Mircea Vultur
Professeur au Centre Urbanisation Culture Société
Institut national de la recherche scientifique
Numéro 3 – 2023
Cet article présente quelques résultats découlant d’une recherche qui visait à étudier le processus d’insertion professionnelle des personnes diplômées d’université, en analysant les moyens qu’elles mobilisent pour chercher un emploi et préparer leur recrutement.
Pour plus de détails, consulter : Vultur, M. et Imoussaïne, M. (2023). Les jeunes diplômés universitaires québécois : motifs pour faire des études, moyens pour chercher du travail et perception de la correspondance formation/emploi. Espace-INRS.
Contexte
Un accès au marché du travail plus difficile et une correspondance plus faible entre formation et emploi
L’insertion sur le marché du travail des diplômées et diplômés universitaires fait l’objet d’une attention soutenue depuis plusieurs années. Diverses recherches, majoritairement de nature statistique (Conseil des académies canadiennes, 2021; Vultur, 2021), ont montré les difficultés de ce segment de la population d’obtenir un emploi conforme à ses attentes et à sa formation. Certaines catégories de personnes diplômées universitaires sont confrontées, d’une part, à des obstacles à l’entrée sur le marché du travail : elles peuvent vivre des périodes prolongées d’emploi temporaire, de sous-emploi ou de chômage et avoir des rémunérations insuffisantes, moins de débouchés et une stabilisation professionnelle tardive. D’autre part, l’augmentation du niveau moyen de formation des jeunes et l’accroissement des exigences de qualification lors du recrutement de la main-d’œuvre ont entraîné une concurrence plus forte entre les personnes diplômées pour les emplois qui leur sont destinés ainsi qu’une dissociation plus prononcée de la relation formation / emploi, concrétisée dans un taux de surqualification qui a atteint en 2016 des valeurs dépassant les 33 % (Bourdon, Vultur et Lapointe-Garant, 2023).
Concept clé
Qu’est-ce que le recrutement ?
Le recrutement est une étape du processus d’acquisition de ressources humaines permettant de constituer un bassin de personnes candidates dans lequel on sélectionnera celle qui fournirait une contribution supérieure à l’entreprise. Il correspond à un ensemble d’opérations utilisées pour attirer des candidats et candidates, et identifier les signaux de leur productivité. Pour devenir « recrutables » et être recruté·es, les chercheurs et les chercheuses d’emploi mobilisent différents moyens afin de mettre en évidence leur formation, leurs expériences et leurs qualités individuelles (Vultur, 2009).
Méthodologie
Une enquête qualitative auprès de personnes diplômées d’université
- Type de recherche : Qualitative
- Population étudiée : 76 personnes diplômées universitaires, âgées en moyenne de 33 ans. Parmi ces personnes, 49 sont des femmes et 27 sont des hommes.
- Lieux et période de la recherche : Montréal, Sherbrooke et Québec, entre 2019 et 2020
Plus particulièrement, l’échantillon étudié se détaille ainsi :
La répartition selon les domaines d’étude se décline comme suit :
Des entrevues semi-directives sur le parcours d’insertion professionnelle des personnes diplômées ont été réalisées quatre ou cinq ans après leur diplomation. L’analyse des entrevues s’est inspirée de l’approche de la « théorie émergente » (grounded theory) (Glasser et Strauss, 1973). Les données recueillies à partir du discours des personnes diplômées ont servi de point de départ aux développements théoriques sur le phénomène étudié. La méthode de la « théorisation ancrée » (Paillé et Mucchielli, 2012) a été utilisée pour codifier, conceptualiser et mettre en relation les données empiriques qualitatives au moyen du logiciel d’analyse qualitative N’Vivo.
Résultats
Une diversité de moyens de rechercher un emploi
Plusieurs moyens de recherche d’emploi ont été mobilisés par les diplômés et diplômées de notre échantillon de recherche. Ces moyens ne s’excluent pas mutuellement.
La mobilisation des réseaux informels et d’Internet dans la recherche d’emploi est importante.
