Pour citer ce dossier
CAPRES (2019). Étudiants internationaux en enseignement supérieur.
https://oresquebec.ca/dossiers/etudiants-internationaux-en-enseignement-superieur/Les obstacles et les défis rencontrés par les étudiants internationaux au cégep et à l’université (voir l’Enjeu 1 du présent dossier) peuvent contribuer à les fragiliser sur les plans psychologique et social. Dohadwala et Sullivan (CICMH, 2018b) ont ainsi identifié les facteurs influençant la santé mentale des étudiants internationaux, qui sont autant d’obstacles précédemment identifiés : obstacles linguistiques, contraintes financières, discrimination raciale, difficultés d’adaptation au système éducatif, manque de soutien des pairs, etc.
Il est maintenant reconnu que le bien-être psychologique et social d’un étudiant contribue directement à son apprentissage et à sa réussite en enseignement supérieur (Dibble, 2019). Dans une étude de Hyung et al. (2010), 44 % des étudiants internationaux gradués affirment avoir connu, au cours de leurs études, un problème émotionnel ou lié au stress ayant une influence importante sur leur bien-être ou leur rendement scolaire.
Cette étude de Hyung et al. (2010) montre aussi que les étudiants internationaux étaient moins susceptibles que leurs pairs locaux de connaître les services d’aide : 61 % d’entre eux les connaissaient, comparativement à 79 % des étudiants locaux. Les étudiants internationaux étaient également moins susceptibles d’avoir utilisé les services de santé mentale, soit 17 % pour les étudiants internationaux, comparativement à 36 % pour les étudiants locaux.
Les étudiants internationaux peuvent être moins susceptibles de demander de l’aide en matière de santé mentale – ou même être au courant de la disponibilité des services.
Redden (2019)
La stigmatisation de la maladie mentale
Les étudiants internationaux peuvent être plus réticents que les autres étudiants à demander de l’aide en santé mentale pour une grande variété de raisons[1], y compris la stigmatisation de la maladie mentale dans leur pays d’origine (Winter, 2019).
Concrètement, cette stigmatisation fait en sorte que certains ont honte ou peur d’être étiquetés comme « fou », « faible », « paresseux » ou « inadéquat » (CICMH, 2018b). Ils craignent le jugement des amis ou de la famille parce qu’ils ont recours à de l’aide professionnelle (Nashef, 2017).
En effet, certains étudiants internationaux viennent de pays et de cultures où la maladie mentale est plus fortement stigmatisée et où les soins sont moins accessibles et jugés moins « acceptables » .
Munn, 2019
Selon Dohadwala et Sullivan (CICMH, 2018b), certains étudiants internationaux ont une opinion négative du counseling et ne voient pas l’intérêt de discuter de leurs problèmes avec des professionnels dont ils craignent d’être incompris en raison des différences culturelles.
À titre d’exemple, une étude de Han et al. (2013) fait état de la stigmatisation de la maladie mentale dans de nombreuses cultures asiatiques. Les auteurs y décrivent le rôle insidieux du « modèle de la performance asiatique » et les pressions qui en découlent sur les étudiants afin que ceux-ci répondent aux attentes selon lesquelles tous les Asiatiques performeraient, et ce, de manière uniforme.
L’anxiété des étudiants internationaux
La stigmatisation de la santé mentale et de la maladie mentale peut faire en sorte que l’étudiant souffre en silence de stress, d’anxiété, de fatigue, d’insomnie, de perte de confiance en soi et d’isolement, ayant honte de vivre de telles émotions (Winter, 2019). Les résultats de l’étude exploratoire d’ÉCOBES au Saguenay–Lac-St-Jean, réalisée par Gallais et al. (2019), vont d’ailleurs en ce sens : 33 % des étudiants internationaux interrogés présentent une symptomatologie anxieuse « sévère à modérée »[2]. Leur niveau de stress perçu est élevé, surtout dans les sphères associées au travail et à la réussite (ibid).
