Il existe un consensus fort sur l’importance d’intégrer des compétences et des savoirs environnementaux dans tous les cursus scolaires, du préscolaire au postsecondaire (Borde et al., 2022 ; Molthan-Hill et al., 2022). Cette éducation est nécessaire non seulement pour outiller les individus dans un monde en changement, mais aussi pour donner aux communautés les moyens de construire un avenir viable.

À travers l’objectif 4 de développement durable, l’Organisation des Nations Unies nous invite à voir l’éducation au service du bien commun. À l’inverse d’une vision individuelle de la réussite, l’ONU suggère de passer « d’une focalisation exclusive sur l’accès et la qualité, mesurés principalement en termes de résultats d’apprentissage, à une focalisation accrue sur les contenus éducatifs et leur contribution à la durabilité de l’humanité et de la planète » (UNESCO, 2020, p. 14).

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) explique que la fenêtre dont l’humanité dispose pour assurer un futur viable et durable se referme rapidement. Le groupe en appelle à des actions urgentes et transformatrices, et particulièrement à la « réduction radicale, rapide et durable des émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs » (GIEC, 2023).

Pourquoi l’éducation des adultes est-elle cruciale pour la transition écologique ?

Justice intergénérationnelle : les jeunes n’ont pas à porter seuls le poids de la transition et à « réparer les torts cumulatifs du passé » (L’éducation au service de la Terre, 2022, p. 16).

Force d’impact : ce sont principalement les adultes qui, à travers leurs activités professionnelles et citoyennes, « prennent actuellement, à court et moyen termes, des décisions déterminantes localement et globalement, pour l’environnement et la société en général. » (Villemagne et Sauvé, 2021)

Urgence d’agir : la formation continue est plus agile que les programmes éducatifs officiels, qui évoluent plus lentement. Des initiatives peuvent être développées rapidement « dans l’attente de mesures concrètes réalisées au niveau des ministères et des universités canadiennes pour ajuster les curricula et la formation enseignante » (Dionne et Lefebvre, 2022, p. 131).

L’enseignement supérieur peut exercer un leadership en matière de formation continue pour la transition. Deux rôles apparaissent particulièrement stratégiques à cet égard : (1) l’accompagnement de la transition dans le monde du travail; (2) la formation continue des personnes enseignantes.

Accompagner le monde du travail

L’urgence de la transition écologique impose une transformation en profondeur des « modes de production, de consommation, de déplacement, d’organisation du travail, et subit, de surcroît, une forte influence de la réglementation » (France Stratégie et al., 2021, p. 2). L’ensemble des secteurs d’activité seront touchés, que ce soit par la création, la disparition ou la redéfinition des emplois. Selon l’Organisation internationale du travail, la transition vers une économie verte impliquera donc une augmentation des transitions professionnelles (OIT, 2019). Celle-ci devra être soutenue par des dispositifs de formation continue robustes et équitables, qui offriront à l’ensemble des travailleurs et aux travailleuses la possibilité d’améliorer leur sort.

Qu’est-ce que la « transition juste » ?

Adoptée officiellement par les États signataires de l’Accord de Paris en 2015, cette notion permet de penser les changements nécessaires à la transition écologique tout en visant la réduction des inégalités sociales. L’éducation est un « élément clé de la transition juste » (Front commun pour la transition énergétique, 2020, p. 25). Ainsi, dans une optique de transition juste, les mécanismes de requalification devront aussi viser des travailleurs et des travailleuses qui ont moins accès à la formation continue.

Atténuation et adaptation aux changements climatiques

Le perfectionnement professionnel et la requalification des personnes, dans une perspective de transition juste, représente un défi de collaboration entre l’État, le secteur de l’enseignement et les milieux de travail. La réflexion sur les enjeux du travail en lien avec la transition écologique se limite souvent aux « emplois verts », mais elle concerne pourtant tous les secteurs d’activité. C’est d’ailleurs pour favoriser la concertation intersectorielle et « agir sur la construction de l’économie de demain » que le gouvernement du Québec a créé en 2023 un « pôle d’expertise en transition verte et de la main-d’œuvre » (Scheed, 2023, p. 36).

