Pour citer ce dossier
Deux principaux types d’endettement existent chez la population étudiante :
1. Les dettes d’études découlant des prêts contractés dans le cadre du programme d’aide financière aux études.
2. Les dettes associées à l’utilisation du crédit à la consommation (cartes de crédit, prêts personnels, etc.)
En quoi la distinction entre l’endettement auprès du gouvernement (les prêts étudiants) et l’endettement auprès d’organisations privées (les cartes et marges de crédit) est importante dans l’analyse de l’endettement étudiant (Fiset et Pugliese, 2021)?
Les « prêts étudiants »
La situation d’endettement — découlant de ce qu’on nomme communément les « prêts étudiants » — est demeurée relativement stable depuis 2000. En effet, la proportion de personnes diplômées ayant une dette d’études à la fin de leur programme demeure sensiblement la même, soit entre 40 % et 50 %, selon le niveau de diplomation (Galarneau et Gibson, 2020). Une exception à cette règle concerne les personnes étudiantes de certains programmes — droit, médecine, administration des affaires, etc. —, qui ont vu leur niveau d’endettement augmenter entre 2000 et 2015 (Fiset et Pugliese, 2021).
Le crédit massifié
Par ailleurs, le deuxième type d’endettement — découlant de l’utilisation du crédit à la consommation — est de plus en plus important chez la population étudiante (Guay-Boutet, 2018).
Les dettes de sources non gouvernementales privées ont connu une croissance marquée depuis 2000 (Fiset et Pugliese, 2021). Le montant moyen de ce type de dettes augmente, de même que la proportion des personnes étudiantes qui y a recours (ibid.).
En mars 2023, la société d’évaluation de la cote de crédit Equifax estimait à 8,4 % l’augmentation du niveau d’endettement non hypothécaire pour la génération des millénariaux (actuellement âgée de 25 à 39 ans). Cette hausse serait attribuable à l’utilisation accrue du crédit à la consommation. Le taux de défaillance des cartes de crédit, soit le non-paiement à la date prévue, du groupe des 18 à 25 ans a quant à lui grimpé de près de 31 % par rapport à l’année précédente, comparativement à 17 % pour l’ensemble de la population (La Presse canadienne, 2023).
Au Québec, environ 90 % des personnes étudiantes des trois cycles universitaires possèdent une ou deux cartes de crédit (Cloutier et Roy, 2020).
Cet accès au crédit a été facilité par le marketing ciblé de produits financiers destinés à chaque segment de la population, notamment la population étudiante (Guay-Boutet, 2018). En 2017, le montant moyen de ce type de dette pour la génération Z (nés après 1994, c’est-à-dire moins de 29 ans au moment d’écrire ces lignes) était de 6871 $, soit une augmentation de près de 23 % (Transunion, 2019, dans Cloutier et Maltais-Proulx, 2022).
Ainsi, même si peu de recherches récentes au Québec ont porté sur l’influence des compagnies de crédit et des institutions financières sur la population étudiante, « leur rôle dans l’endettement des étudiants semble substantiel » (ibid., p. 196) :
« La majorité des [personnes étudiantes] est inexpérimentée, et leur niveau de connaissances les prépare inadéquatement aux nombreuses sollicitations qu’[elles] reçoivent de la part de compagnies offrant des produits de crédit. Ce phénomène, couplé à la confiance qu’[elles] ont envers ces compagnies, les amène à avoir des aspirations de dépense plus élevées que leurs moyens actuels, pavant le chemin vers l’endettement problématique .»
ibid., p. 196
Les études en enseignement supérieur, un investissement ?
La distinction entre l’endettement auprès d’organisations privées (les cartes et marges de crédit) et l’endettement auprès du gouvernement (les prêts étudiants) est donc importante dans l’analyse de l’endettement étudiant (Fiset et Pugliese, 2021). D’abord, les conditions d’emprunt et de remboursement ne sont pas les mêmes (ibid.). Dans le cas des dettes contractées dans le cadre du programme gouvernemental d’aide financière aux études (AFE), le gouvernement assure le paiement des intérêts pendant les études — ce qui n’est pas le cas des cartes de crédit. De plus, dans le cadre du programme d’AFE, les personnes étudiantes dans une situation financière précaire bénéficient de mesures d’aide au remboursement (remise de dette, remboursement différé) permettant de reporter celui-ci à un moment opportun.
