Les transitions interordres (secondaire-collégial et collégial-universitaire) et intercycles (1er, 2e et 3e cycles universitaires) jalonnent les parcours[1] étudiants à l’enseignement supérieur. Ces transitions, qui débutent dès la fin de l’adolescence, s’inscrivent dans un contexte où le passage vers l’âge adulte s’allonge et où l’adulte en émergence vit une période exploratoire sur le plan identitaire (Arnett, 2015; Galland, 2011; Gauthier, 2003).

Les parcours étudiants sont également de plus en plus atypiques, diversifiés et non-linéaires (van de Velde, 2015; Doray et al., 2011) : les jeunes adultes passent d’un ordre d’enseignement à un autre avec des besoins découlant de leur origine culturelle (Robson et al., 2018; Lesné, 2013; RCAAQ, 2020; CAPRES, 2018a, 2019b), de leur genre (Dubuc, 2020; CAPRES, 2020), de leur origine socioéconomique (Doray et al., 2011; Kamanzi, 2019; Maroy et Kamanzi, 2017) ou de leur situation de handicap et de santé mentale (CAPRES, 2018b).

Les transitions vont ainsi au-delà du passage d’un ordre d’enseignement à un autre : elles comportent de nombreux défis d’adaptation et d’ajustement (De Clercq, 2019) qui, lorsque relevés, permettent de vivre une transition harmonieuse et de qualité, qui est un moteur de persévérance et de réussite scolaires (De Clercq, 2019; CSE, 2010).

Ce dossier propose d’identifier les défis des transitions interordres et intercycles rencontrés par les étudiant·e·s, afin de mieux répondre à leurs besoins et ainsi consolider l’accessibilité en enseignement supérieur. Ces défis s’inscrivent dans différentes dimensions [3] des transitions :

  • scolaire (enseignement, apprentissage et orientation);
  • sociale (socialisation par les pair·e·s et intégration sociale);
  • psychologique (santé mentale).

Il est probable que la situation d’isolement et d’incertitude qui prévaut depuis mars 2020 augmente l’anxiété et la détresse de la population étudiante, entre autres, chez celle qui passe d’un ordre d’enseignement à un autre à distance (Réseau réussite Montréal, 2020). Ce dossier sur les transitions prend donc en compte le contexte actuel de la pandémie, et ce, au regard des données scientifiques disponibles à l’automne 2020 (Larose et al., article soumis pour publication).

1. Les défis des transitions sur le plan scolaire

Les transitions en enseignement supérieur peuvent être divisées en quatre stades (pour une description détaillée, voir De Clercq, 2019) : la préparation, la rencontre, l’adaptation et la stabilisation, comme le montre la figure ci-contre :

Une mauvaise préparation à l’ordre d’enseignement suivant peut générer des problèmes d’intégration et d’adaptation (Torenbeek et al., 2010), d’où l’importance de travailler en amont de la transition à proprement parler. Dans leur recherche sur la transition vers le collégial au Québec, Larose et al. (2018) proposent de débuter cette préparation au secondaire. En effet, selon les résultats de leur recherche, ceux et celles qui vivaient le plus de difficultés d’ajustement au collégial avaient déjà des difficultés dès la quatrième secondaire[4].

En Belgique, une recherche montre que l’effet des résultats scolaires antérieurs est majeur sur l’ajustement : il persiste même après avoir tenu compte de l’impact de dizaines d’autres prédicteurs (De Clercq et al., 2013). Romainville et Michaut (2012) montrent quant à eux l’importance de la maîtrise des compétences disciplinaires et langagières initiales sur l’ajustement de l’étudiant·e en première année universitaire.

Ces recherches confirment que si l’étudiant·e est bien préparé·e au changement, la transition postsecondaire sera plus facile.

1.1. S’adapter à une nouvelle culture d’apprentissage

Outre le changement d’établissement d’enseignement, l’étudiant·e en transition doit intégrer une nouvelle culture d’enseignement et d’apprentissage. L’adaptation à l’enseignement supérieur s’appuie sur différentes composantes de l’expérience étudiante : le rapport aux savoirs et aux cours, à l’établissement, aux professeur·e·s et à la tâche (Doray et al., 2011).

Il s’agit, par exemple, du passage d’une petite classe à un amphithéâtre plus anonyme lors de la transition collégial-universitaire, ou au contraire, du passage d’un environnement plus impersonnel à des séminaires en petits groupes lors de la transition du 1er au 2e cycle universitaire.

En plus de l’adaptation à un nouvel environnement, l’intégration à un nouvel ordre d’enseignement requiert la maîtrise de nouvelles habiletés cognitives, en conformité avec les exigences et les normes du travail étudiant au collège ou à l’université. Il s’agit du passage du statut d’élève au « métier d’étudiant » (Coulon, 1997, 2017; CSE, 2010) (voir la fiche Notion clé du présent dossier).

