Pour citer cet article
Retour sur le colloque « Accessibilité financière aux études et conditions pour favoriser la réussite étudiante : partage de savoirs scientifiques et expérientiels », tenu le 14 mai 2024 lors du 91e Congrès de l’Acfas, à l’Université d’Ottawa.
Ce colloque organisé par l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur (ORES) avait pour objectif de rassembler chercheurs et chercheuses ainsi que praticiens et praticiennes autour des enjeux d’accessibilité financière aux études, tout en mettant la perspective étudiante au coeur de cette conversation. La rencontre a donné lieu à un véritable dialogue entre la théorie et le terrain, permettant de mieux comprendre les conditions qui permettent ou qui entravent, concrètement, l’accessibilité aux études. Les limites des programmes d’aide financière, les enjeux entourant l’endettement étudiant, la situation particulièrement précaire de certaines populations étudiantes, de même que les impacts dévastateurs de l’insécurité alimentaire et résidentielle étudiante ont traversé les échanges tout au long de la journée.
Programmes de soutien financier et endettement chez les populations étudiantes
Constatant que la population étudiante est hétérogène et que les parcours d’études sont de moins en moins linéaires, Yan Martel (Université du Québec à Trois-Rivières) s’est demandé si les programmes de soutien financiers répondaient bien aux besoins étudiants. S’appuyant sur son expérience de conseiller à l’aide financière, il a fait valoir que les divers programmes devraient gagner en simplicité et en souplesse, et surtout qu’ils devraient être actualisés et évolutifs pour mieux répondre aux besoins changeants des populations étudiantes.
De son côté, Zina Kharchi (Université du Québec à Trois-Rivières) a levé le voile sur quelques défis financiers propres aux étudiantes et étudiants internationaux. En effet, une certaine pression financière découle du statut d’étudiant international (ex. : frais de scolarité majorés, accès limité aux bourses, restrictions quant au temps de travail rémunéré). Celle-ci a des effets délétères sur la santé mentale, la pression de performance et la qualité de vie des personnes étudiantes. Un meilleur soutien des étudiantes et étudiants internationaux pourrait passer par un accès élargi aux bourses, la création de fonds d’urgence dans les universités, une diffusion des opportunités de travail en milieu universitaire ou encore la mise en place de services d’aide alimentaire.
Jacinthe Cloutier (Université Laval) s’est intéressée au phénomène de l’endettement à la consommation et à son lien avec le nombre d’heures consacrées à un travail rémunéré. Elle a mesuré l’influence de certaines variables sur l’endettement étudiant, telles que l’influence des parents et des amis, le sentiment d’auto-efficacité, l’attitude face au crédit. Pour ce faire, elle a divisé son échantillon de 1323 étudiantes et étudiants en trois groupes (personnes ne travaillant pas, personnes travaillant moins de 30 heures par semaine et personnes travaillant plus de 30 heures par semaine). Les personnes qui travaillent plus de 30 heures par semaine sont en moyenne plus âgées et plus nombreuses à être endettées.
Laurence Mallette-Léonard (Fédération étudiante collégiale du Québec, FECQ) et Etienne Paré (Union étudiante du Québec, UEQ) ont conclu cette première partie en attirant l’attention sur certains problèmes qui entravent l’accessibilité au programme gouvernemental de prêts et bourses, notamment les conditions d’obtention restrictives ou la complexité administrative liée à la demande. Ces obstacles poussent les étudiantes et étudiants à se tourner vers les institutions bancaires pour obtenir des prêts. Diverses pistes pour faciliter l’accès aux prêts et bourses du gouvernement ont été énoncées : simplifier la plateforme de demande en ligne, réviser les conditions d’accès ou encore augmenter le montant du revenu protégé limitant les montants octroyés.
Parcours et rapports non traditionnels aux études : réalités et défis financiers
Claire Moreau (Université de Sherbrooke) a partagé les résultats préliminaires d’une étude réalisée en collaboration avec Die Mbaye (Université de Sherbrooke), qui vise à documenter les tensions matérielles et financières vécues par les femmes entretenant un rapport non traditionnel avec les études. Grâce à des entretiens individuels de type récit de vie, les chercheuses ont montré que les femmes qui concilient leur projet d’études avec des responsabilités familiales et professionnelles sont vulnérables psychologiquement, académiquement et financièrement. Elles vivent, par exemple, une précarité liée aux problèmes de logement, une charge mentale liée à l’alimentation de leur famille ou encore des problèmes liés au manque de flexibilité de leur cheminement de programme.
