %), les jeunes de 18 à 24 ans (60,1 %), les personnes qui ne parlent pas français (48,1 %), qui ne vivent pas en couple (40,2 %) et qui résident à Montréal (38,7 %). C’est aussi une situation qui touche particulièrement les personnes appartenant à une minorité visible (51,0 %) ou issues de l’immigration (48,6 %).

Le domaine d’étude est aussi une variable très importante : les personnes diplômées dans le domaine des arts, des sciences humaines et sociales et du droit sont beaucoup plus nombreuses à vivre une situation de surqualification (48,6 %) que celles qui sont dans les domaines de la santé (18,8 %), de l’éducation (20,8 %) ou des sciences, technologies, génie, mathématiques et sciences informatiques (31,6 %).

Certaines tendances se creusent

Malgré la stabilité des indicateurs, l’équipe de recherche fait remarquer certaines évolutions quant aux facteurs prédicteurs de la surqualification.

L’origine géographique et l’appartenance à une minorité visible

L’équipe de recherche a noté une tendance à la hausse de « l’effet du statut d’immigration, de l’appartenance à une minorité visible et de l’origine géographique du diplôme sur la probabilité d’être surqualifié » (p. 99). Certaines pistes explicatives sont avancées : la persistance, voire l’augmentation de pratiques discriminatoires à l’embauche, les embûches liées à la reconnaissance des diplômes et des qualifications des personnes formées à l’étranger ainsi que la possibilité dans certains cas d’une surqualification statistique mais non réelle (le fait de détenir un diplôme ne reflète pas nécessairement la maîtrise des compétences recherchées pour un emploi).

Les compétences linguistiques

Le fait ne pas maîtriser le français ne constitue pas un prédicteur de surqualification, une fois les autres variables prises en compte. En revanche, parler anglais apporte un effet protecteur de la surqualification, une tendance à la hausse surtout dans les régions où cette compétence est moins répandue.

L’âge et le sexe

La probabilité de surqualification a particulièrement grimpé chez les jeunes au cours de ces dix années. Les femmes, surtout lorsqu’elles vivent en couple, sont particulièrement désavantagées. En effet, tout en étant plus touchées par la surqualification, elles continuent de faire les frais des « stratégies de couples qui privilégient la carrière masculine aux dépens de la carrière féminine » (p. 100).

La diplomation dans un monde en changement

L’ampleur du phénomène de la surqualification est un révélateur des transformations du monde du travail. Alors que la population est de plus en plus scolarisée, un diplôme n’est plus une garantie d’obtenir un emploi à la hauteur de ses qualifications.

En conclusion, les auteurs et l’autrice de cette étude rappellent cependant qu’un diplôme universitaire n’a pas qu’une valeur marchande, mais également une valeur culturelle et symbolique. Ainsi, une même situation de surqualification « objective » peut correspondre à des expériences très différentes d’un individu à l’autre, selon le contexte social dans laquelle elle s’inscrit.

Référence

Bourdon, S., Vultur, M. et Lapointe-Garant, M.-P. (2024). La surqualification des diplômés universitaires québécois : ampleur, évolution et facteurs associés. Cahiers québécois de démographie : revue internationale d’étude des populations, 49(1), 81‑103. https://doi.org/10.7202/1109869ar