S’adapter à une nouvelle culture d’enseignement et d’apprentissage renvoie aussi à un nouveau type d’encadrement (Bégin, 2018; Skakni, 2018). L’encadrement des étudiant·e·s aux 2e et 3e cycles peut, dans certains établissements, comprendre un plan de collaboration qui précise les attentes réciproques en matière d’encadrement et qui formalise la relation entre étudiant·e et professeur·e (Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval, 2020). Les défis seront facilités si la personne qui développe des attentes réalistes et claires est positivement motivée et possède un état de préparation suffisant (De Clercq, 2019).

En d’autres mots, pour faciliter sa transition, l’étudiant·e doit avoir rassemblé de manière proactive des informations sur son nouveau contexte, être confiant·e et motivé·e et avoir développé les compétences nécessaires pour affronter les nouvelles exigences scolaires (ibid.).

Les étudiant·e·s qui vivent de façon harmonieuse leur transition vers l’enseignement supérieur ont exploré leur nouvel environnement avant d’en faire partie, en s’informant sur leur programme et l’établissement fréquenté (Germeijs et al., 2012). Ceux et celles qui ont rassemblé des informations sur leur nouveau contexte présentent un engagement dans leurs études plus élevé ainsi qu’une meilleure adaptation sociale et scolaire (ibid.).

S’adapter à une nouvelle culture d’enseignement et d’apprentissage exige également d’avoir une motivation intrinsèque dans le fait d’entreprendre des études en enseignement supérieur. En effet, même si l’orientation professionnelle n’est pas pleinement définie, le fait de connaître ses intérêts, ses forces et ses limites semble faciliter l’intégration dans un nouvel environnement. L’évaluation des besoins en orientation est d’ailleurs primordiale pour rendre plus harmonieuse la transition vers l’ordre d’enseignement au collégial (Picard et al., 2010).

Un·e étudiant·e motivé·e à entreprendre des études entretient généralement un fort sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 2003). Ce sentiment d’avoir la capacité de réaliser la tâche constitue d’ailleurs l’un des prédicteurs les plus importants de la réussite en première année d’université (Du Clercq, 2019; Dupont et al., 2016)[5].

En somme, s’adapter à une nouvelle culture d’enseignement et d’apprentissage – une nouvelle culture pédagogique – exige une bonne exploration de l’environnement et de soi dans l’étape de la préparation (voir Figure 1). C’est la correspondance de ces deux types d’exploration qui mène l’étudiant·e à bien vivre une transition en réalisant un choix d’orientation épanouissant (Roland, 2017; De Clercq, 2019).

1.2. Vivre l’indécision scolaire comme un processus

Un des défis que vivent plusieurs étudiant·e·s lors d’une transition interordres est celui de l’indécision scolaire. Environ la moitié des jeunes Québécois sont indécis à la fin des études secondaires et le quart d’entre eux le demeurent trois ans plus tard (Guay et al., 2006).

Les symptômes dépressifs et anxieux ne sont pas présents chez un aussi grand nombre d’étudiant·e·s (Germain et Marcotte, 2019). Une indécision relative à l’avenir scolaire ou professionnel peut être vécue sans détresse, en particulier lorsque l’étudiant·e a la capacité d’identifier ses buts (Besjser et Zeigler-Hill, 2014). L’indécision peut donc être vécue de manière positive (Arnett, 2015).

De plus, au-delà du vécu individuel, le choix d’un programme d’études peut être influencé par des facteurs contextuels : certain·e·s étudiant·e·s ont interrompu leurs études entre deux ordres d’enseignement pour diverses raisons (Doray et al., 2011), d’autres ont dû revoir leur choix après un refus d’admission. Les processus de sélection dans les établissements d’enseignement peuvent donc causer de l’indécision (ibid.).

Le programme, les cours suivis et la vie étudiante dans son ensemble peuvent conduire à un renforcement des projets scolaires ou, à l’inverse, à une désillusion précipitant la remise en question du choix (ibid.). Comme mentionné plus haut, les parcours étudiants sont diversifiés, non-linéaires et réversibles[6], et l’indécision scolaire peut être un processus ayant des retombées positives. Les étudiant·e·s qui vivent de l’indécision scolaire – par exemple, ceux et celles qui sont en « année sabbatique », sur le marché du travail, en situation de refus d’admission – peuvent donc profiter de ce processus pour explorer d’autres options.

Au Québec, le programme Tremplin DEC au collégial (dont l’appellation varie selon l’établissement : Transition, Accueil, Sur mesure, Intégration, Passage, etc.) offre un cheminement axé sur la réussite en permettant à l’étudiant·e d’entreprendre ou de compléter un programme d’études conduisant au diplôme d’études collégiales (DEC). Il permet, entre autres, de préciser un choix d’orientation scolaire (CSE, 2019a).

