Un numéro spécial de la revue Higher Education est entièrement consacré aux résultats préliminaires d’un vaste projet de recherche portant sur l’enseignement supérieur et le bien public.

Le projet, initié au Centre of Global Higher Education, regroupe 17 recherches menées entre 2015 et 2024 dans 10 pays : Grande-Bretagne (Angleterre), États-Unis, Canada, France, Finlande, Pologne, Chili, Chine, Japon et Corée du Sud. Ce numéro présente 13 articles, dont trois à portée plus théorique et méthodologique, et 9 portant sur les résultats des investigations au sein de 8 pays de l’échantillon, dont le Canada. (CGHE).

L’ORES résume ici l’article introductif, qui présente le cadre et les premiers résultats de cette grande démarche comparative.

Qu’est-ce qu’on entend par « contribution au bien public » ?

Il s’agit des impacts de l’enseignement supérieur « au-delà des bénéfices pécuniaires individuels associés à la diplomation, en termes de revenus, d’emploi ou de statut social » (p.2, traduction libre). Cet apport non-pécuniaire peut être de portée collective ou individuelle, et concerner :

  • La contribution aux valeurs communes, comme la démocratie et la tolérance;
  • Le développement de l’autonomie et de la conscience citoyenne des étudiantes et des étudiants.

Au-delà de l’anglosphère

L’équipe de recherche britannique à l’origine de ce projet souhaitait explorer, dans différents contextes nationaux, les perceptions du rôle de l’enseignement supérieur à l’égard du bien public.

Dans le monde anglo-saxon, les conceptions du bien public sont fortement imprégnées de « l’imaginaire néolibéral » : l’enseignement supérieur est avant tout vu comme un « bien privé », qui bénéficie d’abord et avant tout à la personne étudiante elle-même. Dans cette vision, il est justifié que les individus déboursent davantage pour une « marchandise » qui accroît leur « capital humain », et inversement que l’État s’implique seulement minimalement dans le partage des coûts des systèmes éducatifs.

Cette perspective néolibérale, bien qu’idéologiquement répandue dans le monde, ne correspond qu’imparfaitement à d’autres modèles nationaux. En Chine et dans les pays scandinaves, par exemple, l’État joue un rôle bien plus marqué dans l’enseignement supérieur. D’où la question de recherche qui a motivé le démarrage de ce projet : Comment la contribution de l’enseignement supérieur est-elle perçue et quelles définitions du « bien public » sont véhiculées par les acteurs et actrices de l’enseignement supérieur dans différents pays du monde?

Un projet en plusieurs phases

Le numéro spécial rapporte les résultats de la première étape du projet de recherche. Au cours de cette phase, chaque équipe de recherche devait produire un portrait des approches relatives au bien commun dans un contexte national spécifique. Les étapes subséquentes devraient mener à une analyse comparative, et ultimement au développement d’une approche commune et d’une définition générale et opérationnelle du bien commun en enseignement supérieur et en sciences.

Pour cette première phase, toutes les études nationales ont comporté des revues de littérature, une enquête lexicale (sauf pour les trois pays anglophones), et des entretiens avec une diversité d’acteurs clés (hauts gestionnaires, gestionnaires intermédiaires et chercheurs et chercheuses) dans un échantillon contrasté d’établissements universitaires (total de 236 entrevues semi-structurées).

Le cas canadien a été examiné par un chercheur principal affilié à l’Université d’Oxford (en Grande-Bretagne). La revue de littérature a couvert l’ensemble du Canada anglais (le Québec a été exclu, car faisant figure « d’exception à plusieurs égards »), mais l’enquête de terrain s’est déroulée en Ontario. Contrairement aux autres études de cas présentées dans le numéro, la portée de cette étude n’est donc pas nationale, en raison de la structure fédérale du pays, dans lequel l’éducation est essentiellement une responsabilité provinciale. Le fédéral y joue néanmoins un rôle, notamment en termes de financement. Selon l’auteur et les autrices de l’article, « le gouvernement fédéral considère principalement l’objectif de l’enseignement postsecondaire sous l’angle de la théorie du capital humain », insistant sur les compétences requises sur le marché du travail.

Du « bien public » au « bien commun »

Dans tous les pays étudiés, les chercheurs et les chercheuses ont noté des références au « bien public » en tant que concept à portée universelle, tant dans sa dimension individuelle que collective. Mais ce constat est moins clair dans l’anglosphère, où cette notion était absente des politiques officielles.

Ils et elles ont aussi constaté que les actrices et les acteurs interviewés rejettent une lecture purement économique du rôle de l’enseignement supérieur. Dans la majorité des témoignages recueillis, les bienfaits « privés » et « publics » de l’enseignement convergent.

Cependant, il n’y a pas de consensus sur ce que recouvre la notion de « bien public ». Les équipes de recherche ont constaté une variété de termes et d’expressions autour de cette notion, véhiculant différentes implications (par exemple par rapport au financement de l’État).

L’auteur et l’autrice de l’article s’interrogent finalement sur les difficultés de produire une compréhension globalement partagée de la notion de « bien public », une notion entachée en anglais par le contexte idéologique néolibéral et sa vision d’un dualisme privé/public. Il et elle avancent que l’univers conceptuel du « bien commun », étant associé à une approche plus ascendante (« bottom-up »), serait peut-être plus utile pour rendre compte de la dimension collective et même globale de la contribution de l’enseignement supérieur dans le monde.

« La notion de « bien commun », qui n’est pas issue des perspectives économiques, s’avère plus puissante pour défendre publiquement le rôle social et culturel des universités » (traduction libre).

Référence 

Brewis, E. et Marginson, S. (2025). Introduction to the Special Issue: ‘The public good of higher education: A comparative study’. Higher Education, 89(1), 1‑27. https://doi.org/10.1007/s10734-024-01346-3