Une nouvelle publication en libre accès s’intéresse à l’apport des perspectives narratives et biographiques en sciences de l’éducation.

Cet ouvrage regroupe 12 chapitres qui explorent différentes facettes de ces approches dans les domaines de l’éducation et de la santé. L’ORES attire l’attention sur un texte signé par deux chercheuses québécoises.

Le rapport non traditionnel aux études

Les adultes qui effectuent un retour aux études, bien que de plus en plus nombreux dans les établissements d’enseignement supérieur, ne sont généralement pas inclus dans les études portant sur la diversité de la population étudiante. De plus, le rapport non traditionnel aux études est rarement appréhendé du point de vue des personnes apprenantes.

Dans leur chapitre intitulé « Mobiliser le récit de vie pour appréhender le rapport non traditionnel avec les études. Retour réflexif sur une démarche de recherche », Isabelle Vachon et Claire Moreau proposent une réflexion méthodologique qui s’appuie sur une expérience de recherche auprès d’une quarantaine d’étudiantes et d’étudiants adultes au profil non traditionnel.

Les personnes sélectionnées pour participer à cette recherche devaient :

  • être inscrites dans un programme collégial ou universitaire
  • être âgées de 25 ans ou plus
  • avoir interrompu leur scolarité pendant au moins un an

Elles devaient aussi être dans une de ces situations :

  • occuper un emploi à plein temps
  • avoir un enfant à charge
  • avoir des responsabilités de proche aidance

Réflexion autour d’une méthode

Les chercheuses ont privilégié la collecte de récits de vie pour cette enquête qualitative, parce que cette méthode permet de mieux comprendre ce qui constitue un rapport non traditionnel avec les études postsecondaires. À travers la narration de leur parcours, les personnes participantes témoignent des « détours, [des] moments-charnières ou [des] personnes clés qui ont contribué à leur expérience ». Ce type d’entretien, très peu directif, permet aux personnes participantes de sélectionner les épisodes biographiques et les facteurs qu’elles jugent décisifs dans leur parcours. Selon les autrices :

« [La] recherche menée grâce aux récits de vie offre un regard nouveau sur cette population qui fait encore l’objet de peu d’attention de la part des milieux d’enseignement postsecondaire. »

Vachon et Moreau, 2024

Des parcours jonchés d’obstacles

Ce chapitre se base sur l’analyse d’une partie du corpus, soit les récits d’étudiantes et étudiants universitaires inscrits dans un programme de baccalauréat en enseignement de la formation professionnelle (n=19). La plupart de ces personnes étudiantes enseignaient dans un centre de formation professionnelle au moment de l’entrevue.

L’analyse de ce matériel biographique s’est faite en plusieurs étapes, avec des allers-retours entre analyse individuelle et mise en commun des interprétations entre chercheuses. Sur un mode exploratoire, elles ont pu mettre en lumière plusieurs composantes du rapport aux études des étudiantes et étudiants de leur échantillon :

  • Le malaise associé au « sentiment d’être entre deux mondes », soit l’université et l’univers professionnel.
  • L’existence de nombreux « freins institutionnels » à leur réussite, par exemple le test de français obligatoire pour toutes les personnes qui étudient dans un programme qui mène à la profession enseignante.
  • La présence de personnes qui ont joué un rôle décisif dans leur parcours.

Les personnes rencontrées ont identité « quantité d’obstacles » dans leurs trajectoires, et les chercheuses ont observé plusieurs bifurcations biographiques, causées par des évènements ou des situations particulières (parentalité, maladie, déménagements, perte d’un emploi, etc.). Elles ont également constaté une grande vulnérabilité et même de la détresse chez certaines personnes apprenantes.

Une expérience d’intersubjectivité

La collecte de récits de vie est une pratique qui engage la chercheuse ou le chercheur dans un dialogue authentique avec la personne qui se livre. Les autrices de l’article décrivent l’importance de s’impliquer personnellement dans cette rencontre, qui nécessite une certaine mise à distance de la posture savante « d’objectivité », peu propice aux confidences.

En conclusion, elles témoignent de la portée transformatrice de cette approche méthodologique :

« Les chercheuses ont donc réalisé pleinement le potentiel de changement social du récit, ce récit qui permet de libérer la parole de personnes qui n’ont pas toujours l’occasion de dénoncer des injustices vécues en lien avec leur rapport non traditionnel avec les études ou avec le monde du travail. »

Référence

Vachon, I. et Moreau, C. (2024). Mobiliser le récit de vie pour appréhender le rapport non traditionnel avec les études. Retour réflexif sur une démarche de recherche. Dans Tournant narratif en sciences de l’éducation. Québec : Éditions science et bien commun. https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/tournantnarratif/