Daniel Laurin (Bureau de coopération interuniversitaire, BCI) a fait ressortir le paradoxe entre la promotion de mesures favorisant la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) à l’université et les règles strictes d’accès à l’aide financière. Par exemple, la RAC peut mener à réduire le nombre de crédits réalisés en une session, faisant basculer une personne du statut d’étudiante ou d’étudiant à temps plein à un statut à temps partiel, et ainsi compromettre son admissibilité aux programmes d’aide financière ou encore diminuer le montant d’aide auquel elle a droit. Une piste de solution pour encourager le recours à la RAC serait donc de modifier certaines règles relatives au statut de fréquentation inscrites dans la Loi sur l’aide financière aux études ou dans certains programmes de bourses.
Pour conclure cette deuxième partie du colloque, Laurence Mallette-Léonard (FECQ) a mis en lumière le fait que les parcours atypiques deviennent de plus en plus fréquents au collégial. Seulement une personne sur trois obtient son diplôme d’études collégiales dans la durée prévue alors qu’un nombre grandissant de personnes préfère allonger son parcours collégial pour diverses raisons. Or, le programme d’aide financière aux études ne laisse pas beaucoup de latitude aux étudiants et aux étudiantes dont la durée des études ne correspond pas à la durée prévue.
Etienne Paré (UEQ), de son côté, a montré que les profils des parcours atypiques sont diversifiés et incluent des parents qui effectuent un retour aux études, la population étudiante à temps partiel ou les personnes qui changent de programme ou d’université en cours d’études. En conséquence, l’UEQ revendique une uniformisation de la reconnaissance des acquis entre tous les établissements ainsi qu’une amélioration du programme d’aide financière aux études afin de mieux tenir compte des besoins spécifiques des étudiantes et étudiants ayant des parcours atypiques.
(In)sécurité alimentaire et logement étudiant
Les sociologues François Régimbal (Cégep du Vieux Montréal), Éric Richard (Cégep du Vieux Montréal) et Aude Fournier (Cégep de Victoriaville) ont ouvert la séance en présentant les résultats des premières phases d’une recherche s’intéressant à une dimension méconnue de la réalité étudiante : le bien-être alimentaire. En combinant l’analyse de 28 journaux de bord et de 29 entretiens semi-dirigés, l’équipe de recherche intercollégiale a exploré les dimensions corporelle, relationnelle, temporelle et matérielle du bien-être alimentaire des cégépiens et cégépiennes. Durant cette période de transition, les jeunes adultes sont plongés dans une nouvelle réalité, notamment marquée par la surcharge de travail, les horaires atypiques ou parfois la solitude. Ils et elles adaptent leurs comportements alimentaires en conséquence, par exemple en sautant des repas, ou en mangeant en solitaire ou à la sauvette.
Bien que le Québec soit plongé dans l’une des pires crises du logement de son histoire, les données relatives au logement étudiant sont encore lacunaires. Le spécialiste en études urbaines Nick Revington (Institut national de la recherche scientifique) s’est intéressé à l’état de la recherche dans ce domaine, au Québec comme ailleurs au Canada et dans le monde. Il a attiré l’attention sur les effets négatifs de la « studentification », soit le phénomène de concentration des personnes étudiantes dans un quartier donné, ou encore de la financiarisation du parc locatif. Les parcours résidentiels révèlent une diversité d’expériences et de stratégies pour arriver à se loger, dans un contexte difficile qui pénalise certaines personnes étudiantes davantage que d’autres.