La mobilisation des réseaux informels pour obtenir un emploi est très importante chez les personnes diplômées universitaires. Presque la moitié, soit 37 individus, ont utilisé cette voie. Ensuite, on observe qu’Internet et notamment le réseau professionnel LinkedIn constitue un autre puissant moyen pour trouver un emploi, 32 diplômés et diplômées de notre échantillon y ont eu recours. Avec le développement technologique, les nouveaux médias professionnels de diffusion prennent de plus en plus d’importance dans le processus de rencontre entre l’offre et la demande de travail sur le marché de l’emploi des personnes diplômées.
Les stages, les réseaux professionnels, le recrutement à l’interne et les services de placement des universités sont d’autres moyens utilisés dans la recherche d’emploi.
Plusieurs des personnes diplômées, soit 13 individus, ont souligné que les stages en entreprise ont beaucoup de valeur dans le processus d’obtention d’un emploi. Elles ont notamment mis en relief la valeur d’un stage réalisé dans leur domaine, constituant une forme de préprofessionnalisation. Le réseau professionnel formé durant les études et le soutien de la direction de recherche dans le cas des cycles supérieurs jouent un rôle important dans l’obtention d’un emploi, cela a été mentionné par 12 personnes diplômées. Parmi les moyens de recherche d’emploi, on retrouve également les services de placement des universités (11 diplômés et diplômées y ont eu recours) et le « recrutement à l’interne » à la suite d’un emploi temporaire ou contractuel après la diplomation (9 personnes diplômées l’ont mentionné).
La distribution massive de CV est une stratégie de recherche d’emploi dite désespérée.
La distribution massive de CV, accompagnée de l’activation des alertes d’emploi par courriel est une pratique relevée par cinq personnes diplômées de notre échantillon. Cette pratique peut être qualifiée de « désespérée » puisque généralement, à la fin de leurs études, les répondants et répondantes ont postulé pour des emplois ciblés. Cependant, dès que ces personnes se retrouvent soit au chômage, soit en situation de surqualification pendant une période plus ou moins longue, elles adoptent cette stratégie d’envoi massif de CV peu ciblés afin de saisir les opportunités qui se présentent.
Que retenir de nos résultats ?
La mobilisation des réseaux informels, l’utilisation des nouvelles technologies et les stages durant les études sont des moyens efficaces pour la recherche d’un emploi
Les diplômées et diplômés universitaires doivent miser sur leur réseau informel pour la recherche d’emploi.
Le réseau informel permet aux personnes diplômées de connaître les entreprises potentielles et leurs besoins en personnel. Cela constitue un atout autant pour la mise en contact que pour les entretiens d’embauche. Ce réseau agit comme un « gage de compétence » qui peut souligner les qualités liées au comportement et à la personnalité de la personne candidate : sens relationnel, adaptabilité, rigueur, etc. Ces qualités ne résultent pas d’un apprentissage formel, mais relèvent d’un mode de transmission lié à la culture familiale et au milieu social de la personne diplômée. Le diplôme ne garantit pas l’embauche, les demandeurs et demandeuses d’emploi doivent adopter une démarche volontariste dans la recherche d’un travail correspondant à leurs attentes, comme en mobilisant un réseau informel.
L’intégration de nouvelles technologies dans la recherche d’emploi s’avère indispensable.
L’intégration de nouvelles technologies dans la recherche d’emploi apparaît, pour les diplômées et diplômés, comme indispensable dans le contexte d’un monde du travail qui se virtualise. Un profil LinkedIn représente un CV virtuel qui doit être tout aussi travaillé qu’un CV classique. Le réseau professionnel d’une personne peut être visualisé par tout le monde et permet ainsi d’optimiser les recherches et augmenter les offres d’emplois.
Les stages et l’expérience professionnelle acquise pendant les études représentent une réelle valeur pour la recherche d’emploi.
Les stages réalisés pendant les études représentent un moyen important pour obtenir un emploi après la diplomation, notamment par la valeur de l’expérience dans le domaine spécifique de formation qu’il permet d’acquérir (Bangali, 2022). Les responsables des programmes et les étudiants et étudiantes doivent y accorder une priorité accrue dans le parcours de formation. De même, décrocher son premier emploi, même sous statut contractuel ou temporaire et avec un revenu moindre, est une étape importante pour la suite de la carrière. De ce point de vue, la qualité d’un premier emploi en termes d’expérience doit primer sur les considérations financières.
