Près de 40 % des personnes qui emploient des diplômé·es de la formation collégiale technique estiment que leur capacité à communiquer par écrit en français ne répond pas aux attentes du marché du travail, selon des données ministérielles (Pelletier, Lachapelle, Levesque, Moisan et Debeurme, 2016). Ces difficultés seraient plus marquées chez les diplômé·es des programmes de Techniques policières et de Soins infirmiers (Debeurme, Lachapelle et Pelletier, 2016), des domaines à dominante informative.

Les écrits des futur·es diplômé·es en Techniques policières sont pourtant au cœur de leurs activités professionnelles : l’inspecteur au Service de police de la Ville de Sherbrooke, Daniel Breton, estime que le policier-patrouilleur ou la policière-patrouilleuse consacre de 70 % à 80 % de son temps de travail à des tâches d’écriture (Pelletier, 2018). Leurs écrits visent à transmettre un message d’information, à reconstruire des pratiques (rapport d’intervention, rapport d’incident, etc.) et peuvent servir à défendre une image professionnelle ou à soutenir une preuve à la cour (Collectif de recherche sur la continuité des apprentissages en lecture et en écriture – Collectif CLÉ, 2017).

Comment former les futur·es diplômé·es à produire un écrit policier de qualité, soit un écrit clair et précis qui relate les faits et qui se rendra peut-être en cour ?

Pelletier, 2018 

La compétence à produire des écrits professionnels (CPEP)

Le rapport  de recherche PAREA intitulé Français écrit au collégial et marché du travail (Pelletier et al., 2016) présente des données recueillies auprès de personnes :

  • qui emploient des diplômé·es de la formation technique du collégial en fonction de leur domaine d’emploi et du type d’écrits professionnels qui y sont produits (n = 214);
  • qui enseignent la formation spécifique de programmes techniques (n = 239);
  • qui accompagnent des enseignant·es des réseaux Repcar (Réseau des répondants et des répondantes de la réussite) et Repfran (Réseau des répondants et répondantes du dossier du français) (n = 84) (Pelletier et al., 2016).

En plus du concept de « compétence scripturale » qui est revisité sous l’angle de la compétence professionnelle, la compétence à produire des écrits professionnels attendue dans l’exercice d’un métier ou d’une profession — la CPEP — se manifeste « à travers la rédaction de textes intelligibles, efficaces et utilisables en situation professionnelle » (Ganier, 2002, cité dans Pelletier et al., 2016).

C’est à partir de ce concept central de CPEP qu’ont ensuite été réalisées des analyses portant sur les attentes du milieu de l’emploi et les pratiques des enseignant·es de la formation spécifique technique, notamment dans le domaine policier (ibid.).

Le rapport de Pelletier et al. (2016) a ensuite mené à différentes initiatives d’intégration de la CPEP au Cégep de Sherbrooke dans le programme de Techniques policières. Différentes stratégies ont été envisagées pour mieux préparer les futur·es diplômé·es de ce programme à rédiger des textes clairs, concis et précis.

Pelletier, 2018

La force de l’approche-programme

La coordonnatrice du programme et la coordonnatrice départementale en poste en 2019 ont suivi la formation du diplôme de 2e cycle en enseignement au collégial de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke en vue de favoriser l’intégration de la CPEP dans le programme, dans le département ainsi que dans chacun des cours (Pelletier, 2018). L’approche-programme est le socle sur lequel s’appuie l’intégration de la CPEP, qui relève d’un travail d’équipe (ibid.).

Les membres du comité de programme ont été sensibilisé·es à l’intégration de la CPEP. L’idée d’inclure cette compétence dans les plans-cadres des cours du programme a été accueillie positivement (ibid.). Il faut dire que les enseignant·es du Département de techniques policières avaient participé activement aux travaux de Pelletier et al. (2016) (ibid.).