Autrement dit, un tiers des étudiants internationaux interrogés dans l’étude exploratoire de Gallais et al. (2019) perçoivent la vie comme une perpétuelle menace en ayant l’impression de subir les situations de manière impuissante. Selon l’auteur, il est possible d’émettre l’hypothèse que la situation de migration a exacerbé ce faible sentiment de contrôle certainement préexistant (ibid.).
La pression associée à la réussite scolaire peut engendrer chez certains étudiants internationaux un cercle vicieux semblable à l’anxiété de performance (voir Qu’est-ce que l’anxiété de performance ? | Notion clé, 2018), comme le montre la figure suivante :
Des facteurs de fragilisation
Dans une expérience migratoire, certains facteurs personnels et sociaux ont une influence importante sur l’état d’équilibre et de bien-être psychologique de la personne (Michaud, 2017).
Les « déterminants sociaux » de la santé mentale sont des facteurs qui rendent une personne plus ou moins vulnérable à la maladie mentale. Tirés de la section « La santé mentale et l’immigration » du Guide des relations interculturelles en santé mentale (Association canadienne pour la santé mentale – Montréal, 2010), ces déterminants ou conditions peuvent être utiles à connaître et à comprendre en contexte d’intervention auprès des étudiants internationaux (Michaud, 2017).
Certains de ces facteurs de fragilisation peuvent causer une perte de repères et ébranler l’état d’équilibre et le bien-être psychologique des étudiants internationaux.
Michaud, 2017
Parmi ces facteurs de fragilisation, on peut citer :
- une déqualification scolaire ou professionnelle;
- une baisse du statut socio-économique;
- une séparation prolongée des membres de la famille;
- une perte du réseau social;
- une forte distance entre la culture d’origine et la culture d’accueil;
- un stress prémigratoire;
- etc.
Des facteurs de protection
Les facteurs de protection sont quant à eux des points d’appui développés par l’étudiant dans son pays d’origine qui peuvent être entretenus et adaptés dans son nouveau contexte culturel (Michaud, 2017). Parmi les facteurs de protection, on peut citer notamment :
- l’obtention d’une admission dans un programme d’études stimulant;
- la maîtrise du français et/ou de l’anglais;
- l’ajustement des rôles homme/femme;
- le soutien entre immigrants récemment arrivés au pays ou entre compatriotes;
- les structures d’accueil (programme de jumelage, activité d’intégration, etc.);
- les activités culturelles et sportives;
- le réseau social.
L’étude de Gallais et al. (2019) montre à cet égard que les dimensions qui procurent le plus de bien-être psychologique aux étudiants internationaux interrogés sont l’engagement social et la sociabilité, qui constituent des facteurs de protection. L’auteur souligne un fort lien entre la capacité des étudiants internationaux à développer des liens avec la communauté d’accueil et leur bien-être psychologique. Selon les étudiants internationaux interrogés, une intégration réussie consiste à se sentir bien dans son nouvel environnement, dans son programme d’études et à avoir une bonne relation avec la communauté d’accueil (Bikie Bi Nguema et al., 2019).
L’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM, 2010) propose d’orienter l’accompagnement de l’étudiant vers les points d’appui développés et utilisés dans son pays pour se fonder sur ses aptitudes et ses forces déjà existantes. En regardant ce qu’il est possible de continuer d’entretenir dans le nouveau contexte culturel du Québec, l’étudiant peut développer sa résilience lorsqu’il se retrouve face à une situation stressante (Michaud, 2017).
Pistes d’action
Les stratégies universelles de prévention et de promotion en amont sont actuellement considérées comme une clé pour améliorer la santé mentale des étudiants au cégep et à l’université (voir le dossier Santé mentale des étudiant collégiaux et universitaires). Il n’existe toutefois pas de solution unique : différentes populations étudiantes, comme les étudiants internationaux, ont des besoins spécifiques qui exigent des interventions adaptées (Winter, 2019).