Une vision globale de la formation continue nécessaire à la transition écologique devrait inclure :

  • Les métiers de l’environnement (par exemple dans le secteur de l’eau, des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique ou de la gestion des sols). Le comité sectoriel de la main-d’œuvre, à la demande du gouvernement du Québec, a produit un référentiel de compétences pour les 10 sous-secteurs de l’environnement.
  • Les « emplois verdissants », c’est-à-dire ceux « dont la finalité n’est pas environnementale, mais qui intègrent de nouvelles « briques de compétence » pour prendre en compte de façon significative et quantifiable la dimension environnementale » (Baghioni et al., 2024). Il s’agit notamment d’emplois qui seront directement touchés par l’introduction de nouvelles normes environnementales. 
  • Les métiers du domaine social et sanitaire, souvent désignés comme les emplois de « care ». Ces emplois en santé, en éducation et dans les services sociaux, au sein des services publics ou encore dans le secteur communautaire et de l’économie sociale, sont bel et bien au cœur de la transition. Non seulement ces emplois sont faiblement émetteurs de GES, mais ils jouent aussi un rôle clé dans l’adaptation aux changements et dans l’atténuation des injustices climatiques, en plus de contribuer à l’émergence d’une conscience environnementale dans la société (OIT, 2023, p. 32). Contrairement aux emplois du secteur de l’environnement, qui sont à prédominance masculine (EnviroCompétences, 2023), les emplois du « care » sont principalement occupés par des femmes. Il y a donc également un enjeu d’équité à les intégrer pleinement dans la réflexion entourant le soutien à la transition dans les milieux de travail.

Former le personnel enseignant

Le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) met de l’avant des éléments d’éducation au développement durable, du préscolaire au secondaire. Cependant, cet aspect est peu inclus dans la formation initiale des personnes qui se destinent à l’enseignement, au Québec comme ailleurs au Canada. Le référentiel québécois des compétences professionnelles pour la profession enseignante n’inclut d’ailleurs pas de compétence spécifique à cet égard. (Coalition Éducation Environnement Écocitoyenneté, 2022).

Pourtant, le Canada, par son adhésion à plusieurs conventions internationales, s’est engagé à intégrer des « objectifs d’apprentissage directement reliés à l’éducation relative à l’environnement et aux changements climatiques » et à « assurer une formation enseignante adéquate pour promouvoir cette éducation » (Dionne et Lefebvre, 2022, p. 128). En effet, selon l’UNESCO, il ne suffit pas d’inscrire l’éducation relative à l’environnement dans les programmes scolaires, il faut aussi viser le « renforcement systématique et complet des capacités en matière d’éducation au développement durable dans la formation initiale et continue et l’évaluation des enseignants aux niveaux préprimaire, primaire, secondaire et supérieur » (UNESCO, 2020, p. 30).

Ainsi, outre la formation initiale, la formation continue constitue un levier important pour aider les personnes enseignantes à faire vivre l’éducation relative à l’environnement dans leurs classes2.

2 Le Plan d’action de développement durable 2023-2028 comprend certaines mesures qui visent à soutenir des projets d’éducation au changement climatique, notamment via la formation des personnes enseignantes et le développement d’outils pédagogiques.

Soutenir l’écosystème éducatif

La formation continue des personnes enseignantes en matière de transition écologique est aussi une opportunité de concrétiser la collaboration souhaitée entre l’enseignement supérieur, le système scolaire, les acteurs non formels de l’apprentissage tout au long de la vie et l’appareil étatique et gouvernemental (Sauvé et al., 2018, p. vi).

Les universités, de par leur expertise de pointe tant en matière environnementale qu’éducative, sont particulièrement bien placées pour renforcer la capacité des écoles à intégrer l’éducation relative à l’environnement et aux changements climatiques (Reimers, 2021). Une façon concrète pour les établissements d’enseignement supérieur d’accroître leur présence dans les écoles et de contribuer à la formation continue des personnes enseignantes est, par exemple, de les inclure dans des projets de recherche-action (CSE, 2023, p. 95).