Des différences existent entre, d’une part, un endettement comme « levier d’investissement » et un endettement compensatoire comme le crédit à la consommation (Pugliese et Boivin, 2023).
Le fait de contracter des « prêts étudiants » pour poursuivre des études en enseignement supérieur peut être envisagé comme un investissement. En effet, l’obtention d’un diplôme d’enseignement supérieur confère de nombreux avantages sur le marché du travail, que ce soit sur le plan de la rémunération, des conditions de travail ou des avantages sociaux (Galarneau et Gibson, 2020). L’obtention d’un diplôme postsecondaire assurerait ainsi « un bon rendement de chaque dollar investi dans les études » (ibid.).
Si le fait de poursuivre des études collégiales et universitaires implique des gains futurs, cela implique nécessairement des coûts plus immédiats (Eccles et Wigfield, 2020) :
- Le coût de l’effort, soit l’effort perçu comme nécessaire et le fait de savoir s’il en vaut la peine;
- Le coût d’opportunité, ce à quoi il faut renoncer pour poursuivre des études (gagner de l’argent rapidement, par exemple);
- Le coût psychologique, soit l’expérience d’émotions négatives pendant les études (ibid.).
Dans ce rapport complexe entre coûts et investissement, les coûts seraient justifiés par l’investissement en « capital humain », soit l’ensemble des connaissances et des compétences acquises par une personne tout au long de sa vie (Johnson et al., 2016). En somme, l’investissement dans les études « vaudrait », à long terme, les coûts immédiats associés à la poursuite d’études en enseignement supérieur.
Le fait de poursuivre des études collégiales et universitaires ne produit pas seulement des bénéfices individuels, mais également collectifs (Fack et Huillery, 2021). Ces « externalités positives » prennent plusieurs formes : innovation dans la société, croissance des salaires donc des recettes fiscales pour l’État (Hendren et Sprung-Keyser, 2020), etc. Les politiques en éducation seraient parmi celles qui offrent le plus de gains à long terme pour la société (ibid.). Par conséquent, l’investissement public en enseignement supérieur — tout comme celui individuel — génèrent des bénéfices à long terme qui justifient les coûts immédiats pour la personne et la société.
La perception de la dette liée aux études
Par ailleurs, certaines personnes étudiantes peuvent entretenir une représentation erronée de la valeur de l’enseignement supérieur et de la dette d’études (Noël et al., 2017). C’est notamment le cas des étudiantes et des étudiants qui sont la première génération de leur famille à fréquenter un établissement collégial ou universitaire (EPG), qui peuvent avoir tendance à surévaluer les coûts immédiats et sous-évaluer les gains futurs associés à un diplôme d’études postsecondaires. Les EPG s’inquièteraient davantage de leur endettement et seraient moins certaines de la valeur ajoutée des études universitaires (Université du Québec, 2013). Le niveau d’études des parents serait ainsi associé à la conviction que les études en valent — ou non — la peine (Heckman et al., 2023).
Il est pourtant documenté que les taux d’emploi progressent avec le niveau de scolarité (Frenette, 2019). Autrement dit, le fait de poursuivre des études postsecondaires augmente les probabilités d’obtenir un emploi de qualité et de meilleures conditions sur le marché du travail, y compris des salaires plus élevés (Reid et al., 2020).
Par conséquent, le développement d’une littératie financière étudiante portant sur le crédit à la consommation ou encore le programme gouvernemental d’AFE est crucial pour renverser les perceptions erronées de l’endettement.
