Un rapport de recherche produit par une équipe de l’Université de Montréal et de l’Université Laval apporte un éclairage sur les situations qui précèdent, entourent et suivent les interruptions de programme d’études collégiales chez les jeunes adultes.

Ce rapport se base sur les données provenant de la première édition de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ELDEQ 1) qui suit les enfants nés en 1997-1998 de mères habitant au Québec. Un sous-échantillon de 939 personnes ayant été inscrites au collégial entre 17 et 19 ans a permis de comparer deux sous-groupes : les personnes ayant vécu des interruptions de programme au collégial et celles ayant poursuivi leurs études sans interruption de programme.

Pour mieux comprendre le phénomène des interruptions de programme, les autrices et l’auteur du rapport se sont intéressés à trois moments clés :

  • La fin des études secondaires (17 ans).
  • La période habituelle de fréquentation du cégep (19 ans).
  • La période qui suit la fréquentation du cégep, alors que les personnes inscrites ont transité vers d’autres occupations (25 ans).

Les facteurs étudiés 

Les indicateurs sélectionnés pour les deux premiers moments clés à l’étude découlent du modèle de Tinto (1975, 1993) qui identifie un ensemble de facteurs qui influencent la réussite éducative :

1. Avant le début des études :

  • Caractéristiques familiales (ex. situation socioéconomique, niveau d’éducation des parents…)
  • Caractéristiques individuelles (ex. compétences et expériences éducatives, difficultés d’apprentissage…)

D’après Tinto, ces caractéristiques et expériences personnelles antérieures influencent les aspirations, les objectifs et l’engagement envers le projet éducatif, ce qui affecte la progression académique.

2. Pendant les études :

  • Expériences formelles et informelles d’ordre académique (ex. résultats scolaires, accès à des services de soutien à l’apprentissage).
  • Expériences formelles et informelles d’ordre social (ex. participation à la vie étudiante).

Ces expériences durant les études façonnent les objectifs éducatifs et professionnels, l’engagement, la motivation académique et le sentiment d’adaptation, influençant ainsi la persévérance scolaire.

Les indicateurs associés à la période suivant la fréquentation des cégeps (25 ans) sont inspirés du modèle des « carrières durables » (De Vos, et al., 2020; Van der Heijden et al., 2020). Selon ce modèle, 3 dimensions fondamentales doivent être présentes pour soutenir l’orientation des jeunes vers une trajectoire de carrière durable :

  • L’occupation professionnelle doit être productive sur le plan économique (conditions et revenus décents).
  • L’occupation doit soutenir la santé physique et mentale.
  • L’occupation doit être compatible avec les objectifs de vie et de carrière, l’épanouissement personnel, le bien-être et le sentiment d’appartenance.

Les précurseurs d’une interruption de programme

Les résultats montrent que, comparativement aux personnes n’ayant vécu aucune interruption, les personnes ayant vécu une interruption de programmes en début de parcours collégial ont :

  • Un capital éducatif et économique moindre, manifesté par le statut socioéconomique et le niveau d’éducation inférieur des parents.
  • Une adaptation moindre sur le plan scolaire à la fin du secondaire (notes, aspirations et engagement inférieurs).
  • Davantage de symptômes de dépression et de problèmes de comportement.

Les facteurs présents au moment de l’interruption

Durant la période de fréquentation du cégep, les personnes qui vivent des interruptions de programme sont plus susceptibles :

  • De vivre de l’insécurité alimentaire. Près du tiers de ces personnes rapportaient une situation d’insécurité alimentaire, comparativement à 11 % des personnes n’ayant pas interrompu leur programme.
  • De percevoir plus négativement leur statut socioéconomique et d’avoir le sentiment de ne pas pouvoir bénéficier du soutien de leur entourage.
  • De vivre de l’incertitude quant à leur orientation professionnelle.
  • De présenter un niveau d’anxiété plus élevé, et un sentiment général de bonheur et de satisfaction envers la vie moins élevé.

Les répercussions des interruptions de programme

À 25 ans, les personnes ayant interrompu leur programme d’études collégiales avant l’âge de 19 ans sont moins susceptibles :

  • D’avoir un diplôme d’études collégiales (53 % sont diplômées, comparativement à 84 % des personnes n’ayant pas interrompu leur programme) et d’études universitaires (25 %, comparativement à 48 % des personnes sans interruption).
  • D’occuper un emploi en lien avec leurs objectifs de carrière.

Des dynamiques de reproduction des inégalités socioéconomiques

En somme, les résultats montrent que dès la fin du secondaire, des facteurs influencent le parcours collégial :

« [L]es résultats montrent qu’en moyenne, comparativement à leurs collègues dont le parcours académique au cégep est plus fluide, les expériences des personnes étudiantes qui vivent des interruptions de programme se distinguent à toutes les étapes de leur parcours. En effet, ces personnes arrivent au cégep avec un bagage différent, vivent des expériences différentes pendant les années de fréquentation du cégep, et se trouvent, à la mi-vingtaine, à des destinations différentes. » (p.19)

Cette situation montre qu’il est nécessaire de se doter d’approches interordres et intersectorielles pour agir avant l’entrée au cégep, et après la fin des études collégiales.

Référence

Dupéré, V., Courdi, C., Beauregard, N., Ahn, J. S., Archambault, I. et Larose, S. (2024).Situations précédant, entourant, et suivant les interruptions de programme d’études collégiales chez les jeunes adultes. Myriagone, 33 p. https://hdl.handle.net/1866/33934