Dans le paysage de l’aide alimentaire, les épiceries sociales et solidaires sont un modèle en émergence, y compris au Québec. Situées dans des quartiers où se concentrent les populations à faible revenu, qui sont souvent qualifiés de « déserts alimentaires », elles donnent accès à des denrées alimentaires de qualité et à faible coût (TIESS, 2022). En France, une importante initiative visant spécifiquement les populations étudiantes précaires existe depuis 2011. Le réseau des AGORAé – de « agora », qui signifie « espace public » et « é » pour étudiant –  a vu le jour grâce à l’impulsion de la Fédération des Associations Générales Étudiantes (FAGE), une organisation qui a pour mission « d’améliorer les conditions de vie et d’études des jeunes » et qui représente environ 300 000 personnes étudiantes.

Le réseau compte aujourd’hui quarante épiceries réparties sur tout le territoire français. Entre 2011 et 2021, les AGORAé ont aidé 41 106 étudiantes et étudiants, dont près de 25 000 « au plus fort de la crise sanitaire pendant les confinements » (FAGE, 2021)

Améliorer les conditions de vie et d’étude en s’attaquant à la précarité alimentaire

La précarité étudiante est un enjeu de longue date pour la FAGE. Avant la création des AGORAé, la fédération participait déjà depuis plusieurs années à des activités ponctuelles d’aide alimentaire. Constatant que le phénomène ne faisait qu’augmenter au fil des ans, le besoin d’une réponse plus permanente s’est fait sentir, d’où la création des épiceries solidaires.

Bien que l’accès aux aliments soit réservé aux personnes en difficulté financière, les AGORAé se veulent un espace de vie et de solidarité non stigmatisant. Elles sont non seulement des lieux pour s’approvisionner en denrées alimentaires et d’hygiène, mais aussi des espaces d’échange, d’information et de vie étudiante ouverts à tous et à toutes. Des activités culturelles et sportives sont organisées, notamment des séjours de vacances auxquels bien des personnes étudiantes précaires ne pourraient aspirer autrement.

En plus d’offrir de l’aide alimentaire, les AGORAé permettent de (FAGE, s. d.-a) :

  • créer du lien social;
  • informer les étudiantes et les étudiants sur leurs droits;
  • faciliter l’accès à la culture et aux loisirs;
  • favoriser l’engagement étudiant.

Ultimement, en s’attaquant à la précarité alimentaire, cette initiative vise à favoriser l’égalité des chances et la réussite éducative. En donnant accès à des aliments sains à moindre coût, la FAGE souhaite aussi que les étudiantes et étudiants précaires puissent réduire le temps consacré au travail salarié.

Comment fonctionne le modèle des AGORAé ?

Les AGORAé sont aménagées directement sur les campus et ouvertes selon un horaire adapté à la vie étudiante. Une inscription est nécessaire pour avoir accès aux aliments qui sont vendus à 10 % ou 20 % du prix régulier. Pour devenir bénéficiaires, les étudiantes et étudiants doivent fournir la preuve de leur situation de précarité financière. Les produits d’hygiène menstruelle sont quant à eux offerts gratuitement.

Le réseau est soutenu à l’échelle nationale par la FAGE, mais ce sont les fédérations étudiantes locales qui assument la gestion quotidienne des épiceries. Entre 5 et 30 bénévoles et jeunes en service civique1 s’activent pour assurer le fonctionnement de chaque AGORAé. Il s’agit donc également d’un lieu d’implication très important pour les étudiantes et étudiants.

Pour l’approvisionnement alimentaire, les AGORAé collaborent avec des banques alimentaires, des producteurs locaux, ainsi que des épiceries de moyennes et grandes surfaces qui leur cèdent leurs invendus (Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, s. d.). Des partenariats institutionnels avec les universités, les ministères et des fondations privées sont aussi indispensables à la survie de l’initiative qui a bénéficié de fonds publics via le Programme national pour l’alimentation 2017-2018 (Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, s. d.).

Un service qui répond à des besoins criants

Un dispositif d’évaluation, basé sur trois questionnaires remplis par les bénéficiaires (questionnaire d’entrée, de sortie et 4 mois après la sortie), a permis de recueillir des données sur l’impact du service. Le dernier bilan (2016-2017) a montré que la fréquentation des épiceries a été en forte hausse depuis leur création et que la majorité des personnes rejointes (66 %) sont des étudiantes et étudiants internationaux.