Cloutier, J. et Maltais-Proulx, J. (2022). Aux études, endettés, mais cellulaires à l’année : les étudiants universitaires sont-ils vraiment les seuls responsables de leurs dettes ? Dans C. Ouellet, B. Korai, L. Godin et A.-M. Gosselin (dir.), Revisiter le consumérisme au Québec. État des lieux, défis et perspectives (p. 181‑206). Presses de l’Université Laval. https://www.pulaval.com/libreacces/9782763754901.pdf
Cloutier, J. et Roy, A. (2020). Consumer Credit Use of Undergraduate, Graduate and Postgraduate Students: An Application of the Theory of Planned Behaviour. Journal of Consumer Policy, 43(3), 565‑592. https://doi.org/10.1007/s10603-019-09447-8
Eccles, J. S. et Wigfield, A. (2020). From expectancy-value theory to situated expectancy-value theory: A developmental, social cognitive, and sociocultural perspective on motivation. Contemporary Educational Psychology, 61. https://doi.org/10.1016/j.cedpsych.2020.101859
Fack, G. et Huillery, É. (2021). Enseignement supérieur : pour un investissement plus juste et plus efficace. Notes du conseil d’analyse économique, 68(8), 1‑12. https://doi.org/10.3917/ncae.068.0001
Fiset, E. et Pugliese, M. (2021). L’endettement étudiant au Québec. Des réflexions à l’égard de la littérature existante. Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec. https://chairejeunesse.ca/wp-content/uploads/2022/11/CRJ_ENDETTEMENT_VFF.pdf
Frenette, M. (2019). Les perspectives de carrière des diplômés de l’enseignement postsecondaire s’améliorent-elles? (no 11F0019M 415). Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11f0019m/11f0019m2019003-fra.htm
Galarneau, D. et Gibson, L. (2020). Tendances de l’endettement des diplômés postsecondaires au Canada : résultats de l’Enquête nationale auprès des diplômés de 2018. Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-006-x/2020001/article/00005-fra.htm#n1-refa
Guay-Boutet, C. (2018). Économie politique de l’endettement étudiant bancaire au Québec [mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal]. Archipel. https://archipel.uqam.ca/11558/1/M15518.pdf
Heckman, S. J., Letkiewicz, J. C. et Kim, K. T. (2023). A Fracturing Social Contract? How Perceptions of the Value of Higher Education are Changing. Journal of Family and Economic Issues, 44(1), 156‑174. https://doi.org/10.1007/s10834-021-09811-2
Hendren, N. et Sprung-Keyser, B. (2020). Unified Welfare Analysis of Government Policies. The Quarterly Journal of Economics, 135(3), 1209‑1318.
Johnson, C. L., Gutter, M., Xu, Y., Cho, S. H. et DeVaney, S. (2016). Perceived Value of College as an Investment in Human and Social Capital: Views of Generations X and Y. Family and Consumer Sciences Research Journal, 45(2), 193‑207. https://doi.org/10.1111/fcsr.12195
La Presse canadienne. (2023, 9 mars). L’endettement sur les cartes de crédit canadiennes grimpe en flèche. Radio-Canada.ca. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1961925/endettement-carte-credit-inflation-taux-interet-jeune
Noël, M.-F., Bourdon, S. et Brault-Labbé, A. (2017). Particularités de l’influence des parents sur la perception de la valeur des études chez des jeunes de niveau postsecondaire : une analyse qualitative longitudinale. Enfances, Familles, Générations, (26). https://doi.org/10.7202/1041068ar
Pugliese, M. et Boivin, L. C. (2023, 26 avril). Les difficultés liées aux dettes chez les jeunes du Québec [série conférences-midi « l’emploi des jeunes : état et enjeux actuels »]. https://chairejeunesse.ca/activites/conferences-midi-lemploi-des-jeunes-etat-et-enjeux-actuels/
Reid, A., Chen, H. A. et Guertin, R. (2020). Résultats sur le marché du travail des diplômés du niveau postsecondaire, promotion de 2015. Statistique Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/81-595-m/81-595-m2020002-fra.htm
Université du Québec. (2013). Parce que le Québec a besoin de tous ses talents. Proposition en vue d’une stratégie nationale de participation aux études universitaires. Université du Québec. https://www.uquebec.ca/communications/documents/UQC-Quebec_ses_talents-complet.pdf
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