Pistes d’action
- Mettre en contact les populations étudiantes avec des ressources du milieu de la pratique durant leurs études afin de développer leur réseau professionnel.
- Encourager l’utilisation du service de placement des universités en vue de prospecter le marché d’emploi avant la diplomation et favoriser l’accès à des emplois temporaires ou contractuels qui s’avèrent, à long terme, efficaces pour une insertion professionnelle durable.
- Offrir un accompagnement personnalisé aux étudiants et étudiantes universitaires dans leur insertion sur le marché du travail, en les incitant à tirer profit de leur réseau informel.
- Offrir des formations adaptées sur les nouveaux environnements numériques pour la recherche d’emploi qui abordent notamment la constitution de CV numériques et de pages professionnelles sur les réseaux sociaux.
Pistes de recherche
- Examiner les attentes des étudiants et étudiantes universitaires par rapport aux emplois après la diplomation et les stratégies d’ajustement et de reconversion qui sont indispensables à leur réussite professionnelle.
- Identifier et analyser les critères de sélection pour les emplois qualifiés et les pratiques d’embauche des entreprises.
Pour approfondir le sujet
Cayouette-Remblière, J. et Doray, P. (2022). L’enseignement supérieur en recomposition : entre institutions et parcours éducatifs. Lien social et Politiques, 89, 4-15.
Joanis, M. et Montmarquette, C. (dir.) (2018). Le Québec économique 7. Éducation et capital humain. Presses de l’Université Laval.
Vultur, M. (dir.) (2022). Les diplômés universitaires : perspectives socioéconomiques. Presses de l’Université Laval.
Références
Bangali, M. (2022). L’insertion professionnelle des diplômés de doctorat. Dans M. Vultur (dir.), Les diplômés universitaires : perspectives socioéconomiques (p. 81-104). Presses de l’Université Laval.
Bourdon, S., Vultur, M. et Lapointe-Garant, M.-P. (2023, à paraître). La surqualification des diplômés universitaires québécois : ampleur, évolution et facteurs associés. Cahiers québécois de démographie.
Conseil des académies canadiennes (2021). Formés pour réussir. Comité d’experts sur la transition des nouveaux titulaires de doctorat vers le marché du travail, Conseil des académies canadiennes.
Glaser, B. G. et Strauss, A. L. (1973). The Discovery of Grounded Theory: Strategies for Qualitative Research. Aldine Publishing Company.
Paillé, P. et Mucchielli, A. (2012). L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales. Armand Colin.
Vultur, M. (2009). Les difficultés de recrutement : quelques éléments d’analyse sur la perception du phénomène par les DRH des entreprises de la région de Québec. Revue Interventions économiques, 40, 3-17.
Vultur, M. (2021). Quelles formations pour quels emplois? Une polygraphie de la surqualification professionnelle des diplômés universitaires. Dans C. Fleury et A. Lachaume (dir.), Les diversités en emploi : perspectives et enjeux au Québec et au Canada (p. 140-159). Presses de l’Université Laval.
Mentions de responsabilité
Éditrice : Karine Vieux-Fort
Comité éditorial : Karine Vieux-Fort, Anouk Lavoie-Isebaert et Amélie Descheneau-Guay
Révision linguistique : Sandrine Bourget-Lapointe
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À propos de l'auteur
Mircea Vultur
Professeur au Centre Urbanisation Culture Société
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Mircea Vultur est professeur titulaire au Centre Urbanisation Culture Société et chercheur en socio-économie du travail et de la formation à l’Institut national de la recherche scientifique (Québec). Il est également Fellow au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) et responsable de l’axe Travail et insertion professionnelle à l’Observatoire Jeunes et Société (OJS). Ses recherches actuelles portent sur l’insertion professionnelle des diplômés universitaires, les intermédiaires du marché du travail et l’économie des plateformes numériques. Il est l’auteur ou le coordonnateur de dix livres et d’une centaine d’articles dans des revues scientifiques.