Pour « construire un écosystème de l’éducation au changement climatique » (Reimers, 2021), les universités peuvent aussi :

  • sélectionner, trier et organiser des ressources pédagogiques, afin d’aider les personnes enseignantes à construire leur curriculum de formation continue relative à l’environnement;
  • créer et nourrir des réseaux d’échange entre scientifiques, éducateurs et éducatrices à tous les niveaux, afin de soutenir la communauté professionnelle enseignante;
  • nouer des partenariats avec les écoles et les organismes locaux d’éducation non formelle.

La synergie avec les organismes locaux – par exemple avec des groupes en environnement impliqués dans des initiatives d’éducation non formelle [voir les exemples ci-dessous] – est à privilégier pour construire un écosystème éducatif solide. En effet, plusieurs spécialistes font valoir qu’en éducation relative à l’environnement, l’enjeu est davantage de susciter le « sentiment de pouvoir agir » que de simplement transmettre des faits concernant les crises environnementales (Morin et al., 2022).

À cet égard, les initiatives de reconnexion avec l’environnement sont particulièrement porteuses, d’où l’importance pour l’éducation relative à l’environnement de s’ouvrir aux expertises non académiques, notamment aux savoirs autochtones (Legault et al., 2023).

• Des municipalités, comme la Communauté métropolitaine de Québec qui a développé un Programme d’éducation relative à l’environnement;

• Des organisations syndicales, comme la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) qui a créé et qui soutient depuis plus de 30 ans le réseau des Établissements verts Brundtland, maintenant le Mouvement ACTES;

• Des associations, regroupements ou fondations dont la mission concerne directement l’éducation relative à l’environnement, comme ENvironnement JEUnesse, L’Association québécoise pour la promotion de l’éducation relative à l’environnement, ou encore la Fondation Monique-Fitz-Back;

• Des organismes autochtones qui ont développé une programmation éducative, comme KINA8AT.

• Le Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté (UQAM);

• La Chaire en éducation à l’environnement et au développement durable UQAR – Desjardins (UQAR);

• La Chaire de leadership en enseignement des sciences et développement durable (Université Laval);

• Plusieurs autres établissements offrent aussi au personnel enseignant des programmes courts ou des formations continues non créditées dans les domaines de l’environnement, de la transition écologique et des changements climatiques.

Références

Baghioni, L., Delanoë, A., Foli, O., Hocquelet, M., Mahlaoui, S., Moncel, N., Séchaud, F. et Valette-Wursthen, A. (2024). Répondre aux besoins en compétences à l’heure de la transition écologique : représentations et réalités (54). Céreq. https://www.cereq.fr/sites/default/files/2024-02/CETUDES_54_1.pdf

Borde, B., Léna, P. et Lescarmontier, L. (2022). Education as a Strategy for Climate Change Mitigation and Adaptation. Dans M. Lackner, B. Sajjadi et W.-Y. Chen (dir.), Handbook of Climate Change Mitigation and Adaptation (p. 3089‑3113). Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-030-72579-2_149

Bortzmeyer, M. (2021). Prendre en compte les enjeux environnementaux et de durabilité dans la formation initiale et continue. Un point de vue depuis le ministère de la transition écologique. Revue française d’administration publique, 179(3), 639‑656. https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2021-3-page-639.htm

Coalition Éducation Environnement Écocitoyenneté. (2022). Lettre ouverte. De la reconnaissance à l’engagement politique. https://www.coalition-education-environnement-ecocitoyennete.org/lettre-ouverte/de-la-reconnaissance-a-lengagement-politique

CSE. (2023). Profession enseignante au Québec : voies d’accès actuelles et potentielles. Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2021-2023. Conseil supérieur de l’éducation. https://www.cse.gouv.qc.ca/publications/profession-enseignante-voies-acces-50-0807/

Dionne, L. et Lefebvre, I. (2022). L’éducation relative à l’environnement et au changement climatique : l’appui d’ententes internationales pour son institutionnalisation. Éducation relative à l’environnement : regards – Recherches – Réflexions, 17(1). https://www.erudit.org/en/journals/ere/2022-v17-n1-ere07463/1093841ar/

