Les transitions interordres et intercycles sont marquées par l’apprentissage de nouveaux codes de signification, un processus décrit par Alain Coulon (1997) comme l’apprentissage du métier d’étudiant·e en enseignement supérieur. Les travaux du sociologue ont fait naître une nouvelle génération de recherches sur le rapport au savoir, sur l’intégration académique et sociale, ainsi que sur les effets de l’environnement d’études sur les parcours étudiants (Paivandi et Milon, 2020).

Dans le livre phare de cette approche, Le métier d’étudiant : l’entrée dans la vie universitaire, Coulon (1997) considère le passage vers l’enseignement supérieur comme un processus d’affiliation, dont le principal enjeu est l’acquisition du statut social et de l’identité d’étudiant·e (Paivandi et Milon, 2020).

Un processus évolutif en trois temps

L’étudiant·e novice est appelé·e à développer un ensemble d’apprentissages visant son intégration au nouvel environnement. Ce processus d’affiliation, qui permet l’accès au savoir, se divise en trois temps :

  1. Le temps de l’étrangeté, soit la période d’initiation au cours de laquelle l’étudiant·e entre dans un univers inconnu;
  2. Le temps de l’apprentissage renvoie à l’apprentissage progressif des méthodes et du langage académiques durant lequel l’étudiant·e est appelé·e à décoder et à s’approprier des règles implicites;
  3. Le temps de l’affiliation est marqué par une relative maîtrise des règles et, pour certain·e·s étudiant·e·s, par la construction stratégique de leur carrière ou encore par une véritable affiliation intellectuelle pouvant les conduire à pénétrer le sens des enseignements.

L’étudiant·e appelé·e à incorporer les pratiques et les discours de l’enseignement supérieur est alors reconnu·e socialement, ce qui l’autorise pour un temps à exercer ce métier. Autrement dit, le métier d’étudiant·e n’apparaît pas magiquement; il est construit par les acteurs sociaux en interaction avec l’environnement social (ibid.).

Selon cette perspective sociologique, l’apprentissage est une activité cognitive qui se construit selon les codes et les normes de la discipline et de la culture institutionnelle, mais est aussi une activité sociale qui nécessite d’apprendre le métier d’étudiant·e permettant affiliation et socialisation (Coulon, 2017).

L’expérience étudiante n’est pas vécue ni perçue de la même manière par chacun·e et la façon de s’y ajuster n’est pas fixe pour tout le parcours, mais évolutive. Lors de la transition, les exigences en termes de compétences à acquérir peuvent être difficiles à décrypter. L’étudiant·e doit montrer qu’il ou elle connait les codes propres à son champ d’études et à la culture de son ordre d’enseignement. Ce processus d’affiliation est sans cesse renouvelé et s’enrichit d’expériences nouvelles (Coulon, 2017).

Le rôle d’aide et de soutien à la réussite : apprendre à apprendre

En plus de cet apprentissage accéléré sur son nouvel environnement, à la fois disciplinaire, institutionnel et social, l’étudiant·e en transition vers l’enseignement supérieur doit « apprendre à apprendre » (Lacasse, 2017). Construire un parcours d’études, pour ultimement s’insérer socio-professionnellement, est une activité nouvelle pour bon nombre d’étudiant·e·s (Coulon, 2017).

Concrètement, les équipes professionnelles et d’intervention dans les centres d’aide et de soutien à la réussite des établissements d’enseignement supérieur préparent des ressources destinées aux étudiant·e·s afin de faciliter leur transition, leur persévérance et leur réussite. « Apprendre à apprendre » peut se diviser en plusieurs thématiques, notamment :

  • L’organisation du travail et du temps de travail

L’organisation constitue un facteur clé de la réussite des études (Balado Réussite du Cégep Édouard-Montpetit, 2020). Elle renvoie, par exemple, à la capacité d’établir des priorités, de se fixer des objectifs de travail réalistes, de connaître ses périodes de travail efficaces et de voir l’ensemble des échéanciers à respecter pour une session (Centre CÉSAR de l’Université de Montréal, 2013).

  • La gestion du stress

Le stress, qui fait partie intégrante de l’expérience étudiante, ne doit pas être éliminé, mais faire l’objet d’un apprentissage pour mieux vivre celui-ci (Balado Réussite du Cégep Édouard-Montpetit, 2020), en particulier lors des périodes d’examens et de remise de travaux.

  • La prise de notes

La prise de notes peut constituer une activité d’apprentissage nouvelle pour les étudiant·e·s nouvellement arrivé·e·s en enseignement supérieur. Il s’agit de les aider à envisager la prise de notes comme une première période d’intégration de la matière (Centre CÉSAR de l’Université de Montréal, 2013) et de développer leur capacité de synthèse.

D’autres thématiques liées à l’apprentissage du métier d’étudiant·e peuvent être ajoutées aux trois précédentes, comme la procrastination, la lecture attentive, la réalisation des travaux d’équipe.

La formation à distance implique également de nouveaux apprentissages liés au métier d’étudiant·e, comme l’aménagement d’un espace de travail (Balado Réussite du Cégep Édouard-Montpetit, 2020) ou le développement de certaines compétences numériques.

Aussi, en obtenant le statut d’étudiant·e dans l’établissement d’enseignement, la personne bénéficie de mesures de soutien à la réussite (De Clercq et al., 2015). En retour de services offerts pour apprendre son métier, l’étudiant·e a la responsabilité de favoriser son intégration en s’informant, par exemple, des mesures d’adaptation recommandées pour soutenir sa réussite (Université de Moncton, 2020).

