Joël Girès, sociologue à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), signe un article portant sur les privations vécues par les étudiants et étudiantes. Ses résultats montrent en quoi les contraintes matérielles peuvent constituer des obstacles à la réussite étudiante.

Son analyse croise les résultats d’une enquête par questionnaire portant sur les conditions de vie avec les données administratives de l’ULB concernant les résultats académiques des répondantes et répondants. Aux fins de l’étude, 3038 réponses d’étudiantes et d’étudiants ont été analysées.

À noter que l’enquête a été réalisée durant la pandémie de COVID-19 qui a exacerbé les difficultés vécues par les personnes en situation de précarité.

Les privations vécues par les étudiantes et étudiants

L’enquête visait à évaluer le degré de privations dans 5 sphères de la vie étudiante déclinées en 8 indicateurs.

SphèreIndicateur
Vie sociale1. Boire un verre avec des proches au moins une fois par mois
Loisirs2. Participer régulièrement à des activités
3. Partir en vacances une fois l’an
Besoins de base4. Dépenser un petit montant pour des besoins personnels
Matériel scolaire5. Acheter les ressources nécessaires
6. Posséder un ordinateur portable
Logement7. Chauffer suffisamment son logement
8. Disposer d’une chambre privée

Les résultats montrent que 58 % des étudiantes et étudiants vivent au moins une privation. Le plus souvent, elles et ils déclarent se priver d’activités de loisir, de vacances ou de dépenses personnelles.

Une personne étudiante sur vingt est en situation de privation sévère, définie par le cumul de 5 privations ou plus. Parmi ces étudiantes et étudiants :

  • 80 % n’ont pas les moyens d’acquérir leur matériel de cours
  • 47 % ne peuvent chauffer adéquatement leur logement
  • 57 % n’ont pas de chambre privée

Ainsi, l’auteur observe qu’une grande part des étudiantes et étudiants de l’ULB ne dispose pas d’un environnement d’études optimal pour la réussite.

Par ailleurs, les résultats montrent que plus les étudiantes et étudiants subissent des privations, moins ils consacrent du temps à leurs loisirs. Or, l’auteur fait valoir que cela peut avoir un impact sur la réussite :

« On peut faire l’hypothèse que la socialisation étudiante passe par des activités de loisir, et que le fait d’être privé de celles-ci donne moins d’opportunités aux étudiant·es de rencontrer leurs pairs, et donc de bénéficier d’aide de leur part (explications, transmission de matériel de cours…), réduisant in fine les possibilités de réussite académique. » (p.6)

Relevons que 16% des étudiantes et étudiants qui vivent des privations sévères ne demandent jamais de l’aide à leurs pairs, comparativement à 8 % des personnes ne vivant aucune privation.

Des analyses subséquentes ont aussi révélé le rôle des inégalités sociales dans ces privations :

  • 52% des étudiantes et étudiants qui ne subissent aucune privation ont un parent cadre (supérieur ou intermédiaire), et 78% ont un parent diplômé de l’enseignement supérieur. Cela suppose un accès à des ressources financières plus élevées.
  • 55% des étudiantes et étudiants qui cumulent 5 privations ou plus ont un parent né hors de l’Europe. Seulement 13% des personnes qui ne vivent aucune privation ont un parent né hors de l’Europe. Ces résultats dévoilent la dimension ethnoraciale de la précarité financière étudiante.
  • Les étudiantes et étudiants subissant des privations sont plus âgés que leurs pairs qui ne subissent aucune privation.

Les privations ont-elles des effets sur la performance académique ?

En croisant les réponses au questionnaire avec les résultats académiques des personnes répondantes, l’auteur relève que les étudiantes et étudiants en situation de grande privation vivent aussi des difficultés académiques. Girès observe que plus les personnes étudiantes subissent de privations :

  • plus leur moyenne de l’année est basse
  • plus elles sont susceptibles de rater des cours 
  • plus elles risquent d’abandonner

Même en tenant compte des variables liées à l’origine, la diplomation, la catégorie socioprofessionnelle des parents et l’âge des personnes étudiantes, les effets des privations sur les résultats académiques demeurent manifestes :

«[…] les privations matérielles demeurent toujours associées à une baisse de la moyenne des étudiant·es. L’effet est visible dès une ou deux privations, bien que léger ; il devient par contre très marqué à partir de cinq privations… » (p.16-17)

De l’importance d’une aide financière accessible

Selon l’auteur de l’article, cette recherche montre l’importance d’assurer une « protection collective » par des programmes d’aide financière structurants durant les études supérieures, afin d’éviter que les privations causées par les contraintes matérielles ne constituent un obstacle à la réussite.

Référence

Girès, J. (2024). Inégalités sociales de réussite à l’Université. La performance académique au prisme des conditions de vie étudiante. Brussels Studies. La revue scientifique pour les recherches sur Bruxelles / Het wetenschappelijk tijdschrift voor onderzoek over Brussel / The Journal of Research on Brussels. https://journals.openedition.org/brussels/7842#tocto1n2