Le cheminement Tremplin DEC propose une approche souple pour les établissements du réseau collégial, afin qu’ils puissent offrir une formation adaptée (MEES, 2018) qui répond aux besoins de jeunes « fragilisés dans leur parcours scolaire » en raison, notamment, de la faiblesse de leurs notes, de préalables manquants ou d’une indécision scolaire (Picard et al., 2016).

Dans ce programme, les cours portent, entre autres, sur les compétences et les thématiques suivantes :

  • littératie numérique;
  • stratégies d’apprentissage;
  • orientation scolaire et professionnelle;
  • intégration aux études collégiales (comment étudier, se préparer aux examens, gérer son temps, etc.).

Selon la recherche de Picard et al. (2010) sur le programme Accueil et intégration (désormais appelé Tremplin DEC), les rencontres de suivi ou de bilan en cours de session entre l’étudiant·e et l’enseignant·e ou un·e professionnel·le de l’orientation réduisent l’indécision liée au programme d’études. Les résultats de leur recherche soulignent également les effets positifs des sessions du programme Accueil et intégration sur la connaissance de soi, les habiletés décisionnelles et les informations sur les métiers et professions (ibid.).

Le nombre de personnes inscrites dans ce programme est passé de 5230 en 1993, à 15 812 en 2016 (CSE, 2019a), d’où l’importance de maintenir et d’améliorer ce type de programme pour ceux et celles ayant ou non des besoins particuliers (CTREQ, 2018).

1.3. Se forger une identité vocationnelle

Selon le Conseil supérieur de l’éducation (2019a), l’ordre d’enseignement collégial, spécifique au Québec, comporterait des avantages importants au regard de la maturation du choix vocationnel et du rehaussement des aspirations scolaires.

Dans une récente étude de 2019, Germain et Marcotte font ressortir l’importance du processus découlant de la formation de l’identité vocationnelle puisque celle-ci est associée étroitement à tous les domaines de l’adaptation collégiale. Elle représente un des facteurs qui prédit le plus fortement l’adaptation scolaire (ibid.).

La formation de l’identité vocationnelle va au-delà du choix d’une profession ou d’un métier intéressant; elle est liée aux buts, à la motivation et aux efforts pour atteindre ceux-ci ainsi qu’à la réussite des études (ibid.). Un·e étudiant·e qui possède une orientation scolaire et professionnelle et des buts de carrière définis est plus susceptible de persévérer dans ses études et de réussir (ibid.).

Cette analyse rejoint celle de Kelly et Pulver (2003) selon laquelle les étudiant·e·s ont besoin d’être non seulement guidé·e·s dans leur choix de carrière, mais également soutenu·e·s afin de développer leur estime de soi et leur capacité à prendre des décisions. Cela permettrait aux étudiant·e·s de mieux s’adapter à leurs études postsecondaires. La formation d’une identité vocationnelle favoriserait également un attachement à l’établissement d’enseignement chez les étudiant·e·s vivant de l’anxiété (Germain et Marcotte, 2019).

Le développement de l’identité vocationnelle peut aussi être favorisé par le mentorat et la présence de modèles significatifs. Le mentorat peut cibler certain·e·s étudiant·e·s, comme le  fait le programme de l’École de technologie supérieure (ÉTS) qui s’adresse aux femmes en vue de les mettre en relation avec la réalité de la profession d’ingénieure et de les aider en matière de choix de carrières en génie (ÉTS, 2020).

Des rencontres en présentiel ou à distance permettent ainsi de confirmer (ou non) des intérêts et des buts de formation, mais aussi d’aider à naviguer adéquatement et avec confiance dans un nouvel environnement physique ou virtuel d’apprentissage (voir la Pratique inspirante : Un centre virtuel de mentorat au Cégep du Vieux Montréal). Dans le cas des étudiant·e·s aux études supérieures, cet accompagnement par les pair·e·s peut être intercycles ou encore se dérouler avec des personnes diplômées ayant acquis des compétences transférables vers le marché du travail. Le Centre de mentorat pour les étudiants diplômés de l’Université d’Ottawa, par exemple, offre aux étudiant·e·s inscrit·e·s à la maîtrise et au doctorat la possibilité de rencontrer des étudiant·e·s mentor·e·s afin de discuter de leurs préoccupations (Université d’Ottawa, 2020).

1.4. Développer un engagement envers ses études

L’un des défis à relever sur le plan scolaire pour les étudiant·e·s en transition est de développer un engagement envers ses études. Cet engagement se définit comme le degré avec lequel un but de formation est associé à un fort sentiment de détermination, ainsi qu’à la volonté de faire des efforts pour l’atteindre (Boudrenghien et Frenay, 2011).