Vidéo : Les écrits en milieu policier, Cégep de Sherbrooke, 2016

Le comité de programme a créé une nouvelle grille du cheminement scolaire avec l’aide des conseiller·ères pédagogiques. Les enseignant·es d’autres disciplines contributives aux Techniques policières (sociologie, psychologie, éducation physique) ont été sensibilisé·es à l’intégration de la CPEP dans le programme (Pelletier, 2018). Ce travail de sensibilisation rejoint les recommandations de Pelletier et al. (2016), pour qui la formation aux écrits professionnels est une responsabilité qui gagne à être partagée par les enseignant·es de français, mais aussi par les spécialistes disciplinaires qui assurent des cours de la formation spécifique dans les programmes techniques.

Comme l’équipe de rédaction du rapport PAREA le souligne :

« Bien au-delà de l’enseignement des exigences structurelles et stylistiques des genres professionnels, la préparation rédactionnelle des étudiant[·es] est une affaire de transversalité, de multidisciplinarité et de continuité, une affaire de discours commun et de partage de responsabilité ».

Pelletier et al., 2016, p. V

La compétence « Savoir communiquer oralement et par écrit », une compétence transversale du Projet éducatif du Cégep de Sherbrooke, a été ajoutée à des plans-cadres de Techniques policières, surtout ceux des cours de matière policière. La compétence à « produire des écrits professionnels attendue dans l’exercice de la profession de policier-patrouilleur et policière-patrouilleuse tient à la mobilisation d’habiletés à rédiger avec objectivité, pertinence, exhaustivité, concision, précision, clarté et lisibilité dans des situations de rédaction de divers rapports policiers » a été ajoutée dans certains plans-cadres de cours.


Une vision institutionnelle de la CPEP

La direction du Cégep de Sherbrooke a développé une vision institutionnelle de l’enseignement et de l’apprentissage des écrits professionnels qui permet d’accompagner les enseignant·es des programmes techniques dans l’intégration de la CPEP (Pelletier, 2018). Des formations sur la CPEP sont également proposées de même qu’un accompagnement des comités de programme.

Une formation de 15 heures intitulée Le développement de la compétence à produire des écrits professionnels en formation technique a été offerte dans le cadre du diplôme de 2e cycle en enseignement au collégial de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke.

Deux ateliers ont également été offerts. Le premier s’adressait à toutes les personnes appelées à intégrer le développement de la CPEP dans un programme : conseiller·ères pédagogiques, équipes de coordination de programme et de département, personnel enseignant et personnel-cadre. Le deuxième atelier visait à former les enseignant·es de la formation technique désirant intégrer la CPEP dans leurs cours et aux conseiller·ères pédagogiques qui les soutiennent.

Enfin, le Cégep de Sherbrooke a offert une formation sur la CPEP aux enseignant·es du Département de littérature et de communication, afin d’expliquer leur rôle déterminant dans les comités de programme et « de suggérer des pistes d’enseignement des compétences langagières pertinentes et transférables des cours de la formation générale en français vers différents contextes d’écriture dans la formation spécifique des programmes techniques » (Pelletier, 2018).

En plus des formations destinées aux différentes catégories de personnel, la direction du Cégep de Sherbrooke a appuyé des modifications de la Politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages pour mieux encadrer l’évaluation du français, tant dans les programmes préuniversitaires que techniques. Plus précisément, le nouveau texte de la Politique qui porte sur l’évaluation des compétences langagières, orales et écrites n’oriente plus l’évaluation uniquement vers la composante linguistique, mais englobe les composantes textuelle et communicationnelle :

Selon Pelletier (2018), le fait que la direction du Cégep de Sherbrooke soit sensible à la nécessité de soutenir et d’outiller les enseignant·es de la formation spécifique dans leur pratique professionnelle en lien avec l’écrit est une condition gagnante pour le développement de la CPEP. Cette approche concertée entre les spécialistes de leur domaine, les équipes de coordination de programme et de département, et les conseiller·ères pédagogiques, spécialistes de l’enseignement et de l’apprentissage, assure le plein développement de la CPEP, et ce, au bénéfice de la réussite des étudiant·es.