Depuis 20 ans, le Bureau de l’engagement communautaire de l’Université Concordia fait vivre l’Université autrement : dans les cafés (University of the Streets Café), un programme bilingue de discussions publiques. Il réunit des personnes de différents horizons autour d’un sujet qui leur tient à cœur ou qui est important dans leur communauté.

L’Université à la rencontre des communautés montréalaises

À Concordia, le Bureau de l’engagement communautaire a pour mandat de développer des projets et des relations entre la communauté universitaire et les communautés montréalaises. La rencontre entre les savoirs expérientiels et savants est ainsi au cœur de la mission du Bureau de l’engagement communautaire et l’Université autrement : dans les cafés constitue l’un de ses projets-phares.

Cette initiative s’inscrit dans la longue tradition européenne des universités populaires, et se rapproche aussi du modèle des « cafés scientifiques » ou « philosophiques ». Alexandra Pierre, coordonnatrice de projets au Bureau de l’engagement communautaire, évoque également une parenté avec la tradition de l’agora, ou de l’arbre à palabre :

Les universités populaires visent à soutenir une citoyenneté active, dans une perspective d’« émancipation et de transformation sociale ». Elles sont gratuites, ne nécessitent pas d’inscription et s’adressent à tous et toutes, indépendamment du niveau de scolarité. (Lenoir, 2020)

Les « cafés scientifiques » sont des discussions autour d’un thème ou d’un enjeu socio-scientifique, organisées dans un lieu convivial, comme un café. Ces rencontres sont axées sur l’échange d’idées et de perspectives entre spécialistes et citoyennes et citoyens (Otrel-Cass et al., 2012).

Tout comme l’ « agora » dans la Grèce antique, l’« arbre à palabre » en Afrique est un « lieu de rassemblement où chaque individu est libre de s’exprimer sur l’évolution de la vie de société. C’est un lieu traditionnel de rencontre où les problèmes du village et de la communauté, ainsi que les questions liées au développement, sont pris en compte et traités ensemble. » (Diangitukwa, 2014)

Une formule bien rodée  

QUAND ? L’Université autrement : dans les cafés organise entre 3 et 15 conversations par année. Elles ont lieu en soirée, entre 19 h et 21 h.

OÙ ? Dans des lieux ouverts au public, où l’on peut circuler librement, comme des cafés, des centres communautaires, des librairies, des galeries d’art, des bars. Aucune inscription n’est requise. L’équipe offre des breuvages et quelques grignotines aux personnes participantes.

QUOI ? : Les sujets sont parfois proposés par le Bureau de l’engagement communautaire, mais ils sont souvent suggérés par des universitaires, des personnes engagées dans leur communauté ou encore des citoyennes ou des citoyens habitués des conversations de l’Université autrement : dans les cafés. Pour Alexandra Pierre, le défi est de trouver un angle stimulant, pour susciter l’intérêt et la participation tout en évitant le piège de la « polémique inutile » ou celui du « consensus plate ». À l’hiver 2024, les conversations ont porté sur :

  • Plus que des ami-e-s : Et si les relations platoniques étaient au cœur de l’organisation sociale ?
  • Swipper à droite : Les applications de rencontre sont-elles des fabriques à stéréotypes ou d’algorithmes de l’amour ?
  • Faire tomber les barrières : À quoi ressemble la justice envers les personnes en situation de handicap au sein des mouvements sociaux ?
  • Les aménagements cyclables : Sauver l’environnement ou pédaler dans le vide ?
  • À l’heure des cheveux gris : Comment la société s’adaptera face à une population qui prend de l’âge ?
  • Toujours en apprentissage : Comment est-ce qu’une éducation sexuelle permanente contribue à une société plus juste ?

QUI ? Les conversations mettent en dialogue :

  • Deux personnes invitées qui ont une expérience ou une expertise sur le sujet. Il s’agit généralement d’une personne issue des communautés montréalaises et d’une ou d’un universitaire. La plupart du temps, une personne s’exprime en anglais, et l’autre en français.
  • Une personne modératrice, bilingue, qui anime et encadre la discussion. Elle veille au respect des temps de parole et s’assure qu’aucun propos discriminatoire ne soit tenu. Surtout, elle maintient l’esprit de la discussion publique en faisant circuler la parole, par exemple en orientant les questions vers le groupe plutôt que vers les personnes invitées. Le Bureau de l’engagement communautaire fait souvent appel à des animatrices et des animateurs expérimentés, issus du milieu communautaire ou académique, et formés à exercer ce rôle.
  • Des participantes et des participants, motivés par le désir d’apprendre et de partager des idées sur un sujet donné. Les conversations attirent entre 10 et 30 personnes, de tous les âges. Environ une personne sur cinq est étudiante, et la moitié est francophone. Les personnes participantes peuvent s’exprimer en français ou en anglais et, au besoin, une traduction chuchotée est offerte.

