L’accès à l’éducation est un droit humain universel. De nombreuses barrières empêchent néanmoins les personnes incarcérées d’exercer ce droit fondamental.

L’article « Experiences of Learners Who Are Incarcerated With Accessing Educational Opportunities in Ontario, Canada » présente les résultats de la deuxième phase d’un projet de recherche portant sur l’accès à l’éducation des personnes incarcérées en Ontario.

L’objectif de la recherche, menée par A. Eizardirad de l’Université Wilfrid Laurier et T.-N. G. Chambers de l’Université de Guelph-Humber, était de mieux saisir les barrières systémiques à l’accès à l’éducation. Pour y arriver, 25 entrevues ont été réalisées auprès d’informateurs et d’informatrices clés :

  • 5 membres du personnel d’Amadeusz, une organisation caritative qui offre aux jeunes personnes de 18 à 35 ans un programme de soutien et d’accompagnement dans leur parcours éducatif durant leur incarcération (secondaire ou postsecondaire). Cette organisation était partenaire de la recherche.
  • 10 personnes (9 hommes et une femme trans) ayant participé au programme d’Amadeusz pendant leur séjour en prison, et qui ont entamé un programme d’études postsecondaires, avant ou après leur incarcération. Cet échantillon était surtout composé de personnes racisées (deux personnes seulement auto-identifiées comme « blanches »).
  • 10 personnes travaillant au sein d’institutions scolaires ou carcérales.

L’analyse thématique des entretiens a mené l’auteur et à l’autrice à quatre constats.

Viser la réhabilitation

L’auteur et l’autrice de l’article rappellent que « l’éducation est un des facteurs de protection les plus efficaces pour faciliter la réintégration et diminuer les risques de récidive » (p.36, traduction libre).

Pourtant, les possibilités de poursuivre des études en prison sont souvent compromises, notamment par manque d’information ou à cause d’un accès limité aux programmes. L’article met aussi en lumière le fait que certaines pratiques au sein des établissements carcéraux (par exemple les périodes d’isolement généralisé), de même que la violence liée à la culture de l’hypermasculinité nuisent à l’éducation. Les établissements de détention sont vus comme des lieux de punition plutôt que des lieux de réhabilitation.

Étudier : un droit ou un privilège?

Selon l’auteur et l’autrice de l’étude, l’éducation doit être considérée comme un droit plutôt qu’un privilège. Il existe un décalage entre les discours sur l’importance de l’éducation et la pratique au sein des établissements carcéraux. Le manque d’investissements, la faible diversité des cours et des programmes offerts, les listes d’attente, le peu de partenariats avec des établissements d’éducation montrent que l’éducation n’est pas considérée comme une priorité.

Une place pour les activités éducatives en prison

Les témoignages recueillis dans le cadre de cette étude ont révélé le manque d’espaces dédiés à l’éducation dans les prisons, c’est-à-dire des lieux où les personnes détenues se sentent en sécurité et où elles peuvent se concentrer sur leurs apprentissages.

L’accès à un ordinateur a aussi été identifié comme un enjeu majeur, considérant les exigences actuelles de l’enseignement à distance. Ainsi, selon Eizadirad et Chambers, les espaces carcéraux doivent être repensés pour faciliter l’enseignement et l’apprentissage et améliorer l’accès aux ressources, notamment technologiques.

Adapter les pratiques éducatives

La surreprésentation des populations racisées dans les prisons canadiennes, de même que les taux élevés de décrochage scolaire, sont corrélés avec les inégalités systémiques résultant du racisme et de la pauvreté. En éducation, les contenus d’apprentissages adoptent souvent un point de vue colonial et ne reflètent pas l’expérience sociohistorique des communautés racisées. Par ailleurs, les méthodes pédagogiques axées sur l’apprentissage autonome ne répondent pas aux besoins de soutien des personnes apprenantes en détention. Finalement, les barrières auxquelles font face les personnes détenues ne sont pas considérées comme des conditions donnant droit à certains accommodements institutionnels.

Pistes d’action

L’auteur et l’autrice proposent sept recommandations pour favoriser l’accès à l’éducation aux personnes incarcérées, inspirées par les résultats des deux phases de leur recherche :

  • Poursuivre la recherche sur les impacts positifs de l’éducation sur les personnes incarcérées, et rendre visibles ces résultats.
  • Prévoir des espaces dédiés à l’éducation dans les prisons.
  • Assurer un meilleur accès aux ordinateurs et aux ressources technologiques aux personnes détenues.
  • Favoriser la formation des personnes enseignantes aux pratiques pédagogiques sensibles, anti-oppressives et décoloniales.
  • Mandater les établissements d’enseignement supérieur pour qu’ils développent des programmes et des cours par correspondance en format papier. Les établissements devraient aussi accorder des accommodements sur la base de la situation d’incarcération, et inclure ces principes dans leurs politiques d’équité, de diversité et d’inclusion.
  • Mettre en place des bourses spécifiquement pour les personnes apprenantes incarcérées.
  • Créer une coalition en faveur de l’accès à l’éducation pour les personnes incarcérées.

Référence

Eizadirad, A. et Chambers, T.-N. G. (2023). Experiences of Learners Who Are Incarcerated With Accessing Educational Opportunities in Ontario, Canada. Journal of Higher Education Theory and Practice, 23(1). https://doi.org/10.33423/jhetp.v23i1.5790