Le phénomène de l’insécurité alimentaire est en hausse au Québec et ailleurs dans le monde dans les dernières années (Observatoire québécois des inégalités, 2022), notamment chez la population étudiante. 

Une récente enquête de l’University of California, menée auprès d’étudiantes et d’étudiants de premier cycle (Mowreader, 2023c), révèle que : 

  • 42 % n’ont pas les moyens financiers de manger des repas équilibrés; 
  • 24 % déclarent avoir une « sécurité alimentaire très faible »; 
  • 33 % affirment ne pas manger à leur faim lors des repas (ibid.). 

Le même constat est effectué de l’autre côté de l’Atlantique : en Belgique, 40 % de des personnes étudiantes interrogées dans le cadre d’une recherche sur leurs conditions de vie rencontrent des problèmes financiers au point où les plus précarisées n’ont pas les moyens de s’offrir un repas complet tous les deux jours (Sonecom, 2019). 

Un problème d’accès  

L’insécurité alimentaire renvoie à un « accès inadéquat ou incertain aux aliments en raison d’un manque de ressources financières » (INSPQ, 2018). Le terme « accès » fait référence à une double dimension, économique et physique (CIUSSS de la Capitale-Nationale, s. d.) : 

  • Économique, soit un accès à des aliments sains (fruits et légumes, viandes et substituts, etc.) à un coût « raisonnable », c’est-à-dire accessible à la population étudiante; 
  • Physique, soit un accès à des marchés d’alimentation, notamment à proximité des établissements d’enseignement supérieur. 

Il est généralement admis qu’une personne étudiante vit de l’insécurité alimentaire parce qu’elle n’a pas les ressources financières pour se payer des aliments nutritifs. Par ailleurs, il est moins connu que le fait de vivre éloigné de lieux de distribution alimentaire abordables peut être l’une des causes du phénomène (INSPQ, 2013). En effet, les supermarchés à grande surface — où les aliments sont moins chers — sont souvent situés dans des zones peu accessibles à pied, à vélo ou en transport en commun, moyens principaux de mobilité urbaine de la population étudiante. 

L’insécurité alimentaire est également reliée à de nombreux marqueurs d’inégalités socioéconomiques : elle est, par exemple, associée aux personnes locataires plutôt que propriétaires (Polsky et Gilmour, 2020; Tarasuk et Mitchell, 2020). Rappelons que la grande majorité des personnes étudiantes sont locataires

Des conditions et des compétences 

En plus des moyens financiers lui permettant de payer les dépenses liées à une alimentation saine, une personne étudiante doit pouvoir bénéficier de conditions et de compétences qui lui permettent de s’alimenter adéquatement (CIUSSS de la Capitale-Nationale, s. d.). Il s’agit, par exemple : 

  • D’installations appropriées dans lesquelles il est possible de cuisiner des repas; 
  • Des connaissances suffisantes pour effectuer des choix éclairés en matière d’aliments sains et nutritifs disponibles; 
  • Des compétences pour préparer, cuisiner et conserver des aliments (Laban et al., 2020). 
Figure 10.
Une assiette vide est au centre de la figure avec une fourchette et un couteau de part et d’autre. Quatre flèches partent de l’assiette et pointent vers les quatre coins de la figure. Dans chaque coin se trouve une icône avec un énoncé. En haut à gauche se trouve une icône représentant un four et un comptoir de cuisine avec l’énoncé Installations adaptées pour cuisiner en-dessous. En haut à droite se trouve une icône représentant un marché public avec l’énoncé Accès économique et physique à des aliments sains. En bas à gauche se trouve une icône représentant un bol dans lequel on verse le contenu d’une tasse à mesurer avec l’énoncé Compétences culinaires suffisantes en-dessous. En bas à droite se trouve une icône représentant une toque de chef en forme de livre de recettes avec l’énoncé Connaissances suffisantes en alimentation saine en-dessous.

D’autres facteurs peuvent également être à l’origine de l’insécurité alimentaire et la perpétuer ; par exemple, des problématiques qui affectent le revenu comme la dépendance (alcool, drogue, jeu compulsif) et des problèmes de santé mentale (INSPQ, 2018). 

Enfin, l’insécurité alimentaire peut découler d’une situation particulière où les revenus sont réduits : séparation, maladie, handicap, perte d’emploi, naissance d’un enfant, prise en charge d’un parent ou déménagement peuvent avoir une incidence sur la situation financière d’une personne étudiante. Toute dépense imprévue (soins dentaires, augmentation de loyer, appareils électroménagers à remplacer, etc.) peut également engendrer une diminution des dépenses pour l’alimentation.   

Des effets sur la réussite 

Une personne étudiante qui vit de l’insécurité alimentaire risque davantage de souffrir de problèmes de santé physique, mais également de santé mentale comme l’anxiété, la détresse psychologique ou la dépression majeure (Pourmotabbed et al., 2020).  

Sur le plan des études, elle risque de manquer de concentration et d’énergie pour accomplir des tâches soutenues sur une longue période, ce qui peut se répercuter sur le rendement académique (CIUSSS de la Capitale-Nationale, s. d.). En effet, en situation d’insécurité alimentaire, le risque d’échec aux examens augmente : l’occupation première de la personne n’est plus d’étudier, mais de chercher des moyens de subvenir à ses besoins vitaux (Disch, 2023). 

La personne étudiante en situation d’insécurité alimentaire risque aussi de développer une faible estime de soi, ainsi que de vivre de l’isolement et de l’exclusion sociale (CIUSSS de la Capitale-Nationale, s. d.).

Cette baisse d’estime de soi peut être amplifiée par la stigmatisation découlant de préjugés tenaces sur l’insécurité alimentaire. 