Cet engagement manifesté par l’étudiant·e envers le but poursuivi en s’inscrivant dans son programme d’études constitue l’un des facteurs expliquant la persévérance et la réussite en enseignement supérieur, mais aussi certains aspects du bien-être psychologique, comme les émotions positives (ibid.).

Le degré d’engagement de l’étudiant·e envers ses études dépend de l’importance de ce but à ses yeux, ainsi que du sentiment d’efficacité personnelle à son égard : « vais-je réussir à obtenir mon DEC ? », « vais-je réussir à compléter mon baccalauréat ? », « vais-je être admis·e à la maîtrise ? ». Les croyances de l’étudiant·e en sa capacité de réguler ses activités d’apprentissage, de maîtriser les sujets et de se motiver – en somme, les croyances d’auto-efficacité – vont lui permettre de mieux faire face à la situation potentiellement stressante qu’est la transition scolaire (Faurie et Giacometti, 2017). En ce sens, le sentiment d’auto-efficacité à la base de l’engagement dans les études joue un rôle protecteur en réduisant l’impact des perturbations liées à la transition. Cela est important, car les croyances que les étudiant·e·s forment et/ou consolident au moment d’une transition ont une incidence importante sur la suite de leur parcours en enseignement supérieur (Roland, Frenay et Boudrenghien, 2015).

Les étudiant·e·s se disent plus engagé·e·s envers leur projet quand celui-ci est formulé en termes identitaires, mais surtout quand les liens entre ce projet et les autres buts de vie poursuivis sont clairs. Autrement dit, ce qui amène l’étudiant·e à s’engager envers son projet de formation, c’est la perception de liens entre ce projet et les autres buts de vie poursuivis (Boudrenghien et Frenay, 2011).

Afin de permettre à l’étudiant·e de réaliser un travail sur son but de formation et, par conséquent, sur le sentiment d’efficacité personnelle et l’engagement envers ce projet, Boudrenghien et Frenay (2011) proposent un outil visant à hiérarchiser les buts de formation. Le travail d’accompagnement et de soutien consiste à amener progressivement l’étudiant·e à construire sa propre pyramide de buts, en vue de favoriser une prise de conscience de sa propre représentation de son but de formation (ibid.) :


Figure 2. Exemple de structure hiérarchique de buts d’un étudiant de première année d’enseignement supérieur (Boudrenghien et Frenay, 2011, p.6)

Comme l’exprime Bandura (2003), visualiser l’avenir souhaité aide à organiser sa vie, donne un sens à ses activités, favorise l’engagement et permet de tolérer les obstacles rencontrés sur son chemin. Dans sa recherche sur les motivations au passage au doctorat, Brailsford (2010) recommande à cet égard que les universités proposent des ateliers aux candidat·e·s de 3e cycle avant leur inscription, afin que les motifs initiaux des études soient explorés avant que l’étudiant·e ne débute ses études doctorales. Une démarche de clarification des attentes des étudiant·e·s de cycles supérieurs est en effet liée à des expériences plus positives et à une plus grande probabilité de réussite (Naylor et al., 2016).

En somme, différents défis existent sur le plan scolaire pendant une transition interordres ou intercycles : s’adapter à une nouvelle culture d’enseignement et d’apprentissage, vivre de l’indécision quant à son orientation scolaire et professionnelle, acquérir graduellement une identité vocationnelle et s’engager envers ses études.

Ces défis, dont la liste n’est pas exhaustive, varient selon les contextes particuliers à chaque ordre d’enseignement. Néanmoins, la plupart des adaptations s’effectuent à un moment crucial de la construction identitaire du passage à l’âge adulte (Arnett, 2015). La définition du projet d’études s’effectue à un moment où la sociabilité par les pair·e·s, soit la capacité à intégrer des réseaux sociaux ou d’en créer de nouveaux (Charbonneau et Bourdon, 2011), occupe une place centrale dans le passage vers l’âge adulte.

2. Les défis des transitions sur le plan social

La prise en compte de la dimension sociale et relationnelle dans les transitions permet de mettre en relief la complexité de la vie des jeunes adultes (Palladino Schultheiss, 2005). En effet, le passage à l’âge adulte est marqué par des besoins d’autonomie, mais aussi d’affiliation (Ryan et Deci, 2000). Ce besoin d’appartenance et d’intégration réfère principalement au sentiment d’être relié à un groupe de pair·e·s (Vansteenkiste et al., 2009).

