Le concept d’« intersectionnalité » peut apporter un nouvel éclairage sur les multiples réalités étudiantes, en transformant les perceptions et la compréhension des enjeux actuels (Fauteux, 2017).

Au sens littéral, l’inter-sectionnalité constitue le point d’intersection des appartenances identitaires d’un individu. Il ne s’agit pas d’une addition des identités, mais de l’entrecroisement ou de l’imbrication des catégories sociales comme le genre, l’appartenance à un groupe racisé ou la classe (Harper et Kurtzman, 2014; Hill Collins et Bilge, 2020).

À titre d’illustration, une personne étudiante d’origine haïtienne ayant un trouble de l’apprentissage rencontrera des obstacles dans son parcours non pas seulement en raison de son origine ethnoculturelle OU de son handicap, mais de l’intersection de ces multiples identités.

Une expérience indivisible

Selon la perspective intersectionnelle, les différentes réalités ne sont pas hiérarchisées entre elles : l’expérience d’une personne étudiante qui vit du racisme est aussi valide que celle qui vit de l’homophobie. De plus, alors que les actions antidiscriminatoires se concentrent souvent sur une seule discrimination (le sexisme vécu par des étudiantes, par exemple), une perspective intersectionnelle tient compte du fait que plusieurs formes de discriminations (comme l’homophobie, le racisme, le sexisme) peuvent être vécues au même moment dans la vie d’une personne (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, 2020).

L’émergence d’une pensée intersectionnelle remonte au tournant du vingtième siècle, au moment où s’est révélée la complexité des systèmes d’oppression sur la population afro-américaine (Harper et Kurtzman, 2014). C’est toutefois au tournant des années 1990 que le terme « intersectionnalité » a été utilisé afin d’illustrer la situation des femmes afro-américaines et de mettre de l’avant le caractère indivisible de la personne et de son expérience, au fondement de l’interdépendance des catégories sociales (genre, classe, handicap, etc.).

Au Québec, vingt ans plus tard, la notion d’intersectionnalité a été reprise pour rendre compte des différentes expériences vécues par les femmes (Bilge, 2009; Juteau, 2010) : une femme blanche scolarisée ne vit pas la même réalité qu’une femme immigrante, par exemple.

Un outil d’analyse des inégalités

En plus d’être une théorie interdisciplinaire, l’intersectionnalité est un outil d’analyse (Lépinard et Mazouz, 2021) qui permet de mieux comprendre comment les identités — le genre, la classe sociale, l’âge, l’origine ethnoculturelle, le handicap, etc. — se chevauchent et interagissent de manière simultanée pour produire et maintenir des inégalités (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, 2020).

Une vision intersectionnelle envisage donc les inégalités comme étant le produit du croisement de différentes situations sociales, de relations de pouvoir et d’expériences (ibid.).

L’intersectionnalité

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Tiré de la page YouTube de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue [@uqatinformation] (2020).

L’approche intersectionnelle opère à deux niveaux :

  1. Microsocial: en interrogeant les effets des inégalités sur les vies individuelles, ainsi que les configurations uniques découlant de l’interaction des appartenances identitaires ;
  2. Macrosocial: en s’intéressant aux manières dont les systèmes de pouvoir, tels que les institutions économiques, religieuses et gouvernementales, les lois, les politiques ou encore les médias participent à la (re)production des inégalités (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, 2020).

L’analyse intersectionnelle peut aller plus loin en prenant en compte quatre dimensions de la vie sociale :

Organisationnelle, qui renvoie aux organisations sociales, politiques et économiques ;

Intersubjective, qui fait référence aux relations interpersonnelles dans des situations formelles ou informelles ;

Expérientielle, qui désigne l’expérience subjective des personnes, la manière dont elles se perçoivent et leurs attitudes avec les autres ;

Représentationnelle, qui renvoie au cadre de référence à partir duquel les individus et les groupes se représentent eux-mêmes et le monde (ibid.).

Parce qu’elle permet de dépasser l’explication unidimensionnelle des inégalités, l’approche intersectionnelle peut être utilisée pour analyser un ensemble d’enjeux sociaux et culturels. En ce sens, il s’agit d’un outil d’analyse puissant pour intégrer les enjeux d’équité, de diversité et d’inclusion (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, 2020).

