Une récente enquête menée par une équipe de recherche du réseau de l’Université du Québec permet de rendre visibles les difficultés rencontrées par les étudiantes et étudiants de différents groupes sociaux pendant la première vague de la pandémie.

Les résultats de cette enquête réalisée par Myriam Bénet (Université du Québec à Montréal — UQAM), Geneviève Pagé (UQAM), Selbé Diouf (Université du Québec à Chicoutimi — UQAC), Christophe Lévesque (UQAC), Julie Godin (UQAC), Pascale Dubois (UQAC), Élianne Carrier (UQAM), Simon Turcotte (Institut national de la recherche scientifique — INRS), Joanie Côté (UQAC) et Catherine Flynn (UQAC), sont parus dans un article du plus récent numéro (no 88) de Lien social et Politiques.

Mettre en lumière les impacts de la crise sanitaire sur les conditions de vie

Au total, 608 étudiantes et étudiants de six établissements du réseau de l’Université du Québec ont répondu au questionnaire en ligne d’une durée de 30 à 60 minutes. Cependant, plusieurs ont sauvegardé leurs réponses sans revenir le compléter, ou ont laissé certaines sections vides avant de le valider. L’échantillon final est donc basé sur des analyses statistiques menées sur 413 questionnaires.

De ce nombre, 394 personnes ont répondu à l’ensemble des questions à développement, ce qui a permis de mettre en relief leur expérience subjective et de saisir des éléments qui demeurent invisibles dans des enquêtes strictement quantitatives (p.46).

L’équipe de recherche précise qu’une forte majorité de femmes a choisi de répondre aux questions à développement, ce qui porte à croire qu’elles se sont senties particulièrement interpellées et ont tenu à s’exprimer sur les inégalités révélées ou exacerbées dans le contexte de la pandémie.

Bénet et al., 2022, p.47

Parmi les personnes ayant complété le volet qualitatif, 11 % étaient responsables d’au moins un enfant, 19 % étaient en situation de handicap, 11 % étaient issues de la diversité ethnoculturelle et près de 17 % provenaient de l’international avec permis d’études. Les chercheuses et les chercheurs mentionnent qu’une même personne peut s’identifier à plusieurs de ces groupes (ibid).

Principaux constats

De manière générale, l’enquête montre « que certains sous-groupes déjà fragilisés avant la pandémie, soit les communautés étudiantes provenant de l’international, ayant au moins un enfant à charge et/ou en situation de handicap, ont vu leurs conditions de vie et leur santé particulièrement affectées par l’arrivée des mesures sanitaires » (p.46).

  •  Une détresse découlant de communications imprécises

Le manque de clarté des communications en provenance des établissements d’enseignement supérieur et l’incertitude sur la fin du trimestre d’hiver 2020 ont été rapportés comme étant difficiles à vivre (p.51).

Si cette situation est déplorée par plusieurs, les réponses aux questions à développement ont montré que les communications confuses ou imprécises semblent avoir affecté plus spécifiquement les trois groupes mentionnés.

Pour les étudiantes et étudiants parents, par exemple, la confusion des communications en provenance de leur université s’ajoutait au manque de clarté des directives émises par les écoles primaires et secondaires.

  • Une précarité du logement

Au moment de la collecte des données, 63 personnes (15 %) avaient dû changer de lieu de résidence depuis la mise en place des mesures de distanciation physique. Parmi ces personnes affectées par ce changement brutal de lieu de résidence, 11 d’entre elles provenaient d’ailleurs et 13 vivaient en situation de handicap. À leur situation de fragilisation s’est ainsi ajouté le stress de l’éviction de leur logement ou la fermeture des résidences étudiantes (p.52).

Plusieurs personnes (n = 30) ont également affirmé avoir vécu des difficultés de concentration pendant cette période, notamment en raison des distractions à la maison pendant le confinement (ibid.).

  • Le risque de contamination

« À travers les réponses aux questions à développement, il est apparu évident que la gestion du risque face à l’exposition au virus ou les conséquences d’une contamination étaient liées aux conditions de vie et aux positionnements sociaux des [personnes participantes]. »

Bénet et al., 2022, p.53.

Les propos de la population étudiante ayant au moins un enfant à charge ou de celle provenant de l’international révèlent des conséquences plus importantes advenant une contamination au virus. Pour les deuxièmes, par exemple, la possibilité de rentrer dans leur pays d’origine et de voir leur famille a été compromise (p.53).

Bien que la colocation ait été une expérience positive de soutien pendant le premier confinement, elle a aussi généré du stress et de l’insécurité chez les personnes étudiantes provenant d’ailleurs, les contacts sociaux augmentant la probabilité d’une contamination à la COVID-19 (p.54).

  • Le transport en commun comme source de stress

Les personnes étudiantes appartenant à un ou des groupes fragilisés (provenant de l’international, ayant au moins un enfant à charge et/ou vivant une situation de handicap) utilisent davantage les transports en commun que ceux et celles ne s’identifiant à aucun de ces groupes. Elles ont donc plus de chance d’avoir été exposées au stress de ce moyen de transport lors de la crise sanitaire, « en plus d’être aux prises avec une plus grande complexité dans la planification de leurs courses pour se procurer les biens de première nécessité » (p.54).

  • Une détérioration de leur état de santé physique et mentale

Plusieurs témoignages révèlent que les personnes appartenant aux trois groupes fragilisés ont ressenti de l’inquiétude, le sentiment d’être submergées par la lourdeur du quotidien et des préoccupations par rapport à leurs conditions de vie, en plus de constater que leur état de santé mentale s’est dégradé (p.55).

  • La lourdeur des tâches quotidiennes

Les trois groupes concernés ont plus souvent dû composer avec un changement dans la distribution des tâches quotidiennes au sein de leur ménage. Cet effet s’observe particulièrement chez les mères d’un ou de plusieurs enfants (p.58).

L’analyse qualitative témoigne d’une certaine lourdeur dans l’organisation du quotidien et dans l’ampleur des tâches à réaliser, exacerbée par l’absence du réseau de soutien habituel. Certaines estiment « crouler sous les charges », avoir le sentiment d’« abandonner » ou de « négliger » leurs enfants et d’être « en mode survie » (ibid.).

Un lien étroit entre santé et conditions de vie

Selon l’équipe de recherche, cette enquête apporte un éclairage différent sur la santé de la population étudiante, notamment en établissant un lien entre sa santé (surtout mentale) et ses conditions de vie (p.59).

Les résultats permettent d’avancer que la population étudiante déjà fragilisée s’est retrouvée « dans une spirale où précarité des conditions de vie, complexification du quotidien et étiolement des liens sociaux se sont renforcés mutuellement et ont conduit à une détérioration de leur état de santé (mentale surtout) » (p.59).

Selon les chercheuses et les chercheurs, dans le contexte où le discours sur la responsabilité individuelle de la santé mentale semble se cristalliser, il importe de poser un regard plus systémique et structurel sur la détresse des groupes fragilisés de la population étudiante, et de « remonter vers » les systèmes qui sous-tendent et produisent ces inégalités.

Bénet et al., 2022, p.60.

Référence

Bernet, M., Pagé, G., Diouf, S., Lévesque, C., Godin, J., Dubois, P., Carrier, É., Turcotte, S., Côté, J. et Flynn, C. (2022). Expérience des communautés étudiantes québécoises durant la première vague de COVID-19 : rendre visibles les difficultés rencontrées par les étudiant·es issu·es de différents groupes sociaux. Lien social et Politiques, (88), 43-65. DOI : https://doi.org/10.7202/1090980ar