Lors d’une transition interordres, l’étape d’ajustement (voir la Figure 1; De Clercq, 2019) s’effectue pendant quelques semaines, quelques mois, voire durant l’ensemble de la première année d’études, soit le temps qu’il faut pour créer un nouveau réseau de relations et se sentir appartenir au groupe (au programme, à la cohorte, à l’établissement, etc.). Plusieurs recherches sur la réussite (Dennis et al., 2005; Dupont et al., 2016; Rienties et al., 2012) identifiées par De Clercq (2019) reconnaissent l’intégration sociale comme un élément primordial de l’ajustement dans un nouvel environnement.

De Clercq (2019) rappelle que pour bon nombre d’étudiant·e·s nouvellement inscrit·e·s, la transition vers le collège ou l’université signifie une rupture sociale avec les pair·e·s, doublée souvent d’un éloignement familial qui marque le début d’une vie plus indépendante.

Il s’agit donc d’une étape de construction d’un nouveau réseau de soutien. L’ajustement social s’améliore pour les étudiant·e·s qui poursuivent leurs études collégiales dans un programme technique (Larose, 2020a). On peut faire l’hypothèse que le sentiment d’appartenance à une cohorte d’un programme technique est plus fort que dans un programme préuniversitaire plus impersonnel et dans lequel les étudiant·e·s sont en plus grand nombre (ibid.). De plus, l’éloignement familial découlant de l’admission dans certains programmes techniques offerts seulement dans une autre région peut renforcer l’intégration sociale par les pair·e·s, notamment avec la vie en résidences ou en colocation (Dubreuil et al., 2020).

2.1. Rencontrer d’autres réalités

L’intégration sociale à une nouvelle communauté signifie que les étudiant·e·s s’approprient positivement la culture, le langage et les pratiques de leur établissement d’enseignement, et y développent des rapports sociaux diversifiés, valorisants et autonomisants (CSE, 2010).

En côtoyant des personnes de divers horizons culturels et sociaux, l’étudiant·e entre en contact avec une multitude de possibilités et de manières de vivre qui enrichit son expérience « extrascolaire » et participe à sa construction identitaire. Cette mise en contact avec diverses réalités influence les manières d’envisager ses projets scolaires et socioprofessionnels, et ce, peu importe l’ordre d’enseignement.

Les relations sociales influencent les choix scolaires (Doray et al., 2011); le sentiment d’appartenance joue un grand rôle dans la formation d’une identité vocationnelle (voir section 1.3.; Picard et al., 2010).

2.2. Développer des habiletés sociales

Le passage d’un environnement plus familier et encadré qu’est l’école secondaire à un environnement plus impersonnel comme le collège ou l’université nécessite une adaptation et un apprentissage « intensif » des codes, des normes et des usages (Faurie et Giacometti, 2017) afin de s’intégrer à son nouveau milieu d’études et de vie sociale.

Les résultats de l’étude de Germain et Marcotte (2019) montrent que les habiletés sociales ont un grand rôle à jouer dans l’adaptation au collège. En plus de confirmer que le soutien des pair·e·s contribue positivement à l’adaptation, leur recherche souligne l’importance du développement d’habiletés sociales, en particulier pour les étudiant·e·s présentant des symptômes dépressifs ou d’anxiété.

La majorité des programmes de prévention en santé mentale offerts dans les établissements d’enseignement supérieur incluent des composantes d’enseignement d’habiletés sociales et de communication (ibid.). Plus encore, l’affiliation à un groupe de pair·e·s contribuerait à l’adaptation collégiale globale et favoriserait la réussite et l’achèvement des études collégiales à plus long terme (ibid.).

2.3. Briser l’isolement

L’isolement social est un piège fréquent pendant les périodes de transition. Cette forme de solitude subie peut avoir des effets néfastes sur la santé mentale de la population étudiante (Nguyen et al., 2019). Si la solitude recherchée pour le plaisir et ses valeurs intrinsèques est liée à une bonne santé psychologique (ibid.), l’isolement subi pendant le confinement associé à la pandémie de 2020 pourrait avoir des conséquences négatives[7].

En cette période de la vie où la sociabilité tient une place centrale (Charbonneau et Bourdon, 2011), les lieux comme les restaurants, les cafés, les bars et les locaux étudiants constituent des repères spatiaux importants (Dubreuil et al., 2020). Ces espaces de repères et d’intégration sociale s’avèrent particulièrement cruciaux pour les jeunes qui traversent une période de quête identitaire sur le plan sexuel et du genre (voir le dossier Diversité sexuelle et de genre en enseignement supérieur) et sur le plan culturel (voir les dossiers Étudiants des Premiers Peuples en enseignement supérieur et Étudiants internationaux en enseignement supérieur), dans un contexte de diversité et d’inclusion en enseignement supérieur.