Valoriser les compétences informationnelles

Les compétences informationnelles, qui comprennent, entre autres, la recherche documentaire, font partie d’un des apprentissages clés du métier d’étudiant·e. À la maîtrise et au doctorat, ces compétences sont d’autant plus essentielles, car elles sont attendues de la population étudiante et visées par la formation. Ces compétences informationnelles ont été identifiées comme l’un des facteurs de réussite aux cycles supérieurs (Comité scientifique de la Grande initiative réseau en Réussite, 2020).

L’enquête du Groupe de travail sur la promotion et le développement des compétences informationnelles (GT-PDCI, 2019) du réseau de l’Université du Québec montre que les deux tiers des répondant·e·s ne sont pas en mesure d’identifier les concepts à partir desquels une stratégie efficace de recherche pourrait être déployée. Les stratégies de recherche documentaire et de raffinement des résultats sont donc partiellement maîtrisées par les étudiant·e·s (ibid.).

Une formation en recherche documentaire et informationnelle s’avère un outil précieux pour acquérir des compétences essentielles liées au métier d’étudiant·e et pour la poursuite des apprentissages tout au long de la vie (BONICI : Repérer et gérer l’information, Université de Montréal, 2020).

À la suite de l’analyse des données de son enquête, le GT-PDCI recommande d’ailleurs de bonifier l’offre de formation aux compétences informationnelles, et ce, particulièrement pour les étudiant·e·s au baccalauréat.

Cette recommandation rejoint celle de Coulon (2017) qui préconise une activité favorisant le processus d’adaptation lors de la transition vers l’enseignement supérieur, soit l’apprentissage d’une méthode documentaire. Selon le sociologue de l’éducation, la formation à la recherche documentaire dès la première année universitaire serait un outil important à mettre en œuvre afin de signifier clairement aux étudiant·e·s leur entrée dans un monde nouveau, celui des études en enseignement supérieur (ibid.).

Cet atout décisif en début de parcours permet de se confronter de manière claire aux problèmes d’apprentissage des règles de l’enseignement supérieur. En effet, en plus de faire l’apprentissage de règles techniques, l’étudiant·e entre dans le monde des concepts. L’étudiant·e apprend ainsi à appliquer concrètement les catégorisations du travail intellectuel.

L’acquisition d’une méthode de recherche documentaire permet ainsi de réaliser de façon compétente les trois opérations fondamentales de tout apprentissage intellectuel, qui sont penser, classer et catégoriser (Coulon, 2017).

Les compétences informationnelles, qui s’actualisent dans le contexte numérique comme plusieurs autres compétences « transversales », font partie d’un plus grand ensemble : les compétences numériques.   

Développer les compétences numériques

Dans le contexte de la pandémie, la grande majorité de la population étudiante suit ses cours à distance. Toutefois, rappelons que les étudiant·e·s possèdent un bagage numérique hétérogène, c’est-à-dire que leurs compétences numériques ne sont pas égales ou équivalentes. Ce bagage numérique varie grandement selon l’expérience et les habiletés des étudiant·e·s (Université du Québec, 2020). L’étiquette de « natifs du numérique » doit être nuancée, au-delà de l’utilisation des technologies et surtout dans le contexte d’apprentissage. Comme le soutiennent Roy et al. (2018), les jeunes « n’ont pas appris à apprendre avec les technologies. » (p. 16).

Différents facteurs peuvent expliquer le fait que les compétences numériques ne sont pas développées également chez les étudiant·e·s, notamment l’accès de base aux nouvelles technologies et aux infrastructures (ordinateur, réseau internet stable, par exemple) est à considérer. Ensuite, différentes compétences transférables dans les contextes numériques sont réparties de manière inégale : collaborer, communiquer, créer en contexte numérique d’apprentissage sont toutes des compétences sollicitées, pour lesquelles les étudiant·e·s ne sont pas outillé·e·s de manière homogène. Or, ces compétences permettent de favoriser l’intégration sociale, culturelle et professionnelle. Comme le soutient l’Université du Québec (2020) :

« Dans ce nouveau parcours émergeront des défis susceptibles d’influencer leur motivation, leur engagement et ultimement la réussite de leur apprentissage à distance. Ces défis peuvent surgir sur le plan de l’accès aux technologies, mais également en matière d’apprentissage et de capacité d’agir en contexte numérique. »

La pandémie de 2020 a mis en évidence les inégalités entre les étudiant·e·s en termes de compétences numériques, ainsi que le besoin de les développer davantage. L’Université du Québec (2020) a créé un outil interactif et évolutif de sensibilisation destiné aux enseignant·e·s et aux professionnel·le·s qui accompagnent les étudiant·e·s dans leur réussite. Cet outil vise les trois objectifs suivants :

  • démystifier la compétence numérique et les raisons de soutenir son développement chez la population étudiante universitaire;
  • reconnaître les inégalités numériques pouvant influencer la réussite des études;
  • découvrir et partager des initiatives mises en place par des universités pour soutenir la population étudiante dans toute sa diversité.

L’importance de développer les compétences numériques s’inscrit également dans le cadre de référence de la compétence numérique proposé par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES, 2019) :

Figure 1. Représentation graphique du cadre de référence, MEES (2019)

En somme, dans le contexte actuel de la formation à distance et même au-delà, l’acquisition des compétences numériques s’avère une composante essentielle du métier d’étudiant·e.