EnviroCompétences. (2023). Portrait des femmes qui exercent un métier ou une profession en environnement. Comité sectoriel de main-d’œuvre de l’environnement. https://www.envirocompetences.org/media/nouvelles/document/EnviroComptences-Portraitdesfemmesenenvironnement24102023.pdf

France Stratégie, Céreq, Agence de la transition écologique et Ministère de la transition écologique. (2021). Identifier et accompagner les compétences de la transition écologique. Synthèse du cycle 2020 de webconférences. https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/synthese_du_cycle_2020_de_webconferences_-_identifier_et_accompagner_les_competences_de_la_transition_ecologique_0.pdf

Front commun pour la transition énergétique. (2020). Projet Québec ZéN (zéro émission nette). Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité. https://www.pourlatransitionenergetique.org/wp-content/uploads/QcZeN-Feuillederoute_v2.pdf

GIEC. (2023). Agir sans attendre pour le climat : la clé d’un avenir vivable. [Communiqué de presse sur le Rapport de synthèse]. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/press/IPCC_AR6_SYR_PressRelease_fr.pdf

L’éducation au service de la Terre. (2022). Perspectives des Canadiens sur les changements climatiques et l’éducation : 2022. L’éducation au service de la Terre (LST). https://lsf-lst.ca/fr/wp-content/uploads/2022/12/Perspectives-des-Canadiens-sur-les-changements-climatiques-et-leducation-2022-_c.pdf

Legault, A., Edward, K. et Agundez Rodriguez, A. (2023). Aborder l’éducation aux changements climatiques par les perspectives autochtones. Le potentiel de la littérature autochtone. Spectre, 53(1), 19‑23.

Molthan-Hill, P., Blaj-Ward, L., Mbah, M. F. et Ledley, T. S. (2022). Climate Change Education at Universities: Relevance and Strategies for Every Discipline. Dans M. Lackner, B. Sajjadi et W.-Y. Chen (dir.), Handbook of Climate Change Mitigation and Adaptation (p. 3395‑3457). Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-030-72579-2_153

Morin, É., Therriault, G. et Bader, B. (2022). Le développement du sentiment de pouvoir agir des jeunes face aux changements climatiques à l’école secondaire. Éducation relative à l’environnement : regards – Recherches – Réflexions, 17(1). https://id.erudit.org/iderudit/1093835ar

OIT. (2019). Skills for a greener future: a global view. Organisation internationale du travail. http://www.ilo.org/skills/pubs/WCMS_732214/lang–en/index.htm

OIT. (2023). Gender equality and inclusion for a just transition in climate action: A practical guide. Organisation internationale du travail. http://www.ilo.org/global/topics/equality-and-discrimination/gender-equality/WCMS_905739/lang–en/index.htm

Reimers, F. M. (2021). The Role of Universities Building an Ecosystem of Climate Change Education. Dans F. M. Reimers (dir.), Education and Climate Change: The Role of Universities (p. 1‑44). Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-030-57927-2_1

Sauvé, L., Asselin, H., Marcoux, C. et Robitaille, J. (2018). Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté. Défis, visions et pistes d’action. Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté (Centr’ERE).

Scheed, H. (2023). Pôle d’expertise en transition verte et de la main-d’œuvre. Pour faire face aux enjeux du marché du travail. Vecteur Environnement, 56(3), 36‑37.

Schreiber-Barsch, S. et Mauch, W. (2019). Adult learning and education as a response to global challenges: Fostering agents of social transformation and sustainability. International Review of Education, 65, 515‑536. https://doi.org/10.1007/s11159-019-09781-6

UNESCO. (2020). L’Éducation au développement durable : Feuille de route. Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000374891/PDF/374891fre.pdf.multi

Villemagne, C. et Sauvé, L. (2021). L’éducation relative à l’environnement auprès des adultes : mouvances et repères. Éducation relative à l’environnement : regards – Recherches – Réflexions, 16(1). https://id.erudit.org/iderudit/1079148ar