COMMENT ? : La formule prévoit 10 minutes de présentation par personne invitée, qui ont pour mandat de « mettre la table » sur le sujet de la discussion. Pour le reste de la soirée, la parole est à la salle, et les deux personnes invitées deviennent des participants et participantes comme les autres. La disposition des lieux, conviviale, ne met personne sur un piédestal. Pour comprendre la nature de ces conversations, il faut se défaire d’une vision traditionnelle de l’éducation, essentiellement basée sur la transmission de savoirs d’une personne experte vers des publics apprenants. À l’Université autrement : dans les cafés, les universitaires contribuent aux échanges, mais ils et elles ne sont pas au centre de la discussion. Leurs résultats de recherche, plutôt qu’être l’aboutissement d’une réflexion, sont un tremplin pour débuter la discussion et l’approfondir.

Face-à-face, sans technologie

Les conversations de l’Université autrement : dans les cafés se déroulent en personne, sans micro ni support technologique. Cet aspect est très important aux yeux du Bureau de l’engagement communautaire.

La qualité des conversations, qui ne sont pas interrompues par des pépins techniques, s’en trouve améliorée. Selon Alexandra Pierre, « il y a peu de ce type d’espace, pour discuter avec des inconnus ». L’Université autrement : dans les cafés, par sa souplesse, est un endroit accueillant où « déposer » des réflexions qui ne sont pas tout à fait abouties, que les autres personnes participantes peuvent prendre au bond et amener dans des directions parfois imprévues. La formule favorise un échange égalitaire entre les savoirs expérientiels et savants, et permet de mettre en valeur la complémentarité de chacune des contributions.

Des personnes étudiantes sont assises sous un chapiteau et discutent.

Source : Université Concordia

Des conversations publiques qui « cultivent la démocratie »1

Depuis sa création, l’Université autrement : dans les cafés a organisé entre 400 et 450 conversations, et compte bien poursuivre cette mission qui s’inscrit pleinement dans une perspective d’apprentissage tout au long de la vie. Pour Alexandra Pierre, nous avons plus que jamais besoin de développer collectivement notre capacité à entrer en dialogue, non pas dans l’intention de convaincre l’autre, mais plutôt d’approfondir notre compréhension d’un sujet ou d’un enjeu.

Les retombées de ce programme, même si elles ne se calculent pas en espèces « sonnantes et trébuchantes », sont indéniables. Pour les personnes participantes, il représente un espace de partage, de socialisation et d’apprentissage. Pour les universitaires, il offre la possibilité de diffuser leurs résultats, mais surtout de mettre en dialogue leurs recherches voire parfois de prendre conscience de certains angles morts. Pour les communautés montréalaises, ces rencontres peuvent être l’étincelle qui crée de nouvelles collaborations, de nouveaux projets.

1« Des conversations qui cultivent la démocratie » était le thème choisi pour la programmation d’automne 2023, qui marquait les 20 ans d’existence de l’Université autrement : dans les cafés (Wright, 2023).


L’écriture de cette pratique inspirante s’appuie sur une entrevue réalisée avec Alexandra Pierre, coordonnatrice de projet à l’Université Concordia, au bureau de l’engagement communautaire (Mme Pierre a quitté son poste depuis). Mme Pierre a approuvé le contenu de ce texte.

Références

Diangitukwa, F. (2014). La lointaine origine de la gouvernance en Afrique : l’arbre à palabres. Revue Gouvernance / Governance Review, 11(1). https://doi.org/10.7202/1038881ar

Lenoir, H. (2020). Universités Populaires en France et ailleurs. Revue Possibles, 44(2), 35‑45. https://doi.org/10.62212/revuepossibles.v44i2.36

Otrel-Cass, K., Campbell, A. et Wilson, M. (2012). Fostering Opportunities to Talk about Science. Brill. https://brill.com/display/book/9789460917912/BP000015.xml

Wright, E. (2023, 19 septembre). Concordia’s University of the Streets Café celebrates its 20th anniversary. Université Concordia. https://www.concordia.ca/content/shared/en/news/main/stories/2023/09/19/concordia-s-university-of-the-streets-cafe-celebrates-its-20th-a.html?c=%2Fabout%2Fcommunity