Selon les résultats de l’analyse, l’aide alimentaire apportée par les AGORAé a un impact positif réel sur l’équilibre budgétaire, sur l’alimentation des bénéficiaires ainsi que sur leur réussite universitaire. Enfin, les AGORAé apparaissent comme des vecteurs de lien social grâce aux animations qu’elles proposent au sein de leur lieu de vie et qui permettent aux étudiants d’échanger et de s’informer sur de nombreuses thématiques (accès aux droits, au logement, actions de sensibilisation, ateliers ludiques et créatifs etc.). (FAGE, s. d.-b)

La FAGE a d’ailleurs été lauréate du programme présidentiel « La France S’Engage en 2016 » pour le projet des AGORAé.

Une demande malheureusement toujours en croissance

La pandémie a exacerbé la précarité étudiante sur tous les plans : financier, alimentaire, du logement, de la santé, etc. (Tervé, 2022). L’augmentation du coût de la vie a accentué cette tendance, provoquant un accroissement des besoins d’aide alimentaire, y compris pour des étudiantes et étudiants issus de la classe moyenne. À Toulouse, par exemple, le nombre de bénéficiaires de l’épicerie solidaire étudiante est passé de 174 à 780 de septembre 2022 à janvier 2023 (Rousselle, 2023, p. 17). Les « files d’attente interminables » (Matignon, 2022) devant les AGORAé illustrent de façon éloquente l’importance de cette ressource pour les étudiantes et les étudiants. Pour la FAGE, ces tristes constats ne font que renforcer sa volonté d’inscrire cette lutte contre l’insécurité alimentaire dans un combat plus général pour des « mesures structurelles contre la pauvreté étudiante » (FAGE, 2023).

1 En France, le service civique est un engagement volontaire financé par l’État. D’une durée de 6 à 12 mois, il est accessible aux jeunes de 16 à 25 ans qui souhaitent poursuivre une mission d’intérêt général au sein d’un organisme sans but lucratif, à raison d’au moins 24h par semaine.


Cette pratique inspirante a été approuvée par Marine Verdron, Vice-présidente chargée de l’Innovation sociale et des AGORAé à la Fédération des Associations Générales Étudiantes -FAGE 

Références

FAGE. (2021). 10 ans des AGORAé : un triste anniversaire pour la précarité. Revue de presse. https://www.fage.org/ressources/documents/2/7275-DP-AGORAe-10ans-19102921.pdf

FAGE. (2023, 5 octobre). Pauvreté étudiante et aide alimentaire, le meme schema s’opère : le reseau de la FAGE inaugure sa 40eme AGORAe. https://fage.org/news/actualites-fage-federations/2023-10-05,CDP_40eme_AGORAe.htm

FAGE. (s. d.-a). [AGORAé] Un engagement quotidien pour lutter contre la précarité étudiante. Présentation du projet AGORAé et résultats de l’enquête EVAGO 2017. https://www.fage.org/ressources/documents/3/4783-plaquette-RNA_versionA4_finale_IMPR.pdf

FAGE. (s. d.-b). Une troisième année de bilan pour EVAGO, l’outil d’évaluation des AGORAé. FAGE Fédération des Associations Générales Etudiantes. https://www.fage.org/innovation-sociale/solidarite-etudiante/agorae-fage/evago-2016/

Matignon, N. (2022). Regards sur la condition étudiante, par la FAGE. Administration, 276(4), 81‑82. https://doi.org/10.3917/admi.276.0081

Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. (s. d.). Les AGORAé : des épiceries sociales et solidaires pour les étudiants. Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. https://agriculture.gouv.fr/les-agorae-des-epiceries-sociales-et-solidaires-pour-les-etudiants

Rousselle, M. (2023). Alimentation durable : un enjeu social pour la précarité [master sciences sociales – mémoire de première année, Université Toulouse Jean Jaurès]. https://www.isthia.fr/wp-content/uploads/2023/06/ROUSSELLE_MARJORIE_M1_SSAA.pdf

Tervé, C. (2022, 20 janvier). La précarité étudiante « ne fait qu’empirer et touche les classes moyennes », alerte la Fage. Le HuffPost. https://www.huffingtonpost.fr/life/article/precarite-etudiante-on-voit-parfois-des-cas-dramatiques-alerte-la-fage_191266.html

TIESS. (2022). Les épiceries solidaires à Montréal : enjeux, viabilité et pérennité. Territoires innovants en  économie sociale et solidaire (TIESS). https://tiess.ca/wp-content/uploads/2022/05/TIESS_epiceries-solidaires.pdf