Les étudiants ayant une santé mentale positive possèdent, entre autres, deux caractéristiques : ils réalisent leurs capacités et s’adaptent aux stress normaux de la vie (Nashef, 2017). Aucun d’entre eux n’est à l’abri de développer des maladies mentales, c’est pourquoi il est important de consolider des points d’ancrage et des facteurs de protection, surtout en période de changement (Michaud, 2017).
Haber et Griffiths (2017) formulent des recommandations pour les professionnels qui conseillent et guident les étudiants internationaux :
- Mieux comprendre les signes avant-coureurs de la maladie, les troubles mentaux courants, l’interaction entre les différents défis propres aux étudiants internationaux, les problèmes de développement et les facteurs de « stress d’acculturation » (voir Enjeu 1 du présent dossier);
- Apprendre à défaire les mythes sur la santé mentale afin de promouvoir la sensibilisation à la santé mentale et le bien-être chez les étudiants internationaux;
- Cerner son rôle professionnel et surtout ses limites d’intervention envers les étudiants internationaux qui présentent des niveaux élevés de détresse psychologique;
- Apprendre à conceptualiser et à mettre en œuvre des processus et des structures de communication permettant une détection précoce et un soutien coordonné des étudiants internationaux à risque;
- Se sentir à l’aise de choisir et d’employer des techniques et outils de counseling adaptés à la culture avec des étudiants internationaux en grande détresse;
- Savoir quand et comment déclencher une intervention d’urgence dans des situations de crise qui exigent une action immédiate.
Dans le cadre de leur étude exploratoire, Gallais et al. (2019) proposent quant à eux des pistes d’action sur le bien-être psychologique des étudiants internationaux qui touchent l’ensemble du campus. Ils les divisent en trois volets :
Pédagogique | Communautaire | Psychosocial |
S’assurer que les étudiants comprennent les attentes et le contenu des cours | Encourager, outiller et soutenir la communauté régionale dans l’accueil des étudiants | Soutenir les étudiants dans leurs capacités relationnelles, les aider à démystifier les conflits |
Connaître la réalité culturelle des étudiants | Assurer un meilleur arrimage entre le recrutement, l’accueil et l’intégration des étudiants | Travailler sur l’estime et la confiance en soi et le sentiment de compétence lors de l’évaluation des situations d’apprentissage |
S’entretenir individuellement avec l’étudiant | Mettre en place une collaboration entre les services, les départements/facultés et la communauté d’accueil | Soutenir les ambitions scolaires, tout en misant sur l’importance de l’expérience migratoire sur le plan humain |
Ajuster le contenu de son cours | Soutenir des projets interculturels proposés par le personnel | Étaler dans le temps le soutien sur le fonctionnement de l’établissement et du système éducatif, pour éviter la surcharge cognitive |
Proposer des activité qui permettent de travailler sur les similarité culturelles | Outiller le personnel sur la réalité des étudiants internationaux | |
S’intéresser à la pédagogie transculturelle |
Dans le cadre de ce deuxième volet du dossier sur les étudiants internationaux, des pratiques inspirantes en matière de santé mentale sont présentées. Ces initiatives visent, d’une part, à les soutenir en tenant compte de leurs besoins spécifiques, notamment en termes culturels et linguistiques et, d’autre part, à leur offrir des espaces pour exprimer ce que la santé mentale signifie pour eux et pour entamer un dialogue avec l’ensemble du campus.
[1] Le concept de « santé mentale » serait lui-même porteur d’un biais culturel occidental, les étudiants internationaux étant détenteurs d’une grande diversité de visions du monde et d’expériences humaines. Pour aller plus loin sur cette interrogation, voir Derivois, D. (2017). Clinique de la mondialité. Vivre ensemble avec soi-même, vivre ensemble avec les autres. Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur.
[2] Gallais et al. (2019) définissent l’anxiété comme un trouble émotionnel se traduisant par un sentiment indéfinissable d’insécurité, qui peut survenir avec ou sans stimulus identifiable. L’anxiété est liée aux situations perçues comme étant incontrôlables et inévitables, à une anticipation du pire par l’individu et non par la situation elle-même.
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