Sur le plan des transitions intercycles, la création de liens sociaux lors des transitions vers la maîtrise et le doctorat s’inscrit également dans l’apprentissage de nouveaux codes de sociabilité propres au niveau d’études. La rédaction d’un mémoire ou d’une thèse exigeant de nombreuses heures de travail intellectuel solitaire, la vie sociale et extrascolaire revêt une importance cruciale, notamment en termes de santé mentale (Woolston, 2019). Les étudiant·e·s partagent souvent un bureau entre collègues et se fréquentent dans des séminaires et non des amphithéâtres, ce qui peut consolider la formation de liens sociaux et le sentiment d’appartenance à leur cycle.

À cet égard, les nouveaux doctorants affirment être préoccupés par le sentiment d’appartenance aux communautés universitaires (Cornwall et al., 2019). Cela rejoint l’analyse de Skakni (2018) selon laquelle l’une des préoccupations fondamentales au cœur des récits des étudiant·e·s de 3e cycle est un désir d’accomplissement personnel et social.

Pour répondre à ce besoin fondamental d’affiliation sociale avec des personnes du même cycle d’études, il est possible de favoriser des pratiques d’encadrement collectif, soit le regroupement d’étudiant·e·s ayant les mêmes intérêts sous la supervision d’un·e ou de plusieurs professeur·e·s (Lee, 2018). Cette approche favoriserait un sentiment d’appartenance (Hutchings, 2017).

Parmi les défis liés à l’intégration sociale lors des transitions interordres et intercycles, il y a celui où l’étudiant·e se met en contact avec d’autres afin de réussir son intégration sociale et de combler son besoin d’affiliation. Ce besoin d’appartenance nécessite parfois le développement d’habiletés sociales et de briser l’isolement, des options parfois plus confortables lors d’une transition anxiogène. Les défis liés à l’intégration sociale sont en effet étroitement liés aux défis de la transition sur le plan psychologique.

3. Les défis des transitions sur le plan psychologique

Les transitions interordres et intercycles impliquent des changements à la fois positifs et négatifs dans les perceptions, les sentiments, les comportements et les stratégies de l’étudiant·e (Larose, 2020a).

Un changement positif se manifeste, par exemple, par une augmentation de la motivation intrinsèque lors de l’entrée au collégial (ibid.) alors qu’un changement négatif peut prendre la forme d’une augmentation de l’anxiété (OCCOQ, 2020).

3.1.  Agir en amont sur la santé mentale

Comme l’ont montré Larose et al. (2018), les problèmes d’ajustement sur le plan émotionnel pendant la transition secondaire-collégial existent déjà au secondaire. Dès la quatrième secondaire, l’anticipation du passage au collégial affecte les jeunes, qui s’interrogent : « est-ce que je serai à ma place ? », « quelle est ma voie ? », « comment vais-je m’intégrer ? », « vais-je avoir de bonnes notes comparativement aux autres ? ». Plus le niveau d’anxiété est élevé au secondaire, plus ces étudiant·e·s s’inscrivent dans une trajectoire émotionnelle, scolaire ou sociale à risque (Larose, 2020a).

Plus concrètement, 60 % des étudiant·e·s ayant des trajectoires plus à risque changent de programme ou ne diplôment pas, un écart de 22 % avec ceux et celles ayant des trajectoires moins à risque, dont 80 % réussissent (Larose et al., 2018).

L’anxiété ressentie constitue le déterminant le plus important de l’appartenance à une trajectoire de risque, et ce, plus que la moyenne générale au secondaire, les problèmes d’attention et d’agressivité et les pratiques pédagogiques (Larose, 2020a). En somme, l’anxiété :

  • interfère avec l’attention de l’étudiant, l’auto-régulation de ses comportements, la qualité de ses relations interpersonnelles et son estime personnelle;
  • s’accompagne de ruminations mentales[8] et de possibles préoccupations négatives au regard de la transition;
  • est tributaire de recherche ou de perte de contrôle;
  • est souvent en comorbidité avec les problèmes d’attention (ibid.).

En ce qui concerne la transition secondaire-collégial, il serait donc judicieux d’être proactif dès la quatrième secondaire pour aider les étudiant·e·s à gérer leurs émotions et leur attention (ibid.). Dans un contexte de plus en plus compétitif lié à la segmentation scolaire (Laplante et al., 2019), il est aussi possible que dès la quatrième secondaire, ces jeunes soient anxieux de leur avenir.

Larose (2020a) invite les acteurs du secondaire et du collégial, idéalement ensemble, à :

  • concevoir soigneusement des interventions préventives visant à déconstruire les ruminations erronées et les fausses perceptions;
  • dissiper leur anxiété ou les outiller pour mieux y faire face;
  • aider les jeunes à s’orienter selon leurs capacités et ainsi prévenir les effets négatifs d’échecs scolaires qui viennent éroder leur sentiment de compétence.