Titre de l'image : La roue de l'intersectionnalité
Il s'agit d'un cercle divisé en 12 catégories de différentes couleurs. Chaque catégorie a trois niveaux. Le niveau le plus au centre tend vers le pouvoir. Le niveau le plus à l'extérieur du cercle tend vers la marginalisation.
Voici la liste des différentes catégories et de leurs trois niveaux de l'intérieur vers l'extérieur (de l'identité à laquelle on accorde le plus de pouvoir vers l'identité la plus marginalisée) :
- Citoyenneté : citoyenneté, résidence permanente, visa/statut temporaire
- Couleur de peau : blanche, pâle/mi-foncée, foncée
- Scolarité parentale : post-secondaire, secondaire, primaire
- Handicap : pas en situation de handicap, parfois en situation de handicap, en situation de handicap
- Sexualité : hétérosexualité, homme gay, lesbienne, bi, pan, asexualité
Neuro-diversité : neuro-typique, neuro-atypique haut fonctionnement, neuro-atypique
- Santé mentale : résiliente, stable, vulnérable
- Corps : mince/grand, moyen, surpoids/petit
- Habitation : centre urbain, région rurale, région éloignée/nordique
- Richesse : riche, classe moyenne, pauvre
- Langue : bilingue, français ou anglais, autre langue
- Genre : homme cisgenre, femme cisgenre, trans, intersexe, non-binaire

La notion de « privilège » (voir la figure La roue de l’intersectionnalité) réfère quant à elle à un avantage octroyé à une personne ou à un groupe de personnes en fonction de l’identité ou du statut dans la société et la valeur qu’on lui donne (l’orientation sexuelle, la présence ou l’absence de handicap, l’appartenance à un groupe majoritaire ou minoritaire, etc.) (Collège Ahuntsic, 2022).

Une capacité d’agir

L’approche intersectionnelle présente un intérêt pour les équipes professionnelles et d’intervention des établissements d’enseignement supérieur en rendant visible « la diversité de l’ensemble du public cible de l’éducation inclusive » (Bauer et Borri-Anadon, 2021).

Sur le plan du sentiment d’appartenance, le partage des expériences contribue à relier et à tisser des solidarités (Fauteux, 2017). En effet, la perspective intersectionnelle inclut la capacité des personnes à se solidariser sur la base de leurs expériences identitaires et à développer des stratégies communes (Pagé, 2014). Cette capacité d’action mobilisatrice, malgré le poids des obstacles et des discriminations, est d’ailleurs au cœur des principes fondateurs de l’intersectionnalité : les femmes afro-américaines ont été des leaders de leurs communautés en créant des mouvements de reprise de pouvoir (Harper, 2013).

L’intersectionnalité est donc une notion et un outil d’analyse permettant de mieux comprendre les différentes formes d’inégalités vécues par les personnes étudiantes, mais également comment le partage de ces expériences peut engendrer la création de stratégies communes visant l’équité et l’inclusion.

Références

Bauer, S. et Borri-Anadon, C. (2021). De la reconnaissance à l’invisibilisation : une modélisation des enjeux conceptuels de la diversité en éducation inclusive. Alterstice : revue internationale de la recherche interculturelle, 10(2), 45‑55.

Bilge, S. (2009). Théorisations féministes de l’intersectionnalité. Diogène, 225(1), 70‑88.

Collège Ahuntsic (2022). Portail (auto)éducatif EDI. Je te vois, je t’entends, je t’écoute.

Duckworth, S. (2020). Wheel of Power/Privilege [image en ligne]. Instagram.

Fauteux, J. (2017). Vers de nouvelles pratiques intersectionnelles : quand parcours migratoire se conjugue avec situation de handicap [mémoire de maitrise, Université de Sherbrooke]. Savoirs UdeS.

Harper, E. (2013). Ancrages théoriques entre l’intersectionnalité et les pratiques narratives en travail social. Dans E. Harper et H. Dorvil (dir.), Le travail social. Théories, méthodologies et pratiques (p. 47‑78). Presses de l’Université du Québec.

Harper, E. et Kurtzman, L. (2014). Intersectionnalité : regards théoriques et usages en recherche et en intervention féministes : présentation du dossier. Nouvelles pratiques sociales, 26(2), 15‑27.

Hill Collins, P. et Bilge, S. (2020). Intersectionality (2e éd.). Wiley.

Juteau, D. (2010). « Nous » les femmes : sur l’indissociable homogénéité et hétérogénéité de la catégorie. L’Homme & la Société, 176‑177(2‑3), 65‑81.

Lépinard, É. et Mazouz, S. (2021). Pour l’intersectionnalité. Éditions Anamosa.

Pagé, G. (2014). Sur l’indivisibilité de la justice sociale ou Pourquoi le mouvement féministe québécois ne peut faire l’économie d’une analyse intersectionnelle. Nouvelles pratiques sociales, 26(2), 200‑217.

Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (2020). L’intersectionnalité [vidéo].