Au-delà des stéréotypes  

L’alimentation est souvent reléguée au second plan dans les recherches sur la précarité financière étudiante (Sonecom, 2019). En effet, le stéréotype de la personne étudiante ayant volontairement une alimentation déséquilibrée est fortement ancré (Disch, 2023). Mal se nourrir constituerait une étape normale dans la vie d’une personne étudiante, souvent en transition vers l’âge adulte.  

L’imaginaire de la jeune personne étudiante aidée par ses parents continue d’être largement partagé, tout comme celui de l’« étudiant famélique » qui normalise une alimentation peu variée pendant les études (Maynard et al., 2018). 

Ce stéréotype contribue à invisibiliser une réalité plus sombre qui est en croissance : l’insécurité alimentaire étudiante. Ce type de préjugés peut également faire en sorte que la personne étudiante se sente stigmatisée (Université Laval, s. d.) et qu’elle hésite à demander de l’aide auprès de ressources offertes à la population en général, notamment aux banques alimentaires. En effet, la population étudiante en enseignement supérieur — rarement prise en compte dans les différentes enquêtes de santé publique sur l’insécurité alimentaire — peut se sentir privilégiée d’être aux études par rapport à d’autres groupes de la population (personnes assistées sociales, familles monoparentales, etc.) et penser que ces ressources ne lui sont pas destinées.  

L’une des avenues à considérer pour diminuer ces préjugés et éviter la stigmatisation est de sensibiliser l’ensemble des communautés collégiale et universitaire à l’existence de l’insécurité alimentaire chez la population étudiante, à ses effets néfastes sur les études et la réussite, ainsi qu’aux ressources disponibles pour y remédier (Savoie-Roskos et al., 2023). 

Références

CIUSSS de la Capitale-Nationale. (s. d.). Pourquoi est-ce important de viser la sécurité alimentaire ? https://www.ciusss-capitalenationale.gouv.qc.ca/sante-publique/inegalites-sociales-sante/vivre-sans-faim/informer/pourquoi 

Disch, C. (2023). Précarité étudiante : le malêtre dans l’assiette. La Revue Nouvelle, 3(3), 9‑13. https://doi.org/10.3917/rn.231.0009 

INSPQ. (2013). Accessibilité géographique aux commerces alimentaires au Québec : analyse de situation et perspectives d’interventions. Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ). https://www.inspq.qc.ca/es/node/3932

INSPQ. (2018). Les inégalités sociales de santé au Québec – L’insécurité alimentaire. https://www.inspq.qc.ca/santescope/suivre-les-inegalites-sociales-de-sante-au-quebec/insecurite-alimentaire 

Laban, S., Jackson, E., Maynard, M. et Loring, P. (2020, 12 juin). Insécurité alimentaire chez les étudiants : un problème avant, pendant et après la pandémie. Affaires universitaires. https://www.affairesuniversitaires.ca/opinion/a-mon-avis/insecurite-alimentaire-chez-les-etudiants-un-probleme-avant-pendant-et-apres-la-pandemie/ 

Maynard, M. S., Meyer, S. B., Perlman, C. M. et Kirkpatrick, S. I. (2018). Experiences of Food Insecurity Among Undergraduate Students: “You Can’t Starve Yourself Through School”. Canadian Journal of Higher Education / Revue canadienne d’enseignement supérieur, 48(2), 130‑148. https://doi.org/10.7202/1057107ar 

Mowreader, A. (2023, 3 mai). Free food truck on campus feeds 500 students a day. Inside Higher Ed. https://www.insidehighered.com/news/student-success/health-wellness/2023/05/03/free-food-truck-campus-feeds-500-students-day 

Observatoire québécois des inégalités. (2022). La faim justifie des moyens. Observatoire québécois des inégalités. https://www.observatoiredesinegalites.com/fr/detail-publication/la-faim-justifie-des-moyens 

Polsky, J. Y. et Gilmour, H. (2020). Insécurité alimentaire et santé mentale durant la pandémie de COVID-19 (no 82‑003‑X). Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/82-003-x/2020012/article/00001-fra.htm 

Pourmotabbed, A., Moradi, S., Babaei, A., Ghavami, A., Mohammadi, H., Jalili, C., Symonds, M. E. et Miraghajani, M. (2020). Food insecurity and mental health: a systematic review and meta-analysis. Public Health Nutrition, 23(10), 1778‑1790. https://doi.org/10.1017/S136898001900435X 

Savoie-Roskos, M. R., Hood, L. B., Hagedorn-Hatfield, R. L., Landry, M. J., Patton-López, M. M., Richards, R., Vogelzang, J. L., Qamar, Z., OoNorasak, K. et Mann, G. (2023). Creating a culture that supports food security and health equity at higher education institutions. Public Health Nutrition, 26(3), 503‑509. https://doi.org/10.1017/S1368980022002294 

Sonecom. (2019). Étude sur les conditions de vie des étudiants de l’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles. https://rodriguedemeuse.be/wp-content/uploads/2021/01/Conditions-de-vie-%C3%A9tudiante-%C3%A9tude-Marcourt-20190418.pdf 

Tarasuk, V. et Mitchell, A. (2020). Insécurité alimentaire des ménages au Canada, 2017-18. Food Insecurity Policy Research (PROOF). https://proof.utoronto.ca/resource/household-food-insecurity-in-canada-2017-2018/ 

Université Laval. (s. d.). Démystifier l’insécurité alimentaire. Chantiers d’avenir de l’Université Laval. https://www.ulaval.ca/etudes/chantiers-davenir/securite-alimentaire/demystifier-linsecurite-alimentaire