Les résultats d’une étude de Meunier-Dubé et Marcotte (2018) portant notamment sur les facteurs de risque associés au passage vers le collégial vont aussi dans le sens d’une intervention avant la transition. Lors de la deuxième année du collégial, la présence de symptômes dépressifs antérieurs constitue un important prédicteur des difficultés d’adaptation académique.

L’intervention avant la transition est importante compte tenu des effets à long terme de la présence de vulnérabilités cognitives et de symptômes dépressifs sur l’adaptation au collégial (ibid.).

En effet, des symptômes dépressifs tels que les difficultés de concentration ou l’insomnie peuvent avoir des effets sur le rendement scolaire, réduire l’accès à la mémoire fonctionnelle et nuire à la capacité d’attention et à la capacité de résolution de problèmes (Marcotte, 2014). De plus, une plus faible motivation, une plus faible satisfaction de leur rendement et une tendance au retrait social ont été rapportées par les étudiant·e·s dépressif·ve·s (Marcotte, 2014). Autrement dit, la santé mentale a un effet sur le rendement académique.

L’augmentation des symptômes dépressifs et anxieux chez les étudiant·e·s n’a pas que des causes individuelles. Twenge et Campbell (2009) montrent un lien entre l’augmentation des symptômes dépressifs rapportés par les étudiant·e·s au collège consultant un centre d’aide et l’augmentation des traits de personnalité narcissique. En ce sens, Arnett (2015) évoque un lien entre la montée de l’individualisme dans les pays occidentaux et la dépression. Comparativement aux générations précédentes, les jeunes sont aujourd’hui plus libres, mais cette liberté est associée à une pression de réussite et à une plus grande difficulté de trouver sa place (Meunier-Dubé et Marcotte, 2018).

Germain et Marcotte (2019) soulignent l’importance d’instaurer des programmes de prévention et d’intervention ciblant la diminution des symptômes dépressifs et anxieux et l’augmentation du bien-être psychologique des étudiant·e·s dès l’école secondaire, et de poursuivre les interventions au début des études collégiales afin de contribuer à leur adaptation.

Le programme Zenétudes, par exemple, vise la gestion de l’anxiété et la prévention de la dépression pour les étudiant·e·s en transition vers le collégial. Ce programme fait déjà l’objet d’une expérimentation et pourrait être implanté dans les écoles secondaires dans un proche avenir. Il est actuellement soumis à une vaste étude de validation (2018-2021) dans six collèges québécois (Lamarre et Marcotte, sous presse; Marcotte et al., 2018).

3.2. Travailler interordres

À partir de 2010, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES) a mis en place un projet d’intégration des étudiant·e·s en situation de handicap aux études supérieures, soit le Projet Interordres (Raymond, 2012).

Ce projet visait notamment les étudiant·e·s ayant un trouble d’apprentissage, un trouble du déficit de l’attention, un trouble envahissant du développement ou un trouble grave de santé mentale. Il ciblait des pratiques et des outils pour faciliter l’intégration des populations en situation de handicap lors des transitions en enseignement supérieur (ibid.).

Un autre projet, le Projet interordres sur l’accès et la persévérance aux études supérieures des étudiants de première génération, qui a mené à la création du Guide de référence pour les intervenants en éducation (2016), visait quant à lui à comprendre pourquoi les étudiant·e·s issu·e·s de familles à faible capital scolaire et socioéconomique sont plus vulnérables au regard de l’accès et de la persévérance aux études supérieures.

Ces projets interordres qui portent sur les transitions de populations étudiantes spécifiques ont permis, entre autres, d’établir des recommandations et de proposer des mesures pour favoriser l’accessibilité en enseignement supérieur.

La dimension interordres des transitions permet aux acteurs des milieux de l’éducation (secondaire, collégial, universitaire) de se réunir pour réfléchir de manière cohérente et structurante à des initiatives et des mesures favorisant à la fois l’accessibilité et la réussite à l’ordre d’enseignement suivant.

Les mesures liées à la santé mentale et au bien-être psychologique devraient ainsi être construites et déployées de manière interordres pour assurer la continuité et la cohérence des services de toute la population étudiante.

3.3. Miser sur la résilience

Lors de l’entrée à l’université, les étudiant·e·s qui présentent des croyances fortes en leur propre capacité de réussir sont plus résilient·e·s au stress et plus persévérant·e·s en cas d’adversité (Bandura, 2003). À l’inverse, ceux et celles qui doutent de leur capacité deviennent rapidement saturé·e·s d’informations et ressentent un stress plus élevé (Faurie et Giacometti, 2017).

La construction ou la consolidation d’une confiance en ses capacités de surmonter ce stress – le sentiment de compétence – est une composante à valoriser dans les programmes de prévention et d’intervention en santé mentale dans les établissements d’enseignement supérieur.