Sur le terrain, des initiatives voient le jour pour améliorer l’accès au logement pour les personnes étudiantes. Élise Tanguay, directrice des affaires publiques à l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE), est venue présenter l’approche et les réalisations de l’organisme, seule entreprise d’économie sociale à se consacrer au développement de logement étudiant au Québec. Le modèle de l’UTILE est notamment basé sur la mixité des logements, l’intégration d’espaces collectifs, la densification et la mobilité (proximité du transport en commun et des pistes cyclables). Dans les immeubles opérés par l’UTILE, les loyers sont plus abordables que dans le marché privé et les augmentations sont maintenues à un niveau stable de 2 %. Déjà présent à Montréal, Québec et Trois-Rivières, l’UTILE souhaite loger jusqu’à 3 000 personnes étudiantes d’ici 2028.
De son côté, Étienne Paré (UEQ) a rappelé les résultats d’une étude réalisée en 2022, qui montrent que l’habitation et l’alimentation représentent en moyenne 45 % des dépenses des personnes étudiantes. L’insécurité alimentaire est de plus en plus palpable. Sur les campus, l’offre alimentaire est souvent chère et plusieurs associations étudiantes ont commencé à mettre en place des frigos communautaires.
Par ailleurs, Laurence Mallette-Léonard (FECQ) et Étienne Paré (UEQ) ont tenu à signaler que le logement est en voie de devenir l’un des principaux freins à l’accessibilité aux études. Hors des grands centres, le taux d’inoccupation peut frôler 0 %, ce qui entraîne une baisse de fréquentation des cégeps régionaux, voire la fermeture de certains programmes. Les locataires étudiantes et étudiants sont plus vulnérables aux hausses de loyer abusives, en raison de leur taux de roulement élevé. Malheureusement, le programme d’aide financière ne prend pas en compte les dépenses réelles encourues pour se loger. Pour la FECQ et l’UEQ, la vraie solution est d’accroître le parc locatif, mais à court terme il est impératif d’augmenter le soutien financier aux personnes étudiantes mal logées qui sont en situation de grande précarité financière.
Documents de présentation
L’accessibilité financière et les programmes de soutien financier en enseignement supérieur : sommes-nous toujours au diapason des besoins des populations étudiantes ? – Présentation de Yan Martel (Université du Québec à Trois-Rivières)
Étudiantes et étudiants internationaux du Québec : exploration qualitative du défi financier – Présentation de Zina Kharchi (Université du Québec à Trois-Rivières) et Simon Coulombe (Université Laval)
Existe-t-il une différence de facteurs influençant l’endettement à la consommation selon le nombre d’heures consacrées à un travail rémunéré ? – Présentation de Jacinthe Cloutier (Université Laval)
Regard étudiant sur les programmes de soutien financier et l’endettement des populations étudiantes au Québec – Présentation de Laurence Mallette-Léonard (Fédération étudiante collégiale du Québec, FECQ) et Etienne Paré (Union étudiante du Québec, UEQ)
Dire les tensions matérielles et financières dans une perspective féministe : quand les apprenantes portent, vivent et subissent la charge financière – Présentation de Claire Moreau (Université de Sherbrooke) et Die Mbaye (Université de Sherbrooke)
La reconnaissance des acquis à l’université et l’admissibilité à l’aide financière aux personnes étudiantes – Présentation de Daniel Laurin (Bureau de coopération interuniversitaire, BCI)
Regard étudiant sur les réalités et défis financiers des étudiantes et étudiants aux parcours et aux rapports non traditionnels aux études – Présentation d’Etienne Paré (Union étudiante du Québec, UEQ) et Laurence Mallette-Léonard (Fédération étudiante collégiale du Québec, FECQ)
Le bien-être alimentaire des étudiants au collégial : données préliminaires – Présentation de François Régimbal (Cégep du Vieux Montréal), Éric Richard (Cégep du Vieux Montréal), Aude Fournier (Cégep de Victoriaville) et Élodie Rouillard-Gagnon (Cégep du Vieux Montréal)
Défis et innovations en logement étudiant au Québec – Présentation de Nicholas Revington (Institut national de la recherche scientifique)
Démystifier les défis du logement étudiant en 2024 : l’expertise de l’UTILE au service de l’accessibilité aux études – Présentation de Élise Tanguay (Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant, UTILE)
Regard étudiant sur l’(in)sécurité alimentaire et le logement étudiant – Présentation de Laurence Mallette-Léonard (Fédération étudiante collégiale du Québec, FECQ) et Etienne Paré (Union étudiante du Québec, UEQ)