Au lieu de souhaiter éliminer toute source de stress, d’anxiété ou d’échec, il serait plus profitable de développer la résilience chez les étudiant·e·s en transition, définie comme la capacité de surmonter les défis et l’adversité (Wilson et al., 2019).

Miser sur le développement de la capacité à surmonter des obstacles permet de développer le sentiment d’auto-efficacité personnelle (voir plus haut) et de compétence, un facteur prédictif important de la réussite scolaire (ibid.).

Un soutien adapté, qui tient compte de la vulnérabilité pendant la période de la transition, devrait miser sur les forces des étudiant·e·s en vue d’accroître leur confiance en leurs capacités de planifier et de réaliser un projet d’études (Grégoire et al., 2012).

Cela est particulièrement vrai dans le cas des étudiant·e·s aux 2e et 3e cycles, dont les facteurs de stress renvoient en la croyance de réaliser un projet d’études et au processus des études supérieures à proprement parler (Cornwall et al., 2019).

À cet égard, la dimension subjective de l’expérience d’études, soit le sens qui est attribué à l’expérience (Doray et al., 2011), revêt une grande importance dans les parcours des étudiant·e·s aux études supérieures : la quête de soi identifiée par Skakni (2018) pendant le doctorat révèle la dimension psychologique et émotionnelle complexe du processus. Cette quête de soi se caractérise par un besoin fondamental de se développer et de s’actualiser sur le plan personnel. Les personnes investies dans ce type de quête cherchent d’abord à se dépasser, à mieux se connaître ou à mieux comprendre le monde qui les entoure (Skakni, 2019). Cela se traduit par un fort investissement en temps et en énergies, mais aussi par un fort investissement émotionnel (ibid.).

Les défis sur le plan psychologique vécus par les étudiant·e·s sont surtout liés à l’anxiété et à la dépression qui peuvent se manifester lors d’une transition, mais aussi dans l’anticipation de celle-ci. Ces défis demandent d’intervenir en amont, dans une démarche structurante interordres, pour déployer des mesures de soutien au bien-être psychologique cohérentes et en continuité des services qui favorisent à la fois l’accessibilité et la réussite à l’ordre d’enseignement suivant.

Miser sur la résilience est particulièrement important en temps d’incertitude. Les premières analyses de Larose (CSE, 2020), portant notamment sur les effets de la pandémie chez les étudiant·e·s en transition, montrent que l’apprentissage à distance exacerberait les symptômes d’anxiété; 38 % des étudiant·e·s passent plus de temps à jouer à des jeux en ligne seul·e·s ou avec d’autres; 12 % rapportent consommer plus d’alcool ou de drogue qu’avant la pandémie. Une démarche interordres en santé mentale et bien-être psychologique des étudiant·e·s s’avère ainsi encore plus pertinente pour assurer l’accessibilité et la réussite des étudiant·e·s au collège et à l’université.


[1] Le concept de parcours traduit à la fois la complexité et la diversité de la progression dans le système scolaire, en prenant en considération un ensemble d’expériences et d’événements qui se situent autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du système scolaire (Doray et al., 2011).

[2] Le CAPRES adopte une écriture inclusive et épicène en privilégiant les abrégés dans un contexte où l’espace est restreint (voir CAPRES, 2020).

[3] Ces différentes dimensions de la transition ne sont pas exhaustives et ne se déploient pas en vase clos; l’expérience étudiante est un tout où plusieurs sphères de vie s’interinfluencent.

[4] Larose et al. (2018) apportent une nuance à la notion de « choc » des transitions en soulignant que ce choc n’est pas systématique; la transition ne se traduit donc pas nécessairement par une rupture avec ce qui prévalait au secondaire. Il y a continuité dans la mesure où les personnes qui vivent des difficultés dans leur transition au collégial avaient des trajectoires à risques au secondaire, d’où l’importance d’intervenir en amont de cette transition.

[5] Un trop fort sentiment d’efficacité personnelle dans une nouvelle phase d’apprentissage produit toutefois l’effet inverse : un sentiment trop élevé dans sa capacité à réussir la tâche peut amener l’étudiant·e à moins se mobiliser pour réaliser une tâche, à prendre ses études à la légère et à se surinvestir dans les activités extra-académiques (voir De Clercq, 2019).

[6] Au Québec, l’assouplissement du système d’éducation a conduit à diversifier les types de diplômes et de programmes de formation, en particulier dans l’enseignement professionnel et technique ainsi qu’à l’université. Il en a résulté une multiplication des parcours étudiants (Doray et al., 2011).

[7] Il convient de rester prudent quant à la généralisation des résultats des recherches et sondages portant sur la santé mentale de la population étudiante en temps de pandémie.